Quelles activités peuvent être comptabilisées dans les chiffres de l’emploi ?

 

Lorsque nous constatons que les indicateurs clés du marché du travail restent quasiment inchangés alors que des millions de personnes souffrent de la plus grave crise économique depuis plusieurs décennies, cela signifie que le temps est venu de revoir ces indicateurs.

Si les indicateurs sont médiocres, les politiques publiques elles-mêmes ne peuvent être que médiocres.

 

La crise mondiale nous rappelle combien il est indispensable de définir des normes internationales claires et pertinentes pour collecter des statistiques et mesurer les tendances relatives au marché du travail.

Cette tâche relève de la responsabilité de la Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST), convoquée tous les cinq ans à Genève par l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Du 2 au 11 octobre 2013, la 19e CIST réexaminera et redéfinira les directives relatives aux mesures du travail et de la main-d’œuvre.

Les normes actuelles datent de la 13e CIST (1982).

Il y a trente ans, le principal objectif des statistiques sur l’emploi était de mesurer l’apport du travail en tant que facteur de production, de calculer le PIB et d’évaluer la croissance économique.

La perspective adoptée pour mesurer le taux d’emploi et le taux de chômage avait été élaborée pour répondre aux besoins d’établissement des comptes nationaux.

Pour ce faire, la population « active » désignait les individus participant (ou cherchant à participer) à la production d’éléments entrant dans le calcul du PIB. Ainsi :

  • les personnes (notamment les femmes) effectuant des tâches domestiques ne sont pas incluses dans la population « active », bien que leur travail apporte clairement un soutien au ménage et contribue au bien-être national. En effet, les services produits par les ménages pour leur consommation personnelle ne sont pas comptabilisés dans les comptes nationaux ;
  • les personnes exerçant une activité productive de subsistance sont comptabilisées en tant que « personnes pourvues d’un emploi », alors qu’elles ne perçoivent aucun ou presque aucun revenu du marché et que la plupart d’entre elles souhaiteraient occuper un emploi rémunéré si cela était possible.

Aujourd’hui, les décideurs politiques veulent être informés des marchés du travail, de l’efficacité des programmes dans ce domaine, de la sous-utilisation de la main-d’œuvre, de la participation des différentes sous-catégories de la population et de l’activité dans l’économie de marché.

Dans les pays où les quatre cinquièmes de la population exercent une activité agricole de subsistance, un faible taux de chômage officiel qui reste stable dans le temps constitue un artefact statistique trompeur.

Il est à la fois erroné et offensant de classer des personnes contribuant maintenir leur famille à flot dans la population « inactive ».

 

Un nouveau cadre

La 19e CIST examinera un cadre totalement nouveau destiné à mesurer toutes les formes de travail exercé par des personnes âgées de plus de quinze ans en évaluant leur « objectif principal ».

Cinq nouvelles catégories de travail sont proposées en utilisant un critère d’une heure qui englobe l’intégralité du facteur travail et des tâches accomplies :

  • Le travail de production pour la consommation personnelle est un travail dont l’objectif principal est de fournir des biens et des services destinés à sa propre consommation ou à celle de son ménage.
  • L’emploi est un travail dont l’objectif principal est de générer un revenu.
  • Le travail des personnes en formation est un travail dont l’objectif principal est d’acquérir des compétences ou de l’expérience dans le monde du travail.
  • Le travail bénévole est un travail dont l’objectif principal est d’aider autrui.
  • Les autres catégories incluent le travail ordonné par l’État tel que le travail d’intérêt général qui résulte d’une décision de justice ou le travail obligatoire dans le cadre de tests qui imposent leur réussite pour bénéficier de prestations sociales.

Au cours d’une semaine, la plupart des personnes consacrent une partie de leur temps à exercer plusieurs formes de travail.

Par exemple, elles peuvent avoir un emploi (c’est-à-dire exercer une activité pour obtenir un salaire ou un revenu), mais également accomplir des tâches domestiques, réaliser une activité bénévole dans une association, étudier ou réunir plusieurs de ces activités.

Cette démarche a pour principal objectif de classer les travailleurs dans ces cinq catégories, en évitant de les comptabiliser deux fois, afin de produire des estimations exactes de la main-d’œuvre.

 

Travail, chômage et main-d’œuvre dans le nouveau cadre

Lorsque le principal objectif du travail est la production pour sa consommation personnelle ou celle de son ménage, le travailleur ne sera plus comptabilisé en tant que « personne pourvue d’un emploi », même si une partie de sa production est échangée ou vendue.

Cela représente un profond changement pour les pays dans lesquels la plupart ou un grand nombre de travailleurs exercent une activité agricole de subsistance sans aucune ou presque aucune activité dans l’économie de marché.

Cela permettra de déterminer les évolutions dans les parts de population qui exercent une activité de subsistance et celles qui exercent une activité rémunérée.

Il sera ainsi possible de mesurer de manière adéquate le taux de chômage dans le secteur marchand et de quantifier (au lieu de dissimuler) la véritable ampleur de la sous-utilisation de la main-d’œuvre dans le pays concerné.

À l’exclusion des personnes exerçant un travail de production pour leur consommation personnelle, une personne sera comptabilisée comme étant pourvue d’un emploi si elle travaille au moins une heure dans l’objectif principal de générer un revenu. Cela inclut les personnes salariées et les personnes travaillant pour leur propre compte.

Il est regrettable que le Département de statistique de l’OIT n’ait pas proposé jusqu’à présent de critères pour déterminer ce que représente « un revenu » permettant de comptabiliser un travail en tant qu’emploi.

La 18e CIST a reconnu que le « travail faiblement rémunéré » représente une forme d’emploi inadéquat et a appelé à ce qu’il soit mesuré.

Nous estimons qu’il ne convient pas de comptabiliser un travail en tant qu’emploi si les revenus générés sont dérisoires alors que l’objectif principal du travail est de générer un revenu.

Pour mesurer l’emploi de manière pertinente, et non pas uniquement le travail décent, il est essentiel d’établir une définition du revenu qui soit adaptée au contexte national, par exemple les deux tiers de la rémunération horaire médiane ou le salaire horaire minimum national.

Les personnes qui n’ont pas travaillé pendant au moins une heure dans l’objectif principal de générer un revenu mais qui ont travaillé au moins une heure pour d’autres raisons seront classées en fonction de l’objectif principal de leur travail (formation, bénévolat ou autre), mais ne seront pas intégrées dans les chiffres des personnes pourvues d’un emploi.

Les personnes seront classées dans la catégorie des « chômeurs » si elles remplissent toutes les conditions suivantes :

  • Elles étaient « sans emploi » la semaine précédente ;
  • Elles ont recherché activement un emploi au cours du dernier mois ;
  • Elles sont disponibles pour commencer à travailler dans un bref délai.

La « main-d’œuvre » correspond à l’ensemble des personnes pourvues d’un emploi et des personnes au chômage. Le taux de chômage correspond au nombre de personnes au chômage divisé par le nombre de personnes appartenant à la main-d’œuvre.

 

Sous-emploi

Une personne est sous-employée en termes de durée du travail si elle ne travaille pas à temps plein et souhaite consacrer davantage d’heures à son emploi.

Une personne est également sous-employée si elle possède des compétences qui ne sont pas utilisées dans l’emploi qu’elle occupe (« inadéquation des compétences »).

La 18e CIST a demandé à l’OIT d’élaborer des mesures de l’inadéquation des compétences qui devaient être examinées par la 19e CIST en vue d’adopter une norme internationale, mais le Bureau a accompli peu d’avancées à ce sujet.

Le nouveau cadre propose de mesurer le « déficit de l’offre de travail » et de produire des rapports à ce sujet en tenant uniquement compte du sous-emploi lié à la durée du travail.

Lorsque cette mesure est additionnée aux chiffres du chômage, le résultat offre une évaluation plus large des besoins réels en matière d’emploi sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Cependant, il n’est pas assez large pour englober l’ampleur réelle du sous-emploi.

 

Sous-utilisation et « lien marginal »

La sous-utilisation de la main-d’œuvre correspond à différentes réalités.

Les « travailleurs découragés » désignent les personnes au chômage qui sont disponibles pour commencer à travailler dans un bref délai mais ne recherchent plus activement de travail.

Un groupe plus restreint peut avoir recherché du travail sans être disponible pour commencer à travailler dans un bref délai.

Historiquement, on estime que ce groupe possède un « lien marginal » avec le marché du travail.

Le nouveau cadre propose de mesurer ce « lien marginal » et de produire des rapports à ce sujet.

Lorsque cette mesure est additionnée aux chiffres des personnes au chômage et sous-employées, le résultat offre une évaluation encore plus large des besoins réels en matière d’emploi sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif.

 

Stagiaires et apprentis

Il a été difficile de trouver une catégorie appropriée pour classer les stagiaires et les apprentis dans le nouveau cadre proposé par l’OIT.

En effet, la situation est profondément différente dans chaque pays.

Dans un grand nombre d’entre eux, les stages et les apprentissages rémunérés se rapprochent fortement des emplois (leur objectif principal étant de générer un revenu) alors que dans d’autres pays, ce travail n’est pas rémunéré (son objectif principal étant d’acquérir des compétences et de l’expérience dans le milieu du travail).

L’OIT a proposé de regrouper tous les stagiaires et les apprentis dans la catégorie des « personnes en formation » en les supprimant des chiffres de l’emploi et de la main-d’œuvre ainsi qu’en supprimant les jeunes à la recherche de ces postes d’apprentis des chiffres des chômeurs.

Cette approche a fait l’objet d’une forte opposition de la part des travailleurs, des employeurs et de la plupart des experts gouvernementaux et a reçu un soutien hésitant, dans le meilleur des cas, de la part des observateurs internationaux.

 

Perspectives

La 19e CIST définira le cadre de production des statistiques du travail et de la main-d’œuvre pour les décennies à venir.

Les décisions seront prises, si nécessaire, au moyen de votes.

L’amélioration de la qualité des données relatives aux besoins réels en matière d’emploi sur les plans quantitatif et qualitatif contribuera à la réorientation des politiques.

Les syndicats devraient aborder ces enjeux avec leurs pouvoirs publics avant la CIST afin d’insister sur l’importance d’une nouvelle définition du travail, l’ajout d’un critère portant sur le revenu dans la définition du travail, une mesure large et globale du sous-emploi et de la sous-utilisation de la main-d’œuvre et l’intégration des apprentissages et des stages dans la catégorie des emplois lorsque leur objectif principal est la génération d’un revenu.

Ces informations peuvent paraître relativement techniques et peu avenantes, mais la dissimulation ou la divulgation de la véritable situation de l’emploi relève de toute évidence d’une stratégie éminemment politique.

 

Le présent article a été publié pour la première fois sur le site Web Global Labour Column.