Relations du travail : du despotisme au dialogue en Espagne

Les comparaisons entre pays participent désormais d’une tendance de plus en plus systématique. Les statistiques, études et enquêtes, souvent réalisées par ou à la demande d’organisations internationales, ont, en effet, engendré une tendance croissante à la comparaison, généralement aux fins de souligner les faiblesses d’un modèle particulier. Aussi, les critiques formulées se doublent-elles immanquablement de recommandations ayant, dans la plupart des cas, pour objet d’inférer et de laisser sans effet la souveraineté des peuples.

Le modèle de négociation collective fait partie des aspects qui n’échappent pas à la comparaison, où l’analyse porte généralement sur deux variables : le taux de syndicalisation des travailleurs et le taux de couverture conventionnelle par rapport à la population salariée totale – en d’autres termes, le nombre de personnes protégées par une convention collective et celles qui en sont exclues, où seules sont appliquées les règles de base propres à chaque système juridique.

À cet égard, l’Espagne se distingue par un taux de couverture conventionnelle élevé, malgré le faible taux de syndicalisation des travailleurs. Cette situation résulte d’un modèle de négociation collective et de participation syndicale qui part du principe que la protection des droits des travailleurs ne se limite pas au paiement d’une cotisation syndicale, mais doit être étendue à toutes les personnes appartenant à une entreprise ou à un secteur, sans distinction.

C’est ainsi qu’a été élaboré un modèle de protection « en cascade » garantissant, d’une part, une représentation forte au niveau national et provincial et, d’autre part, en aval et de manière complémentaire, la conclusion d’accords d’entreprise destinés à améliorer les dispositions des conventions collectives conclues en amont.

Entre les années 1980 et la première décennie de ce millénaire, on a assisté à la construction d’un modèle solide de relations du travail, qui offrait une sécurité juridique ainsi qu’un cadre sain et adéquat. Un modèle où toutes les entreprises d’un même secteur ou d’une même activité devaient se conformer à une convention collective négociée par l’intermédiaire de leurs associations d’employeurs, avec une représentation syndicale légitime. Ce processus a contribué à ce qu’un dialogue s’instaure entre les partenaires sociaux légitimes et, surtout, à ce qu’une paix sociale durable voie le jour.

La réforme du travail introduite unilatéralement, en 2012, par un gouvernement conservateur ultralibéral visait à affaiblir le pouvoir de la négociation collective, avec en point de mire, la déréglementation des relations du travail.

À force de réformes successives, qui ont notamment permis aux entreprises d’abaisser les conditions de travail en dessous de ce qui était prévu par la convention sectorielle de référence et de révoquer l’ultra-activité de la convention – clause garantissant qu’une convention continuera à s’appliquer jusqu’à la signature de la suivante –, on est passé à un modèle d’entreprise basé sur le « dumping social », la promotion de l’emploi contractuel et la sous-traitance. L’accent était, dès lors, mis sur l’externalisation à bas coût des services, et ce grâce aux économies réalisées sur les frais de personnel, le tout dans le cadre de conventions léonines. C’est ainsi qu’on a vu naître un modèle despotique de relations du travail, entièrement contrôlé par l’entreprise, qui a rompu tout équilibre préexistant dans ce domaine.

La perte constante de droits et l’injustice sociale de ces dix dernières années expliquent l’importance, la transcendance vitale, de la réforme du travail approuvée début février par le Congrès des députés.

En premier lieu, parce cet accord a été conclu dans le cadre du dialogue social, attestant par-là même de la capacité des syndicats et des organisations d’employeurs à tomber d’accord lorsque le progrès commun est en jeu. Ensuite, parce que les attaques contre la négociation collective ont été contrecarrées et que la négociation collective a repris sa place centrale dans la réglementation des relations du travail. Cette réforme constitue, de fait, la pierre angulaire d’une ligne de travail et d’une manière d’appréhender les relations entre travailleurs et employeurs qui a vu le jour en mars 2020 quand, au plus fort de la pandémie, des changements substantiels ont été apportés à la manière dont les mesures de confinement sanitaire étaient adoptées et mises en œuvre à l’échelle des entreprises. Les parties ont convenu d’œuvrer ensemble à la recherche de solutions et ont conclu des accords qui ont débouché sur des résultats sans précédent en termes de redressement économique et productif.

Ce processus qui visait initialement à favoriser le dialogue social au niveau de l’entreprise, et à promouvoir des conditions de travail concertées, a culminé avec la réforme du travail, laquelle a introduit trois modifications essentielles : le rétablissement de l’ultra-activité des conventions collectives ; l’introduction de l’application prioritaire de la convention sectorielle, soit un retour au modèle des conventions collectives en cascade, garantissant une protection et l’établissement de minima par le haut, modifiables à l’échelle de l’entreprise que s’ils doivent améliorer les conditions des travailleurs ; et enfin, l’introduction du mécanisme RED, qui vise à endiguer la destruction d’emplois en période de difficultés économiques pour l’entreprise, mais cette fois à travers un processus de négociation qui protège les partenaires sociaux.

Tout cela culminera en 2022 avec l’introduction d’une loi annoncée par le gouvernement espagnol qui établira des mesures visant à promouvoir la cogestion des entreprises, au travers d’une participation accrue des travailleurs dans l’avenir de l’entreprise et de leur emploi.

La conclusion la plus intéressante et prometteuse est la démonstration de la compatibilité et du lien direct entre les progrès en matière de droits du travail et le renforcement de la négociation collective et de la participation, d’une part, et la reprise économique et la création d’emplois, de l’autre. Nous nous trouvons, sans conteste, en présence d’un nouveau paradigme qui vient infirmer toute théorie néolibérale allant en sens contraire, et qui peut servir d’exemple et de levier pour que les politiques d’autres États changent à leur tour.

Cet article a été traduit de l'espagnol.