Philippines: une grande charte pour les travailleurs des centres d’appel

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Aux Philippines, l’industrie de l’externalisation des processus commerciaux (BPO) est l’un des principaux moteurs de la croissance, avec des recettes de 15,5 milliards de dollars US l’année dernière, mais le taux de départ du personnel, de l’ordre de 30% par an, montre la sombre réalité de ce que l’on surnomme « l’industrie du soleil ».

Les derniers chiffres disponibles révèlent que Manille est désormais la deuxième destination principale pour l’externalisation, derrière Bangalore, en Inde.

Or, la croissance vigoureuse de cette industrie – dont les recettes devraient s’élever à 25 milliards de dollars US d’ici à 2016 – n’est pas représentative de la situation des travailleurs des centres d’appel, d’après la sénatrice philippine Miriam Defensor Santiago.

« Nous ne pouvons pas vraiment nous enorgueillir de notre industrie BPO face au reste du monde, si cette industrie ne respecte pas les normes internationales du travail les plus fondamentales » précise Santiago dans une déclaration.

En juillet 2013, Santiago a déposé le projet de loi du Sénat 57, appelé « Magna Carta », c’est-à-dire une grande charte pour les travailleurs des centres d’appel, afin de faire appliquer le droit de ces travailleurs à s’organiser et à adhérer à des syndicats.

Le projet de loi vise à nommer des agents chargés des relations de travail pour mettre en œuvre les dispositions de la charte et assister les employés BPO victimes de violations de leur contrat de travail.

La loi proposée entend également protéger la santé des travailleurs des centres d’appel, compte tenu du fait que 42,6% d’entre eux travaillent de nuit, comme l’indique une étude réalisée par l’OIT.

 

Risques graves pour la santé

Les centres d’appel philippins employaient 900.000 personnes en 2013 et ce chiffre devrait monter jusqu’à 1,3 million d’ici à 2016, selon l’organisme philippin IT Business Process Association.

Les Philippines sont particulièrement appréciées des entreprises américaines, britanniques et européennes car la main-d’œuvre du pays est bien formée, anglophone et prête à travailler de nuit, c’est-à-dire au moment où les clients des centres d’appel sont au travail.

Le travail dans les centres d’appel attire particulièrement les jeunes diplômés qui ne trouvent pas d’emploi dans leur domaine.

La rémunération est nettement supérieure à celle d’autres emplois accessibles aux jeunes diplômés – allant même parfois du simple au double, d’après l’OIT.

Toutefois, le travail dans les centres d’appel présente un véritable risque pour la santé des employés, à commencer par le stress dû à une forte tension au sein de l’environnement de travail, jusqu’aux troubles du sommeil.

Sonny Matula, président de la Federation for Free Workers (FFW), soutient le projet de loi mais reconnaît qu’il a du mal à organiser les travailleurs des centres d’appel actuellement parce que bon nombre d’entre eux craignent de perdre leur emploi s’ils créent un syndicat ou adhèrent à un syndicat.

Selon Ian Porquia, président du réseau d’employés BPO Industry Employees Network (BIEN), il est important que la charte soit votée car elle conteste les affirmations des entreprises BPO qui prétendent qu’elles sont régies par la loi de 1995 sur les zones économiques (Special Economic Zones Act), interdisant aux employés de former et d’organiser des syndicats.

Pour Matula, il est urgent de prendre en considération les problèmes de santé des travailleurs des centres d’appel, en constante augmentation.

Outre les troubles du sommeil et l’épuisement, l’étude de l’OIT révèle que les travailleurs souffrent d’insomnie, de fatigue oculaire, de douleurs de la nuque, des épaules et du dos, et de maux de gorge.

Matula souligne par ailleurs la fréquence de maladies liées au mode de vie, telles que l’addiction aux drogues et les problèmes respiratoires dus au tabagisme.

Comme indiqué précédemment, le salaire des travailleurs des centres d’appel est plus élevé que le salaire minimum quotidien, actuellement de 466 pesos (soit 10,5 USD), ou 9320 pesos par mois (211,8 USD).

Dans l’industrie BPO, les salaires de départ s’étendent de 12.000 pesos (272 USD) à 15.000 pesos (340 USD) par mois, d’après les chiffres du réseau BIEN.

Les personnes qui effectuent deux heures supplémentaires maximum sont payées entre 3000 pesos (68 USD) et 5000 pesos (113 USD) par mois.

 

Vous avez dit travail décent ?

Cependant, Matula précise que salaire élevé ne rime pas forcément avec travail décent.

« Le travail décent n’est pas uniquement une question de salaire. C’est également une question de conditions de travail, de droit à se syndiquer, de droit à la protection sociale et de droit au dialogue social. Ces aspects ne sont pas correctement pris en compte » déclare Matula à Equal Times.

Il explique ce sont les réglementations du service de santé et de sécurité au travail, dépendant du ministère du Travail, qui régissent l’activité des centres d’appel et prévoient notamment deux semaines maximum de travail de nuit, suivies de deux semaines de travail de jour.

Toutefois, selon la FFW, les centres d’appel ne respectent pas cette loi.

La plupart des entreprises BPO qui proposent des salaires plus intéressants demandent à leurs employés de travailler de nuit, sans leur offrir la possibilité de travailler de jour.

La Convention de l’OIT sur le travail de nuit, datant de 1990, préconise également un bilan de santé régulier des travailleurs de nuit afin de réduire ou d’éviter les problèmes de santé.

Michael (nom d’emprunt) est âgé de 32 ans et travaille dans un centre d’appel à Manille.

Au cours des dix dernières années, il a pris près de 32 kg et pèse aujourd’hui 122 kg.

Michael souffre de toux persistante, de grippes et de rhumes à répétition et recourt souvent à l’automédication pour pouvoir continuer de travailler. Il n’est allé consulter un médecin qu’au moment où il a eu une otite grave.

En effet, les agents des centres d’appel sont sujets aux infections de l’oreille, dues au manque d’hygiène des écouteurs téléphoniques. Ils sont également soumis aux chocs acoustiques lorsque des interlocuteurs peu délicats crient à l’autre bout du fil, ou en cas de rétroaction électrique.

« Quand je sens que je m’assoupis ou que je suis fatigué, je mange beaucoup pour rester éveillé » dit Michael, expliquant son mauvais état de santé.

Son horloge interne se trouve elle aussi modifiée, étant donné qu’il travaille de 20.00 à 05.00 et qu’il dort de 09.00 à 17.00.

Michael espère que la charte améliorera les conditions de travail dans les centres d’appel, mais il pense que de nombreux travailleurs craindront d’adhérer à un syndicat puisque, dans son entreprise par exemple, c’est un motif de renvoi.

« Le contrat de travail spécifie clairement que les employés des centres d’appel ne doivent pas adhérer à un syndicat ni créer de syndicat » signale Michael.

« Nos responsables deviennent même paranoïaques dès qu’ils nous voient rassemblés en groupe de trois ou quatre personnes. En général, ils passent pendant nos pauses et ils nous demandent de quoi nous étions en train de parler » ajoute Michael.

« Nous soutenons pleinement le projet de loi, qui vise à protéger notre santé et notre bien-être. Mais j’espère aussi qu’il nous donnera assez de courage pour exprimer nos revendications ».