Retournés et jetés en masse : le coût caché des produits du consumérisme mondial

Retournés et jetés en masse : le coût caché des produits du consumérisme mondial

Two employees work at one of the warehouses of Logifashion, a Spanish multinational logistics company that manages fashion shipments and, increasingly, the collection of returns.

(Logifashion)
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Environ 131 milliards de colis ont sillonné la planète en 2020. Au beau milieu de la paralysie mondiale entraînée par la pandémie de Covid-19, des T-shirts, des chaussures et des appareils électroniques ont traversé en masse les océans, les autoroutes et les villes pour satisfaire les désirs urgents de leurs acheteurs.

131 milliards d’envois en un an, soit environ 4.000 envois par seconde. La plupart de ces derniers envoyés vers un foyer, vers une habitation quelconque, mais aussi beaucoup d’autres qui empruntaient le chemin du retour. C’est le revers de la société de consommation : les retours en masse. Les estimations indiquent qu’un produit sur trois acheté en ligne est renvoyé dans les trois mois suivant son achat. Où ? La plupart des consommateurs ne le savent pas.

Renvoyer un achat est un droit, mais ce droit s’est depuis longtemps transformé en une avalanche de chiffres ingérables. L’année dernière, rien qu’aux États-Unis, les consommateurs ont renvoyé pour plus de 102 milliards de dollars US (90,95 milliards d’euros) de marchandises achetées en ligne, soit 18 % du total.

« Les retours se multiplient parce que de plus en plus de gens achètent en ligne, mais aussi parce que nous avons pris de mauvaises habitudes.»

« Aujourd’hui, les retours sont nombreux, surtout dans le domaine de la mode, des chaussures et des accessoires », a déclaré à Equal Times Jordi Ordóñez, consultant spécialisé dans le commerce électronique.

Avec l’émergence de grandes plates-formes telles qu’Amazon et leurs politiques agressives d’acquisition de clients, le retour d’un article est devenu un processus de plus en plus facile et, dans de nombreux cas, gratuit pour le consommateur. C’est après que les choses se compliquent.

Chaque fois qu’un ordre de retour est donné, le produit entame un long et coûteux voyage de retour. Un très long périple qui traverse souvent plusieurs entrepôts, voire plusieurs frontières, et qui va parfois directement du domicile du consommateur insatisfait à la poubelle.

Renvoyez-le, c’est gratuit

Paradoxalement, en tant qu’acheteurs, nous n’aimons pas renvoyer des produits. Francis Blasco, doyenne de la faculté de commerce de l’université Complutense de Madrid et spécialiste du neuromarketing, l’a constaté dans son laboratoire. « En général, les gens n’aiment pas restituer. De nombreuses études l’ont démontré. Les consommateurs aiment faire le bon choix. Si quelqu’un renvoie quelque chose, c’est parce qu’il ou elle en a besoin ».

D’ailleurs, nous ne retournons pas de la même manière dans les magasins physiques ou en ligne. Là où 20 à 30 % des achats en ligne sont retournés (voire jusqu’à 50 % lors de périodes spéciales telles que Noël ou Black Friday), dans les magasins traditionnels, nous renvoyons entre 6 et 8 % des articles.

La marge d’erreur associée aux achats en ligne est plus grande, les produits n’étant pas toujours bien décrits ou, dans le cas des vêtements, les tailles n’étant pas toujours adaptées.

Une étude de la société de logistique UPS révèle que près de 60 % des retours sont dus à un produit endommagé ou ne correspondant pas à la description. Cependant, il existe une autre statistique : les 17 % d’acheteurs qui renvoient la marchandise simplement parce qu’ils n’en veulent plus ; parce qu’ils ont changé d’avis. C’est ce qu’on appelle le droit de rétractation, mais la distinction entre ce droit et l’abus de celui-ci est ténue.

Un exemple concret : les personnes qui achètent trois vêtements identiques, mais de couleurs et de tailles différentes, pour n’en garder qu’un et renvoyer les autres. C’est un phénomène appelé « bracketing » en anglais (à savoir mettre quelque chose entre parenthèses) et qui est devenu courant, surtout chez les jeunes acheteurs de 21 à 29 ans. Ils achètent des biens en sachant à l’avance qu’ils les retourneront.

« Le problème, c’est le tout gratuit », insiste Jordi Ordóñez, « Si on vous propose un open-bar, si vous ne payez pas le retour, vous vous habituez à renvoyer le paquet sans aucune conséquence. Certaines personnes achètent même un produit pour le prendre en photo, mettre cette photo en ligne sur Instagram ou TikTok avant de le retourner ». Une habitude dangereuse, souligne M. Ordóñez, car ce qu’ils qualifient de gratuit a un coût bien réel.

Le kilomètre noir

« Les transports sont responsables de 40 % de la pollution directe ou indirecte dans les villes », avertit May Lopez, experte en logistique durable. C’est pour cette raison que le « dernier kilomètre », c’est-à-dire le trajet d’un produit jusqu’à la porte du consommateur, a un tel impact sur l’environnement. « Même en utilisant un véhicule électrique, le fait d’apporter un produit jusqu’à un domicile génère du trafic, du bruit et de la pollution », explique-t-elle.

Dans le cas des retours, le trajet et l’impact sont multipliés par deux, avec une difficulté supplémentaire : les colis sont plus difficiles à regrouper. Un rapport de la société de logistique Optoro indique que le transport mondial des retours de marchandises émet 15 millions de tonnes de CO2 chaque année. Une autre étude, de l’Université de Bamberg en Allemagne, a estimé l’impact des retours en Allemagne à 238.000 tonnes de CO2, soit l’équivalent de 2.200 trajets quotidiens en voiture de Hambourg à Moscou.

Dans de nombreux cas, les marchandises retournées ne sont pas renvoyées à leur point de départ, mais plutôt vers d’autres entrepôts où elles font l’objet d’une inspection. Ces entrepôts se trouvent parfois à des milliers de kilomètres. Sharon Cullinane, professeure à l’université de Göteborg, en Suède, s’est penchée sur la question et a constaté que certaines entreprises suédoises externalisent le traitement des retours dans des pays où les salaires sont plus bas, comme la Pologne, l’Estonie ou même certains pays asiatiques.

Une fois les produits arrivés dans ces entrepôts, le périple continue. Il convient alors de les vérifier, désinfecter, reconditionner (lorsque le produit est à nouveau vendu), et ce, le plus rapidement possible, surtout s’il s’agit d’articles de mode. « Si vous êtes lent et que vous ne remettez un vêtement sur le marché qu’un mois et demi ou deux mois plus tard, il a très peu de chances d’être revendu », explique Lluís Alarcón, site manager chez Logifashion, une multinationale espagnole de logistique qui gère les expéditions de mode et, de plus en plus, la collecte des retours.

« Ce sont les marques qui nous donnent les instructions à suivre : elles nous indiquent si elles souhaitent réintégrer le retour dans le circuit normal de vente, si elles souhaitent le reconditionner pour le marché de l’occasion ou si elles souhaitent l’envoyer vers d’autres canaux ».

On touche à présent à un autre point critique. D’après l’université de Bamberg, 79 % de tout ce que nous retournons est revendu tel quel, 13 % partent dans des marchés d’occasion, 2,1 % sont recyclés, 0,9 % sont donnés à une œuvre caritative et 3,9 % sont détruits. L’université allemande souligne que, chaque année, quelque 20 millions d’articles finissent à la poubelle avant d’être utilisés. Parmi ceux-ci, un peu plus de 7 millions sont en parfait état. Ils ont été fabriqués, conditionnés, transportés puis renvoyés et ont donc eu une vie inutile.

Acheter, renvoyer, jeter

En 2019, un militant de Greenpeace Allemagne s’est infiltré dans le centre logistique d’Amazon à Winsen. Il y a vu comment certains des retours aboutissaient dans une pièce appelée « zone de destruction ».

La même année, une émission française dénonçait la même pratique sur un site Amazon en Saône-et-Loire et plus tard (en 2020 au Canada et en 2021 au Royaume-Uni), deux autres enquêtes journalistiques révélaient la même réalité : la destruction par Amazon de centaines de produits qui n’avaient jamais servi. Pas seulement les retours, mais également certains stocks qui n’ont jamais été vendus.

« Cette pratique n’a aucune logique », critique Celia Ojeda, responsable Consommation chez Greenpeace Espagne. « Si nous nous rendons dans un magasin de vêtements et essayons un pantalon, nous ne comprendrions jamais que, lorsque nous quittons le magasin, la personne responsable des cabines d’essayage le jette. Alors, pourquoi est-ce que cela se produit dans le cas des achats en ligne ? »

La raison est qu’il est parfois plus coûteux de reconditionner un produit que de le détruire. « Le retour est gratuit, mais c’est le détaillant qui le paie, non seulement en raison de la marge perdue, mais aussi à cause de tous les frais supplémentaires : transport, inspection, stockage. Pour les fournisseurs externes qui vendent par l’intermédiaire d’Amazon, le prix de l’entrepôt est mensuel et cubique.»

« Parfois, il est plus économique de donner ou de détruire les produits que de les conserver », explique Jordi Ordóñez.

Lluís Alarcón reconnaît que dans son secteur, on lui demande également de détruire des vêtements si, par exemple, ils ont des taches compliquées ou des défauts difficiles à réparer, mais il assure qu’« auparavant, c’était plus courant qu’aujourd’hui ; ces derniers temps, il existe tellement de canaux alternatifs de vente d’occasion, tellement d’installations pour vendre dans d’autres pays et continents que cela a diminué ».

Le fait est que cette question manque de transparence. La plupart des entreprises ne communiquent aucune information sur ce qu’elles font de leurs retours. Certains pays, notamment l’Allemagne et la France, ont mis en place une législation interdisant la destruction des produits encore aptes à la vente, et des lois similaires sont en cours d’élaboration en Espagne et à la Commission européenne, mais les écologistes, en complément de la loi, appellent à la vigilance pour empêcher, entre autres, certaines de ces entreprises d’envoyer leurs produits rejetés dans des pays tiers qui se chargeront de leur destruction.

Est-il possible de réduire le nombre de retours ?

Ne serait-ce que pour des raisons économiques, les entreprises elles-mêmes ont tout intérêt à réduire et à gérer efficacement leurs retours. Dans cette optique, des propositions sont déjà mises en œuvre, telles que l’amélioration des informations sur les produits sur les sites Web (avec des photos, des vidéos, voire des cabines d’essayage virtuelles), l’allongement des périodes de retour, la mise en place de contrôles de qualité pour s’assurer que les marchandises n’arrivent pas endommagées, le remplacement des retours de marchandises à domicile par des retours dans des casiers ou des magasins physiques.

« Nous avons lancé un mouvement : la livraison durable », déclare May Lopez. « Au lieu de livrer et de renvoyer les produits à votre domicile, vous optez pour des points de proximité, des magasins de quartier, pour le faire là-bas. De cette façon, nous regroupons les envois, réduisons de 20 % les émissions du dernier kilomètre, facilitons les retours sans qu’un livreur doive passer et repasser en attendant que vous soyez chez vous, et ce, tout en soutenant le commerce local par la même occasion. »

Les grandes plates-formes telles qu’Amazon ou Walmart ont opté pour une initiative différente. Elles ont créé un algorithme capable de calculer combien leur coûte chaque retour. Si cela n’est pas rentable, ils remboursent l’argent au client, mais ce dernier garde le paquet. « Cela me semble injuste, car, en fin de compte, vous reportez la responsabilité sur le consommateur. Le fait que vous gardiez le produit chez vous n’est pas une solution au problème », déclare Celia Ojeda de Greenpeace, car, au bout du compte, c’est le consommateur qui finira par le jeter.

Ce que les entreprises peuvent faire, c’est cesser de proposer gratuitement quelque chose qu’elles n’ont pas été en mesure de gérer jusqu’à présent. « Le consommateur doit assumer certains coûts », soutient la doyenne, Francis Blasco.

La proposition est peut-être impopulaire (près de la moitié des acheteurs en ligne partent du principe que les retours sont gratuits), mais elle est utile. Selon l’université de Bamberg, des frais de retour d’environ 2,95 euros (3,31 dollars US) imposés par la loi permettraient d’éviter 16 % des retours et de réduire la concurrence déloyale des grandes plates-formes vis-à-vis des petits commerces.

Payer, dit-on, est une façon de prendre conscience. Après tout, les retours ne sont jamais gratuits, ils coûtent toujours quelque chose à quelqu’un ; aux vendeurs, aux sociétés de transport et au bout du compte à la planète, c’est-à-dire à nous tous.

This article has been translated from Spanish by Charles Katsidonis