Revers pour les non-musulmans de Malaisie

Revers pour les non-musulmans de Malaisie

Un groupe d’enfants regarde passer la manifestation organisée le 18 février dernier à Kuala Lumpur par le parti islamique PAS (groupe qui préconise un rôle plus important des tribunaux islamiques en Malaisie) en faveur du projet de loi 355, aussi appelé RUU355.

(AP)

Ils étaient « trop près » l’un de l’autre. C’est la raison pour laquelle en janvier dernier, plusieurs fonctionnaires religieux ont investi la chambre de Mohd Ridhuan Giman et Siti Sarah Maulad Abdullah. Il était deux heures du matin et le couple se trouvait dans un hôtel bon marché de Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie.

L’homme et la femme, âgés de 34 et 26 ans respectivement, sont mariés depuis plus de trois ans. Malgré cela, une équipe de huit agents de la police des mœurs a pénétré de force dans la chambre pour surprendre en flagrant délit les (supposés) amants clandestins et les remettre ensuite aux services judiciaires.

Selon la section 27 de la loi sur les infractions pénales de la charia (loi islamique), les musulmans ne peuvent pas se trouver en présence d’un membre du sexe opposé qui n’est pas son conjoint ou un membre de sa famille, dans un lieu isolé, une maison ou une chambre (une offense connue sous le nom de khalwat). Toute personne qui se trouve en situation « immorale » ou qui est soupçonnée de commettre des « actes immoraux » s’expose à une amende de 3000 ringgits (environ 630 euros, ou 690 dollars US), à deux ans d’emprisonnement voire aux deux peines.

En Malaisie, environ 60 % de la population est musulmane, la majorité de souche malaise. Les autres minorités du pays, notamment les communautés d’origines ethniques chinoise et indienne, ont critiqué la croissante « islamisation » du pays, qui menace le caractère laïque de l’État et, en conséquence, met en danger les libertés civiles.

La Constitution de 1957 garantit, en théorie, la liberté religieuse pour les membres des autres confessions, tout en établissant cependant que l’islam est la « religion de la Fédération », bien que pour des sujets cérémoniels.

Les musulmans sont soumis à un double système juridique et les atteintes morales et religieuses sont jugées par les tribunaux de la loi islamique, qui sont différents de ceux du système judiciaire ordinaire.

Le couple arrêté en janvier insista auprès des agents sur le fait qu’ils étaient mariés et ils avaient même montré une copie de leur certificat de mariage sur leur téléphone mobile, mais les agents refusèrent de quitter la chambre. On emmena alors les mariés, accusés de khalwat, à un bureau des autorités religieuses et ils ne furent libérés que lorsque la mère de Mohd Ridhuan Giman eut présenté la copie originale du certificat de mariage.

Mohd Ridhuan et Siti Sarah visent à présent à obtenir une indemnisation pour les dommages causés à leur réputation et à leur dignité, outre les soins hospitaliers qui leur ont été nécessaires à cause des blessures subies en se débattant face aux agents.

« Si cela peut arriver à mes clients, cela peut arriver à n’importe qui, », a déclaré l’avocat Yussoff devant les journalistes après avoir déposé la plainte du couple. « Nous engageons cette action [juridique] afin de corriger cet abus de pouvoir et que la justice soit rendue. »

Moment clé pour la mouvance radicale en Malaisie

Les militants consultés par Equal Times expliquent que le pouvoir des autorités religieuses de la « ligne dure » prend de plus en plus de force en Malaisie. Les fatwas (sentences religieuses) sont devenues la jurisprudence islamique. Parmi les crimes qui violent la charia, outre le sexe prénuptial ou extraconjugal, on trouve la consommation d’alcool, ne pas jeûner pendant le mois du ramadan ou s’absenter de la mosquée le vendredi.

Depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1957, la Malaisie a été gouvernée sans interruption par la coalition Barisan Nasional. Celle-ci inclut les partis représentant les plus grands groupes ethniques, et est dirigée par le parti malais UMNO, qui occupe des postes clés comme celui de Chef du gouvernement.

Au cours des deux dernières décennies, la coalition a bloqué les propositions (du parti islamique de l’opposition PAS et d’autres groupes islamiques) visant à adopter les châtiments appelés hudûd en Malaisie, les amputations et les lapidations constituant certaines des formes les plus extrêmes du Code pénal islamique.

Toutefois, le contexte politique au sein de la coalition a changé depuis que la popularité du Premier ministre Najib Razak a été fragilisée par un scandale lié au fonds d’investissement public 1MDB, outre une perte d’électorat indien et chinois de son parti, ce qui explique son rapprochement tactique avec les positions du PAS.

En avril dernier, le PAS réussit, in extremis, à présenter au Parlement son projet de loi 355, qui a pour objectif de durcir les peines prononcées pour atteinte à la loi islamique (même si le président de la chambre basse a empêché un débat ultérieur). À l’heure actuelle, les tribunaux de la loi islamique imposent des peines maximales de trois ans de prison, des amendes allant jusqu’à 5000 ringgits (environ 1060 euros ou 1150 dollars US) et six coups de fouet. Le projet de loi proposé par le président du PAS, Abdul Hadi Awang, vise à rehausser ces limites à 30 ans, 100 000 ringgits (21 000 euros ou 23 000 dollars US) et 100 coups de fouet.

Phil Robertson, directeur adjoint pour l’Asie de l’organisation des droits de l’homme Human Rights Watch, explique à Equal Times qu’il s’agit d’une proposition abusive, d’« un châtiment cruel et inhabituel pour infliger et imposer des peines de prison disproportionnées pour des actes qui ne devraient pas être considérés comme des délits. »

Le projet, qui suit son cours, a rencontré l’opposition virulente de nombreux dirigeants des différents États du pays, principalement de Sabah et Sarawak, qui ont signé une lettre ouverte reproduite dans plusieurs médias du pays, où ils soutiennent que la liberté religieuse est ce qui a permis de fonder la Malaisie.

Pour les signataires du texte, le système juridique général (que le PAS accuse d’être un vestige colonial, contrairement à la charia, malaise à proprement parler) doit s’appliquer à toute la population, tandis que la législation religieuse ou coutumière ne peut s’appliquer qu’aux membres d’une communauté spécifique pour des « questions personnelles et familiales ».

Chin Huat, directeur de la section d’analyse politique et sociale de l’Institut Penang de Malaisie, attire l’attention d’Equal Times sur le fait que l’adoption du projet entraînerait l’adoption des châtiments hudûd.

« Deux États de Malaisie, le Kelantan et le Terengganu, ont promulgué une liste de sept châtiments hudûd dans leurs lois de la charia, » explique Huat.

« Si le projet de loi 355 est activé, les châtiments hudûd [notamment] seront immédiatement activés : 100 coups de fouet pour la fornication, 80 coups pour l’accusation sans fondement d’adultère ou de sodomie et 40 à 80 coups pour la consommation d’alcool ».

Le projet de loi 355, poursuit l’expert, ne concerne pas les non-musulmans, mais « seulement si on le lit de manière restrictive et en ignorant le contexte. » Huat cite comme exemples les difficultés rencontrées pour quitter l’islam et les cas de différends par lesquels les non-musulmans peuvent avoir été convertis involontairement à cette religion.

L’un des cas les plus retentissants est celui d’Indira Gandhi, une femme hindoue. Son ex-mari s’est converti à l’islam et a converti leurs enfants à la même croyance (sans le consentement de son ex-femme ou des enfants) en utilisant leurs certificats de naissance, avant de s’enfuir en 2009 en emportant avec lui sa fille de 11 mois.

L’affaire est toujours en cours d’instruction dans les tribunaux en raison de la collision entre les tribunaux civils et les tribunaux de la charia. Les non-musulmans sont confrontés à un handicap légal lorsque leur cas est entendu par un tribunal islamique, car on ne leur permet pas de comparaître ; pas même pour argumenter leur propre cas.

En conséquence, dans les litiges relatifs à la garde des enfants entre couples de religions différentes, un père musulman dispose de plus de chances d’obtenir la garde, plus encore si les enfants se sont convertis à l’islam.

En mars 2010, la garde des trois enfants a été accordée à Indira, mais son ex-mari n’a pas rendu sa fille et, par ailleurs, n’a pas eu à subir une quelconque conséquence pour avoir enlevé un mineur. Les conversions d’enfants ont été annulées en 2013.

Le proéminent avocat Fahri Azzat déclare à Equal Times que la réussite du projet d’endurcissement de la charia est secondaire. « Pour moi, la question n’est pas de savoir s’il réussira ou pas, mais, plutôt de savoir pourquoi ce projet existe en premier lieu : pour influencer les voix des Malaisiens islamistes à l’avantage d’UMNO ».

« Le projet de loi existe pour garder l’électorat aussi bien malaisien que non malaisien de son côté, » poursuit l’avocat ; c’est-à-dire pour garder son électorat multiculturel et, par ailleurs, y ajouter les voix des islamistes.

« Ceci s’avère crucial, car les élections générales devraient se tenir à tout moment cette année. La machine électorale est déjà en marche ».

Cet article a été traduit de l'espagnol.