Renforcement des droits communautaires sur les forêts – un enjeu clé pour la lutte contre le changement climatique

Renforcement des droits communautaires sur les forêts – un enjeu clé pour la lutte contre le changement climatique

Un projet pilote dans la région de la rivière Madre de Dios en Amazonie péruvienne a constitué l’un des premiers projets pilotes financés par la toute nouvelle Facilité internationale pour la propriété foncière et forestière.

(The International Land and Forest Tenure Facility)

Les peuples autochtones et les autres communautés locales jouent un rôle essentiel dans l’atténuation des effets du changement climatique. Et pourtant, bien qu’elles occupent 50 % des terres du monde, ces communautés n’en possèdent légalement que 10 %. Des groupes de la société civile appellent donc les gouvernements du monde entier à renforcer la protection des droits fonciers coutumiers.

Les terres gérées par les groupes communautaires jouent un rôle important de puits de carbone en permettant aux forêts de servir de réservoirs en absorbant le CO2 et en prévenant les effets nocifs liés à l’émission de ce gaz dans l’atmosphère. De fait, les forêts du monde emmagasinent collectivement plus de carbone que la quantité actuellement contenue dans l’atmosphère. Si les communautés autochtones ne sont pas légalement reconnues et protégées par les gouvernements et si le taux actuel de déforestation devait se poursuivre à la même allure, ces forêts deviendraient probablement une dangereuse source d’émissions de CO2.

Julio Ricardo Cusurichi Palacios, un dirigeant autochtone shipibo du Pérou et le lauréat du Prix Goldman 2007 pour son activisme citoyen en faveur de l’environnement, a déclaré à Equal Times que la solution repose sur un véritable engagement communautaire. « Nous souhaitons adopter une approche participative plutôt qu’imposée, afin de pouvoir proposer des solutions collectivement, » a-t-il déclaré.

Un projet de recherche de l’Initiative Droits et Ressources (Rights and Resources Initiative, RRI) a révélé en 2016 que les terres forestières indigènes et communautaires renferment au moins un quart du carbone stocké au-dessus du sol dans les forêts tropicales (54.546 millions de tonnes d’équivalents CO2, ou MtC), soit 250 fois plus que tout le CO2 émis par le trafic aérien mondial en 2015.

Et du fait de l’absence de reconnaissance officielle de la propriété foncière autochtone ou communautaire, plus de 22,3 millions MtC risquent d’être libérées par l’exploitation forestière illégale, l’appropriation illicite des terres et d’autres facteurs contribuant à la déforestation tels que le pâturage, l’exploitation minière et les pratiques agricoles comme la culture de l’huile de palme.

Andy White, coordinateur de la RRI, appelle au renforcement de la « sécurisation des tenures collectives » pour la protection et l’utilisation durable des forêts tropicales et du carbone qu’elles séquestrent.

«  Les forêts [autochtones et communautaires] stockent l’équivalent de quatre fois la quantité totale de carbone que l’activité humaine a émise dans l’atmosphère de notre planète en 2014, » a-t-il déclaré. Par ailleurs, près de 2,5 milliards de personnes, soit un tiers de la population de la planète, dépendent des terres communautaires pour leur subsistance. Le labourage permet à ces personnes d’être moins vulnérables et de bénéficier d’une plus grande sécurité alimentaire.

« De très nombreuses études ont démontré que les peuples et les communautés autochtones sont ceux qui réussissent le mieux à stopper la déforestation et à maintenir les arbres en position verticale, même mieux que les aires protégées qui ont été établies, » a déclaré White. « Leurs forêts freinent les pires conséquences que le changement climatique pourrait nous infliger, » déclare-t-il.

Approches fondées sur les droits en matière d’action contre le changement climatique

Sur les 54,5 millions MtC stockées dans les forêts tropicales collectives, plus de la moitié se trouvent en Amérique latine (30 millions MtC), plus spécifiquement au Brésil, en Colombie et au Pérou. L’Afrique subsaharienne constitue également un réservoir important (8,3 millions MtC), en particulier la République démocratique du Congo, l’Angola et le Cameroun.

Avant la conférence annuelle de l’ONU sur le changement climatique qui s’est tenue cette année à Bonn (COP23), une délégation de dirigeants communautairesd’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est a entrepris une tournée des capitales européennes en autocar. Ils souhaitaient faire reconnaître leur rôle dans la conservation des forêts tropicales et plaider en faveur de la promotion d’approches fondées sur le droit dans l’action contre le changement climatique.

Cette expédition a démarré le 24 octobre depuis la Royal Society de Londres où ils ont lancé un appel urgent à investir davantage dans les forêts pour tenter d’éradiquer la déforestation ainsi que la première étude visant à calculer l’état global du financement des forêts.

Des 167 milliards de dollars US de financement international du développement alloués à la réduction des émissions de carbone depuis 2010, seuls 2 % (3,6 milliards de dollars US) ont été consacrés à la lutte contre la déforestation. Les données indiquent que la protection des forêts peut contribuer à hauteur de 30 % à l’atténuation du changement climatique nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

La Brésilienne Sonia Guajajara, une puissante voix des organisations autochtones du bassin amazonien s’est exprimée ouvertement lors du lancement de l’expédition :

« C’est nous qui barrons la voie à la déforestation généralisée provoquée par l’appétit mondial pour le soja, le bœuf, l’huile de palme, le papier et le bois. Et c’est nous que l’on assassine parce que nous protégeons nos forêts. Si vous souhaitez arrêter cette dévastation, investissez dans nos peuples et protégez nos droits. La forêt tropicale est le théâtre des batailles les plus importantes, » a-t-elle déclaré.

Terres autochtones en première ligne

Les participants aux campagnes s’accordent à dire que le financement représente un défi de taille. « Nous devons investir davantage dans les arbres, » a déclaré Nancy Harris, directrice de recherche aux États-Unis pour Global Forest Watch. «  Si nous voulons sérieusement respecter l’Accord de Paris, nous devons canaliser le financement vers la conservation et le rétablissement des forêts. »

Dans ce but, une nouvelle initiative, la Facilité internationale pour la propriété foncière et forestière (International Land and Forest Tenure Facility), a été créée à Stockholm le mois dernier afin de contribuer au financement des efforts déployés par les communautés autochtones et locales en vue d’obtenir des titres de propriété pour leurs terres et d’accéder à leurs ressources.

Cette organisation est financée par plusieurs donateurs tels que les agences suédoises et norvégiennes de coopération internationale au développement et la Fondation Ford. Il s’agit de la première et de la seule institution de financement au monde qui se consacre à aider les autochtones à faire valoir leurs droits fonciers.

La phase pilote portait sur six projets en Afrique, en Asie et en Amérique latine qui ont reçu une assistance financière et technique. Des communautés du Cameroun, de l’Indonésie, du Libéria, du Mali, de Panama et du Pérou ont intensifié leurs efforts visant à délimiter leurs territoires et accéléré la mise en œuvre des lois et des politiques. Au cours de cette phase de lancement, ils ont pu faire valoir leurs droits sur plus de deux millions d’hectares de terres forestières.

Parmi les projets pilotes sélectionnés figurait la région très diversifiée de Madre de Dios, dans l’Amazonie péruvienne, où l’on trouve 36 communautés autochtones. Nombre de ces communautés requièrent une clarification juridique de leur territoire.

La FENAMAD, une organisation dirigée par Julio Ricardo Cusurichi Palacios, le leader autochtone lauréat du Prix Goldman, a réussi à intégrer les plans d’aménagement du territoire de cinq communautés autochtones couvrant 60.000 hectares et abritant une population de 900 personnes. Il reste cependant un long chemin à parcourir. « Nous sommes à la recherche d’alliés qui peuvent nous aider à participer à la promotion et au respect de nos droits, » a-t-il déclaré, notamment au niveau local et fédéral.

L’organisation Tenure Facility a permis de favoriser le dialogue et la négociation, selon sa directrice, Nonette Royo, mais il reste encore beaucoup à faire. «  Les peuples autochtones se sont rendu compte que même si les constitutions [de leurs pays] reconnaissent leur existence, ils n’ont pas la reconnaissance de leurs droits. Ils sont nombreux à avoir été expulsés des terres sur lesquelles ils vivaient depuis des générations parce qu’ils ne disposaient pas de titres fonciers. » Si les nations ne sont pas prudentes, prévient Royo, « nous perdrons les dernières communautés qui se soucient vraiment de l’intégrité des forêts ».

Au cours de la prochaine décennie, l’organisation Tenure Facility consacrera annuellement 10 millions de dollars US à des projets visant à étendre les terres forestières communautaires et autochtones protégées et bien gérées portant sur 40 millions d’hectares. Cela permettrait d’éviter l’émission de 0,5 gigatonne de CO2 et la déforestation d’au moins un million d’hectares.

De plus, l’Accord de Paris a créé une nouvelle plate-forme pour les peuples autochtones. Lors de la récente COP23, Patricia Espinosa, la secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a appelé à son élargissement.

« Cette plate-forme reconnaît que les peuples autochtones sont particulièrement vulnérables [aux changements climatiques], mais qu’ils sont aussi pourvoyeurs de solutions grâce à leurs connaissances ancestrales. Cette plate-forme constituera un espace permanent qui leur permettra de peser sur l’agenda climatique, » a-t-elle déclaré aux journalistes à Bonn.

Cet article a été traduit de l'anglais.