Silence et perte de mémoire au Burundi

Opinions

Le 17 août, sans surprise, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti de Pierre Nkurunziza, a refusé la présence de 228 policiers de l’Organisation des Nations unies (ONU) au Burundi. Le Conseil de sécurité avait en effet voté le 19 juillet une résolution prévoyant le déploiement progressif d’une force de sécurité au Burundi, pour tenter d’y ramener le calme et de faire respecter les droits humains.

C’est une démonstration de plus de la dérive autoritaire d’un gouvernement qui veut gouverner seul et sans partage, malgré le chaos et la terreur qui règnent au Burundi depuis que Nkurunziza a décidé en avril 2015 de briguer un troisième mandat.

Le mois dernier déjà, le gouvernement avait refusé de participer à la séance d’inauguration du deuxième round des négociations pour sortir de la crise burundaise, à Arusha, en Tanzanie. La partie gouvernementale entendait ainsi protester contre la présence aux discussions des leaders de l’opposition, qu’elle qualifie de tous les maux.

Sont dans la ligne de mire du gouvernement aussi bien les leaders de la société civile – qui ont lancé le mouvement de contestation pacifique – que ceux de l’opposition aujourd’hui en exil, les frondeurs, les journalistes, ainsi que les chefs des mouvements rebelles sous le coup de mandats d’arrêts fantaisistes lancés par la justice burundaise, sous le joug de l’exécutif.

Qu’on oublie vite ! Rappelons que le CNDD-FDD était qualifié, à l’époque de la négociation des accords d’Arusha de 2000, de « terroristes tribalo-génocidaires » par le pouvoir de l’époque.

Et de surcroît, leur leader, qui n’est autre que Nkurunziza, était condamné à mort par contumace suite à un dossier lié à des mines antipersonnel dans la capitale Bujumbura qui ont emporté plusieurs vies humaines.

Le gouvernement de Bujumbura, qui est une partie dans le conflit, serait-il en bonne posture pour choisir qui peut participer aux négociations ?

Pour mieux appréhender la crise burundaise, la médiation devrait ne privilégier aucune partie. Et pour réussir ce pari, elle a besoin du soutien indéfectible de la région, de l’Union africaine et de l’ONU.

Surtout, il est primordial de ne laisser personne derrière, pour éviter de perdre du temps et des moyens alors que les vies humaines sont en péril au quotidien au Burundi.

Les journalistes ont, eux-aussi, un rôle essentiel pour sortir le Burundi de la crise.

 

Les journalistes visés

Au Burundi, il y a plus de 450 journalistes qui travaillent dans les médias publics et privés. La radio est le média de prédilection pour la grande majorité des Burundais, grâce notamment à la propagation continuelle des téléphones portables équipés de récepteurs FM.

Mais depuis plus d’un an, on assiste impuissant au déni du droit du public à l’information pourtant consacré par la Constitution ; celle-là même que Nkurunziza a foulée au pied.

Une centaine de journalistes ont déjà été contraints à l’exil, tandis que plusieurs organes de presse ont été fermés, voire détruits à l’arme lourde.

De nombreux autres professionnels des médias ont été incarcérés sans preuve, battus, torturés, intimidés ou interdits d’exercer leur travail.

Le 14 octobre 2015, le journaliste reporter d’images et caméraman Christophe Nkezabahizi, de la Radio-télévision nationale burundaise (RTNB), sa femme et ses deux enfants ont été tués lors d’une opération des forces de l’ordre dans un quartier contestataire Ngagara à Bujumbura, la capitale. Ses assassins courent toujours.

La répression massive sur les médias a commencé dès l’annonce de Nkurunziza de briguer un troisième mandat. Face aux manifestations pacifiques, la police descend en masse, disperse les rassemblements et boucle les voies menant vers le centre-ville.

Les médias commencent à en parler dans les bulletins du matin dès le 26 avril 2015. Les premières mesures de représailles tombent immédiatement. Les antennes desservant l’intérieur du pays de quatre radios indépendantes sont coupées. Parallèlement, les menaces contre les journalistes se multiplient. Certains sont obligés d’entrer en clandestinité pour éviter d’être éliminés.

Les manifestations s’amplifient jusqu’au putsch manqué du 13 mai 2015. Une aubaine pour le pouvoir qui utilise ce prétexte pour se débarrasser de toute voix discordante. Tous les contestataires sont mis dans un même sac et sont qualifiés de putschistes ou de terroristes par la clique autour de Nkurunziza.

Une chasse à l’homme est lancée contre tous les « ennemis de la nation ». Les journalistes en font partie, estime le gouvernement. Des radios indépendantes sont détruites à l’arme lourde dans la nuit du 13 au 14 mai 2015.

Les leaders des partis de l’opposition ainsi que les organisations de la société civile ayant participé aux mouvements de contestation sont contraints à l’exil. Une centaine de journalistes également.

J’ai subi le même sort. Depuis mai 2015, ma femme – qui est aussi journaliste –, nos trois jeunes enfants et moi-même vivons à Kigali, au Rwanda. En tant que président de l’Union burundaise des journalistes, je n’ai eu de cesse de dénoncer les attaques contre les médias. Ces prises de position ont entraîné des menaces et des attaques aux gaz lacrymogènes contre ma famille.

Selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), les réfugiés burundais au Rwanda, en Tanzanie, en République démocratique du Congo et au Kenya s’élèvent à plus de 270.000. Mais sortir du pays et même de Bujumbura est désormais devenu beaucoup plus problématique. Toutes les entrées et sorties sont contrôlées à la loupe par des policiers et miliciens Imbonerakure lourdement armés. Ceux qui ont eu la malchance d’être arrêtés ont subi de mauvais traitements dégradants et inhumains.

Les quelques journalistes courageux restés au Burundi opèrent dans la peur permanente d’être emprisonnés, voire tués.

La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a dénoncé les violations envers les journalistes burundais à de multiples reprises.

Dans une lettre adressée à Nkurunziza, la FIJ affirme que « La situation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse s’aggrave de jour en jour pour les journalistes burundais en exil, mais aussi pour ceux qui sont restés au pays. Leurs organes de presse étant détruits, ils se sont organisés pour s’occuper et travailler en ligne, mais malheureusement ils sont frappés d’une interdiction de se rendre sur terrain et se font continuellement harceler, arrêter, et accuser de travailler avec la rébellion. »

Les professionnels des médias se débattent en effet comme ils peuvent pour refuser ce déni du droit du public à l’information, imposé par le pouvoir de Bujumbura.

Différentes initiatives ont vu le jour à l’intérieur comme à l’extérieur du pays que ce soit par le biais de radios ou de réseaux sociaux.

Certes, le public couvert reste limité et la connexion internet n’est pas encore généralisée comme dans les pays voisins. Mais c’est déjà une avancée pour la survie des médias indépendants et surtout des journalistes.

Espérons que, demain, ces initiatives deviennent de puissants relais médiatiques. Ne dit-on pas chez nous que « ceux qui chantent aujourd’hui n’étaient que poussins hier… ».

This article has been translated from French.