Réforme de l’immigration aux États-Unis : pour une prise en compte des «99%»

 

En 2012, l’administration du Président Obama a expulsé 409 849 personnes des États-Unis.

Selon les chiffres de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) Agency du Department of Homeland Security, 30 791 personnes en moyenne sont expulsées chaque mois, dont 8 500 parents d’enfants possédant la nationalité américaine.

Les dépenses publiques américaines consacrées au contrôle des frontières et de l’immigration dépassent celles de tous les autres organismes en charge de l’application des lois réunis.

Ces cinq dernières années, l’ICE a contrôlé plus de 2 000 employeurs et les a contraints à licencier les employés en situation irrégulière, en vertu des dispositions imposées par la loi américaine depuis 1986.

Parallèlement, les licenciements des travailleurs temporaires munis de visas qui conditionnent l’autorisation de séjour au fait de posséder un emploi sont également en augmentation.

Les États-Unis comptent entre 700 000 et 900 000 travailleurs migrants disposant d’un visa de travail temporaire, quelle que soit la période considérée.

Les programmes les plus connus sont le H2A et le H2B, également surnommés visas « de quasi-esclavage » par le Southern Poverty Law Center, qui a recensé de nombreux cas de violation des droits des travailleurs.

Michael Chertoff, secrétaire d’État à la Sécurité intérieure sous la présidence de Georges W. Bush a résumé cette contradiction manifeste en déclarant qu’il s’agissait de « fermer la porte de derrière et d’ouvrir celle de devant », et affirmé qu’une application stricte de la loi découragerait l’immigration clandestine et obligerait les migrants à se tourner vers les programmes de travail sous contrat.

La stricte application de la loi et les programmes de travail sous contrat s’inscrivent tous deux dans une démarche de « réforme globale de l’immigration » (CIR) proposée à la fois par les gouvernements Bush et Obama.

Cependant, dans le cadre de cette réforme, un autre projet de loi, portant le numéro S.744, a été voté par le Sénat en avril 2013, afin d’étendre les programmes de travail temporaire et d’établir un système de points permettant de délivrer les visas en fonction des compétences dont les entreprises ont besoin.

Un projet analogue a été retardé par la Chambre des représentants.

Bien que le Congrès ne soit parvenu à faire adopter aucun de ces textes, les administrations successives ont usé de leurs pouvoirs exécutifs pour renforcer l’application des dispositions existantes, augmenter les expulsions et encourager le recours aux programmes de travail temporaire, et ce, de façon unilatérale.

Dialogue de haut niveau des Nations Unies sur les migrations internationales et le développement

Les 3 et 4 octobre 2013 se tiendra à New York le Dialogue de haut niveau des Nations Unies sur les migrations internationales et le développement.

Parallèlement, les organisations locales membres de l’Action mondiale des peuples pour la migration se réuniront en vue de faire avancer le programme en faveur des droits des migrants.

Ces rassemblements mettent en évidence l’incapacité du Congrès américain à refondre le système d’immigration et confirment le recul amorcé par le Congrès et l’administration, tandis que les communautés de migrants à travers le monde tentent de faire évoluer la situation.

Ainsi, le Secrétaire général des Nations Unies a publié en juillet 2013 un rapport dans lequel il se montre beaucoup plus préoccupé des droits des migrants que ne l’est habituellement le Congrès américain.

Cependant, ce rapport reflète également le souhait de nombreux pays d’exploiter les transferts de fonds des migrants à des fins de développement économique, et de combler ainsi le déficit creusé par les réformes économiques néolibérales et les coupes budgétaires sur les biens de première nécessité.

L’hypothèse de départ est que les migrants constituent un réservoir international de main d’œuvre.

Le rapport exhorte les États Membres à « intégrer la migration aux plans nationaux de développement [et] aux stratégies de réduction de la pauvreté ». En d’autres termes, les pays en développement sont invités à mettre en place des politiques d’exportation de leur main d’œuvre et les pays développés, des programmes de travail temporaire.

L’une des réformes principales préconisées par le rapport est de faciliter les procédures de transferts de fonds.

En revanche, l’Action mondiale des peuples pour la migration rejette l’idée du migrant comme source de main d’œuvre et critique l’importance accordée aux politiques du travail et de marché visant à réglementer les « filières légales d’immigration ».

À la place, elle propose une « critique du modèle de la migration circulaire et du travail temporaire, dont le modèle de développement économique s’appuie sur les programmes de travail temporaire et d’exportation de la main d’œuvre, les transferts de fonds et les modèles dans le cadre desquels les travailleurs sont considérés comme une marchandise ».

Tout comme les Nations Unies, l’Action mondiale des peuples prône la dépénalisation de l’immigration mais se montre toutefois plus radicale : elle souhaite que soit mis fin aux expulsions et aux détentions massives et exige que soit accordée davantage d’importance aux droits des travailleurs.

Elle tient également à intégrer les « facteurs d’expulsion » dans la définition des droits des migrants.

Au Mexique par exemple, certaines organisations de migrants comme le Front binational des organisations autochtones revendiquent le « droit de ne pas migrer » et appellent à un développement économique offrant d’autres débouchés que la migration forcée et à des changements politiques qui permettront de concrétiser ces demandes.

 

Mesures de protection fondamentales

Certaines mesures de protection fondamentales sont déjà intégrées dans les conventions des Nations Unies et de l’Organisation internationale du Travail, notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui étend sans distinction les droits humains fondamentaux à l’ensemble des migrants et leurs familles.

La convention soutient le droit au regroupement familial, instaure le principe d’« égalité de traitement » par rapport aux citoyens du pays d’accueil en matière d’emploi et d’éducation, protège les migrants des expulsions collectives, et engage la responsabilité du pays d’origine comme du pays d’accueil quant à la protection de ces droits.

Chaque pays conserve le droit de décider quelles sont les personnes qu’il admet sur son territoire et les conditions d’accès au droit au travail.

Cette convention n’a jamais été présentée au Congrès pour ratification par les différentes administrations.

Au lieu de quoi, le débat engagé au Congrès sur cette réforme oppose les défenseurs d’une réforme globale prévoyant notamment une application plus stricte de la loi, le recours aux programmes de travail temporaire et une régularisation limitée des immigrés clandestins (approche libérale), à ceux qui revendiquent une application plus agressive de la loi, l’intensification des programmes de travail temporaire et ne souhaitent aucune régularisation (approche conservatrice).

Les autres propositions plus progressistes, fondées sur la protection des droits des migrants, sont rejetées au motif qu’elles sont impossibles à mettre en place pour des raisons politiques.

Le projet de loi S.744 du Sénat propose d’alourdir les sanctions pénales en matière d’immigration, de contraindre tout employeur à s’assurer de la régularité de la situation de ses employés par le biais d’une base de données électronique, et d’exiger la remise d’une pièce d’identité photométrique afin d’exercer un emploi.

Parallèlement, il affaiblit le système de regroupement familial issu du mouvement des droits civiques aux États-Unis, privilégiant ainsi les besoins en main d’œuvre des employeurs au détriment des liens familiaux.

Le projet comporte effectivement un programme de régularisation auquel sont opposés les membres républicains conservateurs du Congrès.

Cependant, nombre des 11 millions de personnes en attente de régularisation ne seraient pas en mesure d’en bénéficier, le programme exigeant un niveau minimal de revenus, ce qui pénalise les populations défavorisées.

Si cette loi est promulguée en l’état, des millions de travailleurs ne pouvant prétendre au programme de régularisation n’auront plus le droit de travailler légalement et risqueront de tomber sous le coup de mesures d’application plus stricte de la loi.

La situation se compliquera également pour les personnes rendues vulnérables en raison de leur situation irrégulière ou de leur statut de travailleur temporaire, les employeurs étant davantage en mesure d’imposer des salaires bas.

 

Propositions des républicains

Les propositions des représentants républicains sont encore pires.

Certaines incluent la levée des quelques restrictions imposées aux programmes de travail temporaire actuels, entraînant ainsi la baisse des salaires, la suppression des mandats en matière de logement et la fin de l’obligation pour les employeurs de recruter du personnel local avant d’engager des travailleurs à l’étranger.

Un autre projet de loi prévoit d’autoriser chaque État à décider lui-même des sanctions imposées en cas de situation irrégulière et à recourir aux forces de l’ordre locales pour les appliquer, instaurant ainsi un véritable régime de la terreur pour les communautés d’immigrés.

Tandis que les projets de loi des démocrates comme des républicains sont dans l’impasse et que le Congrès se montre incapable de faire évoluer la situation, les expulsions et les renvois se poursuivent.

L’American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO) et de nombreuses autres organisations ont lancé une pétition et demandé au gouvernement de suspendre les expulsions tant qu’aucune loi n’est promulguée.

« La crise de l’immigration actuelle et les expulsions déchirent les familles et les communautés, et des millions de travailleurs peu rémunérés sont victimes de pratiques abusives de la part d’employeurs sans scrupules », a déclaré le président de l’AFL-CIO Richard L. Trumka.

À Washington DC, les organisations nationales de soutien aux immigrés et les syndicats nationaux ont appelé à un mouvement de masse afin de contraindre les républicains à autoriser la Chambre des représentants à soumettre un projet de loi analogue au vote.

L’octroi de 48 milliards de dollars supplémentaires en faveur du renforcement de la surveillance aux frontières et sur le lieu de travail, ajouté au projet de loi du Sénat à la dernière minute, a cependant provoqué la colère de nombreuses organisations, dont Community2Community, un projet de défense des travailleurs agricoles et d’organisation au nord de Seattle, non loin de la frontière canadienne.

« Nous ne tolérerons pas une loi qui profite aux intérêts des entreprises au détriment des immigrés qui souhaitent travailler et trouver un emploi », a-t-il déclaré. Il a également critiqué « la création par nos dirigeants d’une catégorie d’immigrés de deuxième ordre qui ne bénéficient d’aucun avantage social, n’ont pas accès à la naturalisation, mais sont contraints de payer des impôts ».

D’autres organisations soutiennent une stratégie politique différente.

« Non seulement nous revendiquons la régularisation, mais notre communauté a encore 25 années de répression devant elle, et d’autres travailleurs temporaires arriveront », a indiqué Lillian Galedo, directrice du Filipino Advocates for Justice et militante pour la Campagne pour la dignité, qui propose un nouveau programme proche de celui de l’Action mondiale des peuples.

« Nous pensons que la réforme de l’immigration doit commencer par un débat sur les besoins et les souhaits des communautés d’immigrés ; nous-mêmes connaissons ces difficultés et notre expérience permettra de trouver de véritables solutions aux enjeux sociaux de l’immigration. »

L’Action mondiale des peuples et le Dialogue de haut niveau des Nations Unies ont également suggéré d’autres solutions novatrices, dont la prise en compte pourrait s’avérer cruciale pour la suite des échanges au Congrès.

Le réalisme politique invoqué par le Congrès et l’administration ne contribue en réalité qu’à les rendre sourds aux appels venus du monde entier en faveur d’une amélioration des droits des migrants, afin que ceux-ci soient considérés comme des êtres humains à part entière et non comme un réservoir de main d’œuvre destiné aux entreprises.

Ces voix qui se font entendre partout dans le monde sont celles de la majorité, des « 99 pour cent ».