Rendre efficaces les quotas pour l’emploi des personnes handicapées à Malte

Rendre efficaces les quotas pour l'emploi des personnes handicapées à Malte

For some jobseekers in Malta, even if an employer is willing to take on a worker with disabilities, poor transport infrastructure and poor access to offices and buildings can make it an impossible task.

Robert (nom d’emprunt), comme tant d’autres travailleurs touchés par les mesures de confinement imposées à Malte pendant la pandémie du coronavirus, a été mis à pied. Mais si le travail est important pour lui, c’est à la maison qu’il se sent le plus à l’aise. Car chez lui, Robert peut se déplacer en fauteuil roulant à son gré. Il n’a plus besoin de porter, comme au travail, une protection pour l’incontinence au cas où son fauteuil roulant l’empêcherait d’accéder aux toilettes.

Dans un entretien avec Equal Times avant la pandémie, Robert a confié qu’il a toujours rêvé de trouver un job qui lui permettrait de faire du télétravail. « Je suis un introverti. Je suis très sensible aux émotions des autres. C’est un gros problème. » Pourtant, Robert travaille en tant que réceptionniste. Dans ses trois jobs précédents aussi, il était amené à traiter avec la clientèle. « J’en ai parlé à mon coach emploi et celui-ci a bien essayé de m’aider, mais il m’était impossible de changer de boulot. Et je ne peux pas me permettre d’être au chômage. »

Lorsque Robert a postulé à son poste actuel, en 2016, le gouvernement maltais venait d’amorcer une politique obligeant toutes les entreprises de plus de 20 salariés à avoir au moins 2 % de handicapés parmi leurs effectifs. En cas d’infraction, l’employeur est tenu de verser une contribution financière de 2.400 euros par travailleur handicapé qu’il aurait pu embaucher conformément au quota (plafonnée à 10.000 euros). Cet argent est ensuite reversé à la Fondation Lino Spiteri, un partenariat public-privé qui œuvre en collaboration avec le service public de l’emploi de Malte (Jobsplus) et la coopérative sociale à but non lucratif Empower Coop. Leur objectif, mettre en relation les demandeurs d’emploi avec les postes vacants et leur offrir une formation.

Cette politique est basée sur la loi sur les personnes handicapées (emploi), adoptée en 1969 mais restée dormante jusqu’en 2015. Selon un rapport de l’Organisation internationale du travail publié en 2019, 103 pays dans le monde disposent, sous une forme ou une autre, de quotas pour l’emploi des personnes handicapées.

Dans un premier temps, les employeurs maltais ont décrié ce qui, à leurs yeux, constituait une approche punitive infligée aux entreprises qui ne respectent pas les règles. « En réalité, les fonds collectés pour la Fondation s’apparentent davantage à une “taxe” ou à une “amende” », a écrit l’Association des employeurs de Malte (Malta Employers’ Association, MEA) dans son document de position sur les mesures (2015). « Une stratégie de persuasion semblerait préférable et produirait de meilleurs résultats qu’une stratégie de coercition », a ajouté le lobby patronal, laissant entendre qu’il serait plus sage de se concentrer sur les grandes entreprises avant de l’imposer à des milliers de petites et moyennes entreprises (PME).

Les employeurs craignaient également que certaines entreprises puissent être pénalisées lorsque des travailleurs n’ayant pas déclaré leur handicap ne sont pas pris en compte dans le quota. Jobsplus (à l’époque Employment and Traning Corporation) et la MEA sont finalement parvenus à une entente et ont signé un protocole d’accord avec la Chambre de commerce, d’entreprise et d’industrie de Malte. Celui-ci exemptait les employeurs du versement des contributions à la Fondation à condition qu’ils garantissent, en contrepartie, un nombre équivalent d’heures de travail dans le cadre de contrats de service, de sous-traitance, d’apprentissage, ou par l’intermédiaire d’un employeur de substitution. Le protocole d’accord a permis à Jobsplus d’accéder à d’autres registres de handicap et aux travailleurs atteints de handicaps jusqu’ici non déclarés d’être pris en compte dans le quota de leur employeur.

Des données inexactes

Tonio Axisa, expert en handicap et emploi, qui prépare un doctorat sur ce thème à l’université De Monfort, au Royaume-Uni, a relevé que les disparités entre les différents registres de handicap utilisés à Malte ont constitué un obstacle à l’heure de déterminer combien de personnes bénéficient effectivement de ce régime – et combien devraient en bénéficier. Selon ses recherches, nombre d’employeurs estiment qu’ils manquent de directives claires quant aux critères définissant un handicap ; la dyslexie, par exemple, figure-t-elle sur la liste ? « Trois registres sont en place : le registre de la Commission pour les droits des personnes handicapées [Commission for the Rights of People with Disability, CRPD] qui comprend les enfants et les personnes âgées, le registre de la sécurité sociale, qui détermine l’éligibilité aux prestations sociales et à l’allocation d’invalidité, et le registre Jobsplus pour les personnes de 16 à 63 ans qui recherchent activement un emploi. Les chiffres [des trois bases de données] ne concordent pas. La principale difficulté tient au fait que, pour pouvoir s’inscrire dans chacun de ces registres, il est nécessaire de passer devant un comité d’évaluation. Or, les évaluations ne sont pas les mêmes », explique le chercheur.

En 2018, la CRPD a recensé 19.057 personnes handicapées, alors que Jobsplus n’en a relevées que 357. La CRPD a récemment commandé une étude sur la situation des travailleurs et des demandeurs d’emploi handicapés. Selon les conclusions préliminaires partagées avec Equal Times par Allison Zammit, chargée de recherche et de politique auprès de la CRPD, près d’un tiers des 206 répondants se sont identifiés en tant que personnes handicapées mais ne se sont pas déclarées comme telles auprès de Jobsplus.

Quant aux demandeurs d’emploi avec un handicap, plus de la moitié ne se sont pas inscrits en tant que tels chez Jobsplus. De plus amples recherches sont nécessaires pour savoir si cela est dû à la crainte d’être stigmatisés ou au simple fait de ne pas être au courant des options. Enfin, sur un total de 50 employeurs interrogés, un sur dix a déclaré employer des personnes atteintes d’un handicap.

Le quota n’a pas été pensé pour aider les travailleurs qui ont déjà accès aux offres d’emploi ordinaires. Il vise plutôt à créer des opportunités pour les personnes plus vulnérables qui pourraient éventuellement nécessiter une adaptation du lieu de travail. « Les employeurs doivent adapter leurs lieux de travail. Est-on disposé à permettre à une personne de prendre le service à 10h00 au lieu de 9h00, parce lorsque cette personne se réveille, elle doit prendre ses médicaments, et ensuite, elle ne sera pas en mesure de travailler pendant deux heures ? », demande M. Axisa, qui souligne que les ascenseurs et les rampes d’accès ne suffisent pas.

Or, même ces installations ne sont pas universellement disponibles pour les travailleurs handicapés. « Dans mes lettres de motivation, je parle de mon handicap aux employeurs – du fait que s’il y a des escaliers, je ne peux pas y travailler », confie Robert à propos de ses expériences en tant que demandeur d’emploi. « Mais les entreprises me rappellent quand même et lorsque je me rends à l’entretien, il m’est impossible d’accéder au bâtiment. »

Nous avons invité la MEA à faire part de ses commentaires mais nos démarches sont restées sans réponse.

Le droit au travail

Le gouvernement n’a pas hésité à offrir des carottes en plus de bâtons : les employeurs qui aménagent l’espace et les installations requises pour les personnes handicapées sont exonérés de leur part de cotisations de sécurité sociale et peuvent demander le remboursement d’un quart des salaires de ces travailleurs (jusqu’à 4.500 euros par an). En 2018, l’emploi de 209 travailleurs était subventionné dans le cadre de ce régime, alors que 13 employeurs se sont spécifiquement adressés à Jobsplus pour embaucher des travailleurs handicapés. Entre-temps, 246 employeurs ont payé des pénalités d’un montant proche d’un million d’euros.

Bien qu’à peine un tiers environ des demandeurs d’emploi à Malte aient recours aux services publics de l’emploi, Jobsplus constitue un point de départ habituel pour un demandeur d’emploi présentant un handicap déclaré (physique, sensoriel, d’apprentissage ou autre).

Ils sont d’abord dirigés vers un ergothérapeute qui se charge de les orienter vers un emploi protégé, assisté ou ordinaire. Les demandeurs d’emploi se voient ensuite proposer une consultation avec la Fondation Lino Spiteri, qui a pour mission d’aider les entreprises à créer des lieux de travail accessibles, grâce aux fonds collectés auprès des employeurs pénalisés. M. Axisa estime que la sanction pécuniaire n’est pas aussi sévère qu’il n’y paraît, vu le plafond de 10.000 euros sur les contributions des employeurs : « C’est l’équivalent de trois affichages publicitaires. Certains employeurs m’ont dit : “Je ne tiens pas à me lancer là-dedans, j’aime encore mieux payer l’amende.” Je ne peux pas leur en vouloir, car ils ne reçoivent pas le soutien auquel ils devraient normalement avoir droit selon moi. Qui forme l’employeur sur la manière de traiter une personne bipolaire ? », demande M. Axisa.

Les pénalités sont suffisantes pour financer le réseau des coaches emploi de la Fondation Lino Spiteri, qui aident également les travailleurs handicapés à gérer les problèmes sur les lieux de travail. Selon son site Internet, la fondation a aidé au total 780 personnes à trouver un emploi et 980 entreprises à embaucher des travailleurs handicapés. En 2018, elle a permis à 138 personnes handicapées de trouver un emploi.

Selon le dernier rapport annuel de Jobsplus, quatre cinquièmes des demandeurs d’emploi étaient satisfaits des services de la Fondation – mais cela signifie qu’un cinquième d’entre eux ne l’étaient pas. « Il arrive que [les organismes publics] aient des difficultés avec le réseau d’employeurs et ne puissent pas trouver de poste vacant pour les demandeurs d’emploi. Je suis secrétaire adjoint pour l’alimentation et l’hospitalité, secteur dans lequel nous avons un réseau d’employeurs », explique Gabriel Pullicino, secrétaire adjoint de section du General Workers Union (GWU). « Les entreprises de l’alimentation et des boissons et les entreprises manufacturières embauchent des personnes handicapées – y compris des handicaps mentaux – principalement pour des postes de classement et d’administration. » Il explique que le syndicat a invité la CRPD à orienter les demandeurs d’emploi vers leurs services : « Nous savons que ce sont de bons employeurs, car ils ont des conventions collectives. Nous négocions avec eux. »

M. Axisa met, toutefois, en garde contre la fragmentation des recherches d’emploi. Selon lui, maintenant que le système des quotas est en place, il est temps de se concentrer sur l’évolution des mentalités, à travers la création d’adaptations infrastructurelles et la recherche d’emplois de niche pour les personnes plus vulnérables. « C’est une question de compétences. Un employeur demande : “Que sait faire cette personne ?” Si vous parlez aux parents [qui, en l’absence d’une aide de l’État, sont souvent les principaux aidants des personnes avec un handicap physique ou intellectuel grave], ils vous diront : “Faites-leur faire faire des photocopies, mettez-les à la machine à déchiqueter ou au téléphone.” Mais il suffit d’aller dans le monde réel, dans l’industrie, pour se rendre compte que les documents ne sont plus déchiquetés sur place dans les bureaux. Les gens n’appellent plus sur une ligne fixe, ils appellent des portables, donc [dans la plupart des petites entreprises] il n’y a plus besoin de réceptionniste. »

M. Pullicino est d’accord : « Je ne pense pas que les quotas suffisent. [La Fondation devrait également] soutenir les employeurs et travailler avec les familles. Certains parents ont tendance à être très protecteurs et éprouvent de la difficulté à laisser leurs enfants partir travailler. Je peux comprendre cette réaction car il faut avoir du courage pour laisser partir les êtres qui nous sont chers. »

À Malte, 61 % des personnes entre 18 et 34 ans vivent encore chez leurs parents. Dû à l’absence d’infrastructures nationales adéquates, de nombreux jeunes qui, comme Robert, ne peuvent pas conduire, dépendent de leurs parents pour se déplacer. Selon M. Pullicino, le syndicat travaille avec les parents pour lutter contre les idées préconçues et implique dans ses instances décisionnelles des personnes avec différents types de handicaps.

L’étude présentée par Allison Zammit évalue le taux de maintien dans l’emploi des personnes handicapées comme « assez bon ». Neuf personnes interrogées sur dix n’ont rencontré aucun problème avec leur superviseur ou leurs collègues. À propos des obstacles, ils ont néanmoins mentionné le manque de moyens de transport accessibles pour se rendre au travail. Bien que l’exclusion puisse persister même lorsque des politiques d’emploi proactives sont en place, à Malte, le quota pour l’emploi des personnes handicapées contribue à faire avancer l’idée selon laquelle la recherche d’un emploi est, pour toutes les personnes qui en font le choix et en ont besoin, un droit et non de la charité.