Thaïlande: insulter le Roi vous mène en prison

 

En Thaïlande, toute critique du Roi ou d’un membre de la famille royale peut valoir à son auteur jusqu’à 15 ans de prison. L’article 112 du Code pénal réprime toute parole ou acte qui « diffame, insulte ou menace le Roi, la Reine, leurs héritiers ou le régent ».

En Thaïlande, toute critique du Roi ou d’un membre de la famille royale peut valoir à son auteur jusqu’à 15 ans de prison.

L’article 112 du Code pénal réprime toute parole ou acte qui « diffame, insulte ou menace le Roi, la Reine, leurs héritiers ou le régent ».

N’importe qui peut déposer une plainte pour lèse-majesté. La police est alors tenue de mener une enquête.

A l’heure actuelle, la plupart des poursuites pour crime de lèse-majesté sont initiées par le DSI (Department of Special Investigation – Département des enquêtes spéciales) ou des partisans des « chemises jaunes », les militants royalistes, mais au cours de l’histoire récente de la Thaïlande, l’article 112 a été utilisé par des personnes de tous bords politiques.

Les victimes des accusations peuvent être des politiciens, des militants pour les droits des travailleurs, des internautes, voire de simples citoyens.

Les adversaires de l’article 112 soulignent que même le souverain actuel (le Roi Bhumibol, âgé de 85 ans, qui a récemment quitté l’hôpital où il séjournait depuis 2009) a critiqué cette législation en reconnaissant dans un discours en 2005 que

« le Roi peut commettre des erreurs. Je dois aussi être critiqué. Je n’ai pas peur lorsque la critique concerne ce que je fais de mal, car alors je m’en rends compte ».

Cela n’a pas empêché une augmentation très nette du nombre de plaintes pour crime de lèse-majesté reçues par les tribunaux entre 2006 et 2010 (de 30 à 478 cas).

Cette hausse est notamment due à l’instabilité politique qui a suivi le coup d’Etat militaire de 2006. Le nombre de plaintes a diminué en 2011 (84 cas).

L’un des procès pour lèse-majesté qui a fait le plus de bruit en 2013 est celui de Somyot Pruksakasemsuk, ancien coordinateur de l’ICEM (1) en Thaïlande. Somyot a été arrêté en avril 2011, cinq jours après avoir lancé une pétition qui visait à obtenir 10.000 signatures pour demander une révision par le Parlement de la loi de lèse-majesté.

Il a été condamné le 23 janvier 2013 par la Cour pénale de Bangkok à 10 ans de prison pour deux articles publiés dans un magazine dont il était rédacteur en chef, et considérés comme insultants vis-à-vis de la monarchie. La Cour a ajouté une année supplémentaire à cette peine pour un autre délit de diffamation commis précédemment.


Des preuves insensées

Pour beaucoup d’observateurs, la faiblesse des preuves et la sévérité des peines montrent que c’est surtout le soutien de Somyot à une révision de la loi de lèse-majesté qui posait problème au tribunal, bien plus que les articles dont le caractère offensant vis-à-vis de la famille royale n’a jamais été prouvé.

Le premier article était un conte concernant une famille qui commet des massacres pour se maintenir au pouvoir, l’autre est une fiction au sujet d’un fantôme qui hante la Thaïlande et planifie des tueries.

La Cour a estimé que la famille royale et le Roi étaient visés par ces contes.

« On ne pouvait vraiment pas le punir avec des preuves aussi faibles, il n’y avait aucune insulte du Roi dans ces histoires mais en Thaïlande, c’est l’avis du tribunal qui est important, pas la solidité des preuves », a confié à Equal Times le Dr Suthachai Yimprasert, historien de l’Université de Chulalongkorn.

Somyot est actuellement incarcéré à Bangkok. « Ses conditions de détention sont un peu meilleures que celles des autres détenus car il a été placé dans la section des nouveaux entrants, qui n’est pas aussi bondée que les autres, témoigne Sukanya Pruksakasemsuk, l’épouse de Somyot et porte-parole de la campagne luttant pour sa libération.

Certaines sections comptent près de 50 détenus par cellule, dont beaucoup sont atteints de maladies contagieuses, comme la tuberculose.

La section de Somyot ne compte « que » sept à huit détenus par cellule. Ça reste très dur, notamment en été, quand la température atteint 40 ou 42 degrés. Il n’arrive pas à bien dormir à ce moment, et sa santé décline ».

Somyot s’accroche au faible espoir d’une libération sous caution, en attendant que son cas soit revu en appel.

« Un jugement en appel prend de deux à cinq ans, et se limite à un réexamen par le juge des arguments légaux que nous lui soumettons, à moins qu’il décide de convoquer de nouveaux témoins, précise Sukanya Pruksakasemsuk.

Si la Cour d’appel rend le même verdict, nous pouvons aller devant la Cour suprême, ce qui peut prendre 10 ans ! Somyot fait beaucoup d’efforts pour se motiver, mais son moral oscille.

Nous savons tous que ce type d’accusation n’a jamais donné lieu à une libération sous caution avant un jugement, mais il ne veut pas abandonner ».

Des étrangers ont aussi été condamnés pour crime de lèse-majesté ces dernières années en Thaïlande, mais ils reçoivent généralement un pardon royal et sont déportés du pays.

Plusieurs universitaires, écrivains et militants thaïlandais pour les droits des travailleurs ont quitté le pays de peur d’être arrêtés sur base de celle loi.

C’est le cas notamment de Junya Lek Yimprasert, fondatrice de la Thai Labour Campaign. Elle a été confrontée en 2013 à une accusation de lèse-majesté:

« Trois de mes amis ont été interrogés par le DSI et un procureur général qui leur ont posé des questions à mon sujet. Ils leur ont dit que l’interrogatoire était lié à mon article « Why I don’t love the King ». Quatre militants pour les droits des travailleurs sont actuellement en exil en raison de la loi sur le crime de lèse-majesté ».


Un Roi vénéré

Le roi de Thaïlande ne joue aucun rôle politique officiel mais il est vénéré par la majorité de ses concitoyens. Cette dévotion laisse le champ libre aux interprétations les plus délirantes de l’article 112.

« En avril dernier, un talk-show télévisé avait invité des universitaires à discuter de la monarchie en tant qu’institution, en évitant de parler des individus. Ça a suffi pour que des gens poursuivent la chaîne et les participants à l’émission », note Sukanya Pruksakasemsuk.

Les jugements rendus couvrent souvent la justice thaïlandaise de ridicule, comme dans le cas d’Amphon Tangnoppakul, un homme de 61 ans condamné en novembre 2010 à 20 ans de prison pour avoir envoyé quatre SMS considérés comme insultants vis-à-vis de la monarchie (cinq années de prison par SMS).

Surnommé « oncle SMS », Amphon Tangnoppakul a toujours clamé son innocence, expliquant ne même pas savoir comment envoyer un sms. Il est mort d’un cancer en prison le 8 mai 2012.

En 2012, une nouvelle pétition en vue de modifier la loi sur le crime de lèse-majesté a récolté près de 30.000 signatures.

L’un des amendements-clés suggérait que seules les personnes qui ont un lien avec le Roi puissent déposer plainte pour lèse-majesté. Elle a été rejetée par le Parlement.

En 2011, Yingluck Shinawatra (sœur de l’ancien Premier ministre, Thaksin Sinawatra, renversé lors du coup d’Etat de 2006) a remporté les élections. Son parti, Pheu Thai Party, mène la coalition gouvernementale. Même s’il est considéré comme moins royaliste que le précédent, ce gouvernement a déclaré qu’il n’avait aucune intention d’amender la législation sur le crime de lèse-majesté, malgré les pressions de la communauté internationale (la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations a, parmi d’autres, prié le gouvernement thaïlandais de prendre les mesures nécessaires pour abroger ou amender l’article 112).

La stabilité politique demeure très précaire en Thaïlande. La crainte d’un nouveau soulèvement de l’armée ou des « chemises jaunes », qui demeurent très sensibles à tout ce qu’ils perçoivent comme une attaque contre la monarchie, refroidit les ardeurs de ceux qui, dans le parti au pouvoir, souhaiteraient sans doute un assouplissement de cette législation.


(1) Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l’énergie, des mines et des industries diverses