Mercosur-UE: L’importance de la négociation

Opinions

 

La portée immense des négociations en cours pour la signature d’un accord de libéralisation économique et commerciale entre le MERCOSUR et l’Union européenne (UE) exige qu’on dispose d’une connaissance approfondie de leurs tenants et aboutissants et qu’on les soumettre à un débat public.

[caption id="" align="alignnone" width="530"]Uruguay Mercosur Summit (AP Photo/Matilde Campodonico) (De gauche à droite) Le président bolivien Evo Morales, la présidente argentine Cristina Fernandez, le président uruguayen Jose Mujica, la présidente brésilienne Dilma Rousseff et le président vénézuélien Nicolas Maduro saluent de la main pour la photo de groupe officielle du sommet du bloc commercial MERCOSUR à Montevideo, Uruguay, le 12 juillet 2013 (AP Photo/Matilde Campodonico)[/caption]

D’où la nécessité de supprimer au plus vite les niveaux de confidentialité actuellement exigés par les négociateurs européens et qui sont paradoxalement défendus comme « compréhensibles » par les porte-parole de l’establishment local, qui n’hésitent pas à critiquer publiquement (ou cyniquement ?) « le manque de transparence » ou à réclamer un « plus grand contrôle démocratique de la gestion publique ».

On court le risque que la négociation à huis clos soit acceptée comme un fait accompli avant-même d’être portée à la considération publique et parlementaire.

Il convient de reconnaître que les négociations MERCOSUR-UE sont d’une énorme importance stratégique. Il en va de liens entre des sociétés et des économies présentant un potentiel de coopération et de complémentarité extraordinaires. Il ne fait pas de doute que l’amélioration et l’élargissement des relations entre deux régions aussi importantes doivent constituer un objectif prioritaire, assorti d’enjeux géopolitiques clés.

Quoi qu’il en soit, un accord de libre-échange (ALE) soumis à des conditions similaires à celles établies par l’UE pour d’autres pays d’Amérique latine – comme ceux mis en œuvre récemment avec la Colombie et le Pérou, notamment – pourrait s’avérer totalement contradictoire avec les objectifs de développement économique indépendant proclamés de façon réitérée par les gouvernements et dans maintes déclarations zélées émanant des principaux leaders de la région dans le contexte du rejet de la proposition d’un accord similaire concernant la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques) en 2005.

Même si l’on s’y réfère par des euphémismes comme « accords de coopération économique », la plupart de leurs conditions et critères sont susceptibles d’être encore plus contraignants que ceux proposés à l’époque par le gouvernement intraitable de George W. Bush.

 

S’ouvrir mais en contrepartie de quoi ?

Il convient de souligner que les aspects commerciaux ne représentent qu’un chapitre, et non des plus importants, des négociations en cours.

Même en l’absence d’informations détaillées indispensables, le précédent établi par des accords similaires négociés par l’UE récemment permet de supposer que l’UE soit en train d’exiger un engagement prévoyant l’élimination réciproque immédiate des tarifs sur plus de 80% du spectre tarifaire.

Même si l’une ou l’autre concession ou promesse n’est pas exclue de sa part, l’UE continuera très certainement à soutenir les subventions et la protection au profit de son secteur agricole.

Les pays membres du MERCOSUR se verraient ainsi privés de la possibilité d’accéder à ce qui constituerait le plus important bénéfice anticipé, et ce en contrepartie d’une ouverture massive et inédite des marchés locaux à une concurrence ouverte d’une économie plus développée; qui sera surtout ressentie pour une multitude de produits industriels.

On reproduirait ainsi, toutefois à un degré supérieur, les graves déséquilibres commerciaux qu’on observe actuellement à l’intérieur-même de l’Europe, dus aux asymétries entre les pays du Nord, d’une part, et ceux du Sud et de l’Est, de l’autre.

Il existe une tendance à affirmer, de manière trompeuse, qu’il s’agit de négociations purement commerciales. Or c’est loin d’être le cas. La plupart des questions débattues sont d’ordre structurel et impliquent l’économie dans son ensemble, dans des aspects critiques comme les services, les brevets, la propriété intellectuelle, les marchés publics, les investissements et les compétences.

L’attribution éventuelle du traitement de « nation la plus favorisée » aux pays membres de l’UE, même si elle est assortie de sauvegardes d’exception, nuirait aux objectifs proclamés de défense et de promotion de la diversification de la base productive.

Ceux-ci présupposent des stratégies et des politiques publiques de développement fondamentales, comme celles auxquelles les pays européens ont, eux aussi, eu recours historiquement. Notamment la substitution des importations, la priorité accordée aux marchés nationaux, l’octroi de crédits différenciés pour le développement de régions ou secteur plus défavorisés. L’avenir de nos pays risque d’être dangereusement compromis à cause d’une mauvaise négociation.

Aussi, les exigences propres à ce type d’accord, qui visent à inhiber les décisions souveraines indépendantes et à introduire des réformes législatives, tarifaires, budgétaires ou fiscales porteraient préjudice à la capacité fondamentale de nos pays à réordonner, pondérer et réaffecter les excédents, à privilégier l’intégration avec l’Amérique latine et à réaffecter les différentiels de revenus obtenus de l’exploitation de ressources agroalimentaires, minières et énergétiques.

 

Où sont les évaluations des coûts et des bénéfices ?

Afin de pouvoir déterminer quel type d’entente avec l’Europe est envisageable et opportune pour le MERCOSUR, il est impératif que les gouvernements, entités sectorielles, partis et organisations sociales et académiques qui se proclament défenseurs de l’intérêt national et régional ne se laissent pas influencer par des déclarations superficielles et qu’il soit immédiatement procédé à des évaluations exhaustives - générales, régionales et sectorielles – qui incluent une estimation des effets structurels à court et à long terme et des alternatives possibles.

Dans l’immédiat, il convient d’y opposer des ultimatums (ex. affirmer que la négociation doit avoir lieu maintenant ou jamais), des recours possibles (ex. éventuellement menacer de proposer des négociations « multipartites » à caractère indépendant, comme cela a été fait dans le cas de la Communauté andine, pour rompre l’unité du MERCOSUR) ou la distorsion pure et simple de la réalité (en se gardant d’expliquer que les conséquences économiques réelles de la levée des préférences tarifaires de la part de l’UE à partir du 1er janvier pour l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay seront marginales et peuvent être assimilées ponctuellement).

Il existe des antécédents internationaux d’options plus équilibrées, mieux à même de remédier aux asymétries dans les négociations avec l’Union européenne et d’autres pays et régions plus industrialisés et qu’il conviendrait également d’étudier.

Une négociation cruciale avec l’Union européenne ne peut être laissée exclusivement aux mains d’un groupe réduit d’ « experts » sous la pression de lobbys ou de médias superficiels ou divisés en raison de positions idéologiques ou d’intérêts économiques particuliers, comme cela a été le cas depuis des années.

José Antonio Ocampo, qui fut ministre des Finances dans son pays, la Colombie, et secrétaire général de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine des Nations Unies) a signalé récemment que « les négociations internationales doivent participer d’une vision stratégique ; à l’heure actuelle nous souffrons d’une indigestion d’ALE car nous signons à tout vent, en l’absence d’évaluations suffisantes et de discussions concernant leur opportunité ».

Pourvu qu’il ne nous arrive pas la même chose. Puissions-nous apprendre de l’expérience passée.

Source : Alai

 

This article has been translated from Spanish.