Les migrants sur le qui-vive suite aux émeutes de Moscou

 

La police russe a arrêté l’auteur présumé du meurtre d’un jeune Russe, événement qui avait déclenché une flambée d’émeutes xénophobes à Moscou. Cependant, aux quatre coins du pays, les migrants continuent de vivre dans la crainte de détentions arbitraires - ou pire.

Le dimanche 13 octobre, dans la banlieue moscovite de Biryulyovo, les forces spéciales de la police russe ont arrêté Orkhan Zeïnalov, 30 ans, ressortissant d’Azerbaïdjan, accusé d’avoir poignardé à mort Yegor Shcherbakov, 25 ans.

La nouvelle du meurtre de Shcherbakov et l’attaque subséquente par des ultranationalistes contre un marché de gros où étaient employés des travailleurs migrants du Caucase et d’Asie centrale et où travaillait Zeïnalov ont déclenché les pires émeutes raciales de ces dernières années en Russie.

Des centaines d’émeutiers ont brisé des fenêtres, vandalisé des véhicules en stationnement et agressé des passants. Au total, 23 personnes ont été blessées, dont six agents de la police antiémeute.

Au lendemain des violences, la police a interpellé pas moins 1600 travailleurs migrants.

 

Montée de la xénophobie

Si les émeutes de dimanche dernier ont fait la une de la presse internationale, elles participent néanmoins d’un sentiment xénophobe croissant en Russie.

À la veille des élections municipales, en août, pas moins de 3000 travailleurs migrants ont été interpellés lors de rafles policières à Moscou.

Six cents d’entre eux, majoritairement des Vietnamiens, ont été détenus dans un camp de tentes en attendant d’être déportés pour violations des lois migratoires.

La mesure a été condamnée par des groupes de défense des droits humains, qui ont notamment mis en exergue les conditions de vie déplorables qui sévissent dans ce campement de fortune qui fait état de centre de rétention.

En septembre, à Sotchi, ville qui accueillera les prochains Jeux olympiques d’hiver de 2014, la police a entrepris des rafles quotidiennes pour arrêter les migrants sans papier employés sur les chantiers de construction.

Environ 16000 étrangers seraient employés dans la construction des nouvelles installations olympiques à Sotchi et des milliers de mains supplémentaires seront nécessaires pour que ce projet ambitieux, estimé à 50 milliards de dollars, puisse être terminé à temps pour les Jeux d’hiver. Les organisations internationales des droits humains ont cependant émis de sérieuses mises en garde.

En février, Human Rights Watch a publié un 67-page report où sont documentés de nombreux cas de travailleurs migrants auxquels on a dérobé leurs salaires et confisqué leurs passeports et qui vivent dans des logements insalubres.

Des violations similaires ont été dénoncées à titre de pratique courante dans des chantiers de construction à Moscou.

Au début d’octobre, la Confédération syndicale internationale (CSI) s’est solidarisée avec ses organisations affiliées russes FNPR et KTR pour opposer des réformes proposées au code du travail russe, lesquelles priveraient des dizaines de milliers de travailleurs – russes et étrangers – de protections juridiques fondamentales concernant le temps de travail, les heures supplémentaires et d’autres normes fondamentales du travail dans le cadre de la Coupe du monde de 2018.

 

La carte de séjour

La Russie compte la plus importante population d’immigrés du monde après les États-Unis, d’après les statistiques de l’ONU.

D’après les statistiques du Conseil économique et social des Nations Unies du mois de septembre, en 2013, le nombre de migrants résidant en Russie atteignait 11 millions – soit plus de sept pour cent de la population totale du pays.

La main-d’œuvre immigrée, notamment celle en provenance d’Asie centrale, pourvoit un grand nombre de postes faiblement rémunérés, particulièrement dans l’industrie de la construction et les services publics, où leurs droits sont fréquemment bafoués par les employeurs.

En dépit du rôle significatif joué par les travailleurs migrants dans le secteur pétrolier florissant du pays, le ressentiment russe contre leur présence devient palpable.

D’après un sondage d’opinion réalisé par VTsIOM en juillet, 65 pour cent des Russes estiment que les immigrés sont responsables de l’augmentation de la criminalité, cependant que plus d’un Russe sur trois est d’avis que les personnes d’« autres origines ethniques » représentent une menace pour la sécurité nationale.

La présence de migrants intérieurs provenant de régions à majorité musulmane du Caucase du Nord, y compris des régions en proie à l’insurrection armée comme le Daguestan et la Tchétchénie, est, elle aussi, cause d’un malaise grandissant.

Malgré leurs passeports russes, ils sont, eux aussi, considérés comme des immigrés «non russes ».

Il y a quelques jours, le Conseil de l’Europe a publié un rapport sur racism and intolerance in the Russian Federation. Bien qu’il ait relevé un certain nombre d’évolutions positives, le Conseil a néanmoins présenté plusieurs recommandations fermes, notamment eu égard au non-respect des droits humains et des droits des travailleurs des migrants.

À l’instar de bon nombre de pays européens, les politiciens jouent la « carte de l’immigration » à des fins purement électorales.

Suite aux émeutes de dimanche passé, le maire de Moscou, Sergei Sobyanin, a pointé du doigt ce qu’il a qualifié d’ « éléments extrémistes », alors qu’en août il avait justifié les rafles d’immigrés comme « quelque chose de normal ».

« C’est réellement [en réponse à] une demande des citoyens ; la plupart d’entre eux considèrent l’immigration comme un problème grave », avait alors déclaré Sobyanin aux médias.

Et d’ajouter : « C’est le cas dans n’importe quel pays. Si une situation d’urgence survient, le gouvernement et la société se conduisent de manière plus dure ».

 

Nous ne voulons pas de vous – mais nous avons besoin de vous

D’après le Service fédéral de migration, sur 11 millions d’immigrés en Russie, 2 millions seulement sont en situation régulière.

Les travailleuses et travailleurs migrants ressortissants d’ex-républiques soviétiques, y compris d’Asie centrale, sont autorisés à séjourner en Russie durant trois mois mais prolongent généralement leur séjour et travaillent dans « l’économie noire ».

Les critiques de la répression systématique soulignent que le nombre élevé de migrants sans papiers est la conséquence d’un cadre juridique inadéquat et de la corruption, où il est connu que la police est prête à fermer les yeux sur des travailleurs sans papiers en échange de quelque dessous de table.

Qui plus est, beaucoup d’employeurs tirent parti des salaires de misère qu’ils paient aux travailleurs sans papiers, sans compter que cela leur évite de devoir payer des taxes et des contributions sociales.

« S’ils [les migrants en détention] ont violé la loi, c’est parce que la législation est inadéquate », a déclaré Yevgeny Bobrov du conseil des droits humains du Kremlin lors d’une conférence de presse donnée à la suite de sa visite au camp de rétention en août.

« Pourquoi la police ne déniche-t-elle pas ceux qui les ont organisés? », s’interroge-t-il.

Le fait est que la Russie comme beaucoup d’autres grandes économies a désespérément besoin de la main-d’œuvre migrante dès lors qu’elle ne dispose pas d’un capital humain propre pour faire tourner son économie.

D’après Konstantin Romodanovsky, chef du Service fédéral de migration, la Russie nécessite un apport de plus de 300000 travailleurs migrants par an pour pouvoir répondre aux besoins du pays en matière de développement économique.

« Les migrants représentent entre sept et huit pour cent du PIB national russe. Je ne connais pas un seul économiste qui soit en mesure d’affirmer que nous puissions nous passer des migrants », signale Vladimir Volokh, un ancien haut fonctionnaire du Service fédéral de migration qui est aujourd’hui professeur à l’Université d’État russe de management.

La solution, selon lui, est que le gouvernement aide les migrants à sortir de l’économie de l’ombre, afin que le pays puisse tirer profit des impôts payés par les travailleurs déclarés.

Mais en attendant, les politiques intérieures continueront à prendre le pas sur la logique économique.