Les syndicalistes irakiens risquent la prison malgré un nouveau projet de code du travail

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Pour la première fois depuis des décennies, les syndicats en Irak pourraient obtenir un statut juridique à part entière si une nouvelle proposition de code du travail et de loi syndicale est adoptée par le parlement.

Mais même si celle-ci abolit les restrictions imposées aux travailleurs sous l’ère de Saddam Hussein et l’occupation américaine, la situation reste aussi délicate que jamais pour les dirigeants syndicaux du pétrole, un secteur-clé.

« Le gouvernement veut détruire notre syndicat », a déclaré à Equal Times Hassan Juma’a Awad, président de la Fédération irakienne des syndicats du pétrole (IFOU). « Ils ne veulent pas nous permettre de travailler en tant que syndicat.

« La Loi nº 150 promulguée sous Saddam Hussein reste en application et le gouvernement irakien invoque cette loi pour interdire l’activité des syndicats irakiens.

Une autre loi qui concerne spécifiquement notre syndicat exclut l’adhésion d’employés appartenant au département de la main-d’œuvre générale.

Le 10 novembre 2013, un tribunal de Bassora a, pour la deuxième fois, déclaré irrecevables des accusations portées contre Juma’a.

Des procédures sont, cependant, toujours en instance contre le vice-président de l’IFOU, Ibrahim Rhadi et seize autres militants syndicaux. Ceux-ci encourent des amendes d’une valeur cumulée de plus de 600000 dollars, un montant impossible à réunir pour des ouvriers du pétrole.

L’amende imposée à Rhadi s’élève, à elle seule, à 30000 dollars. « S’il ne paie pas, il sera congédié », a dit Juma’a. « Ensuite, ils le jetteront en prison ».

 

Manifestations

Les chefs d’accusation renvoient aux manifestations organisées par le syndicat au début de l’année, quand des centaines de travailleurs se sont mobilisés à trois occasions devant le siège de la compagnie pétrolière d’État South Oil Company (SOC), à Bassora, pour réclamer la démission de son directeur et de ses aides.

Les actions collectives avaient pour moteur la pauvreté qui sévit parmi les ouvriers du pétrole malgré les milliards de dollars de chiffre d’affaire généré par l’or noir qu’ils extraient.

« Les travailleurs irakiens vivent une situation extrêmement incertaine », dénonce Juma’a.

« Nos salaires sont terriblement bas. Nous ne pouvons vivre avec les salaires que nous touchons. Il n’y a pas de protection sociale ni d’assurance médicale. Il n’y a pas, non plus, de législation du travail moderne qui nous garantisse nos droits.

D’autre part, les travailleurs accusent leur employeur de refuser de payer les primes échues depuis 2010 (plus de 303 millions de dollars) alors qu’elles sont inscrites dans leurs contrats, et de ne pas tenir leurs promesses en ce qui concerne la construction de logements et l’accès aux soins médicaux, en particulier pour les travailleurs exposés à l’uranium appauvri utilisé durant la guerre.

La SOC et les sociétés multinationales implantées en Irak pour l’exploitation des gisements pétroliers ont, par ailleurs, tendance à recourir à une main-d’œuvre temporaire plutôt qu’à des employés permanents, et ce pour se soustraire à la condition que 85 pour cent des effectifs se composent de ressortissants irakiens.

Les chefs d’accusation introduits par la SOC ont été rejetés par le tribunal en juillet parce que la société n’a pas pu fournir de preuves de dommages causés par les arrêts de travail.

La société a, cependant, interjeté appel et un tribunal supérieur a rétabli les chefs d’accusation.

Le 10 novembre 2013, le tribunal inférieur a une fois de plus statué que la société n’avait pas présenté de preuves et a déclaré les chefs non recevables.

« Le gouvernement m’a traduit en justice à cause des grèves », affirme Juma’a.

« J’ai dit aux travailleurs de revendiquer leurs droits et j’ai été accusé d’organiser un arrêt de travail illégal parce que je suis le président du syndicat ».

 

Représailles

Pendant ce temps, le ministère du Travail, qui est propriétaire de la SOC et la dirige, a imposé des amendes administratives à Rhadi et aux autres en représailles de leur rôle dans l’organisation des actions collectives des travailleurs.

Un autre employé de la SOC, Alaa Abdul Redha, a été dépouillé de ses droits sociaux et muté vers un site éloigné, une sanction appliquée à plusieurs autres militants syndicaux par le passé.

Le syndicat des travailleurs du pétrole en Irak s’affronte à des entraves systématiques à l’heure de négocier au nom de ses membres et de les défendre contre des sanctions pénales et administratives pour leurs activités syndicales, et ce parce qu’ils restent soumis à la tristement célèbre Loi nº 150 de Saddam Hussein.

Promulguée en 1987, cette loi proscrit les syndicats dans le secteur public, soit 80 pour cent de toute l’industrie, y compris le secteur pétrolier qui appartient à l’État.

En 2005, le pays adoptait une constitution qui oblige le gouvernement à autoriser les syndicats, cependant aucune législation du travail ou syndicale n’a été adoptée qui mette en pratique cette disposition.

En attendant, la Loi nº 150 demeure en vigueur, tout comme elle l’est restée tout au long de l’occupation américaine.

En l’absence d’une reconnaissance légale, les syndicats éprouvent d’énormes difficultés à l’heure de lever les cotisations et d’ouvrir des bureaux ou même des comptes bancaires.

Afin de coordonner leurs efforts en vue de l’accession à une nouvelle législation, six syndicats irakiens ont rejoint la fédération syndicale internationale IndustriALL et mis sur pied, en juillet dernier, à Bagdad, un Conseil national syndical.

Le secrétaire général adjoint d’IndustriALL, Kemal Özkan, s’est réuni avec des responsables du gouvernement irakien et a enjoint à ces derniers d’agir. « Si la législation syndicale n’était pas adoptée maintenant, personne ne sait quand la prochaine occasion aura lieu, et nous ne pouvons pas attendre des années pour cela », a-t-il déclaré dans un communiqué de presse.

La secrétaire générale de la CSI, Sharan Burrow a critiqué le fait que certaines des propositions de loi les plus récentes « manquent de remédier aux principales lacunes de la législation de l’ère Saddam Hussein, notamment en ce qui concerne l’extension du droit légal à la liberté syndicale au vaste secteur public. C’est inacceptable. Nous demandons instamment au parlement de ne pas gâcher cette opportunité de mettre la législation irakienne en conformité avec les normes internationales. »

IndustriALL a lancé une campagne en soutien à l’adoption du projet de loi, cependant que la campagne étasunienne de défense des droits des travailleurs Labor Against War a organisé un appel à pétitions et action solidaires en soutien à Rhadi et aux autres responsables syndicaux qui restent en situation de danger.