Inde : À quand l’amélioration du « pire métier du monde » ?

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Le Gujarat est fréquemment cité comme l’un des États les plus développés de l’Inde mais cela n’a pas empêché qu’une partie de sa population soit condamnée à des conditions de vie médiévales.

La loi de 1993 sur l’interdiction de l’enlèvement manuel d’excréments et la construction de latrines sèches a finalement rendu le « pire métier du monde » - le nettoyage manuel des toilettes à fosse (parfois appelé vidange manuelle) – illégal.

Cette législation a été renforcée par une nouvelle loi promulguée l’année dernière qui rend les pouvoirs publics locaux directement responsables de sa mise en œuvre.

Il reste cependant des centaines de milliers de « ramasseurs d’excréments humains » en Inde – qui enlèvent physiquement les excréments humains des toilettes « sèches ».

Et plusieurs millions d’autres qui ramassent manuellement les excréments humains et les déchets ménagers.

Ces tâches sont généralement laissées aux personnes de « basse classe » appartenant à la communauté des Dalits. Dans le Gujarat, ces mêmes tâches sont effectuées par les Valmikis (parfois appelés bhangis).

Environ 80.000 familles valmikis assurent les travaux de nettoyage au Gujarat : balayage des rues, nettoyage des égouts et des toilettes publiques et enlèvement manuel des excréments humains.

Hitendra Kumar Purushotam Das, Hiten pour les intimes, est l’un d’eux.

Il est employé comme éboueur manuel, safai karmachari en Hindi, par l’Ahmadabad Municipal Corporation (AMC).

Sa femme Maheshwari, son frère et sa belle-sœur sont, eux aussi, des safai karmacharis.

« C’est nous qui nettoyons la ville et gardons la population à l’abri des maladies, mais les gens nous méprisent en raison de notre caste. »

En vertu de la loi de 1993, l’embauche de travailleurs pour l’enlèvement ou le transport d’excréments humains ou la construction de latrines dépourvues d’un système d’égout adéquat est passible d’une peine de prison de jusqu’à un an et/ou d’une amende de jusqu’à 2000 roupies (33 USD).

La loi de 2013 augmente la peine de prison à cinq ans et l’amende à 500.000 roupies (8300 USD). Cela n’a, toutefois, pas suffi à mettre fin à une pratique qui remonte à la nuit des temps, ni à empêcher que celle-ci ne s’insinue sous d’autres formes plus conventionnelles d’ébouage.

 

Démentis et discrimination

L’hygiène publique est un enjeu crucial en Inde. D’après les chiffres de la Banque mondiale, 10% (768.000) de toutes les morts en Inde sont liées à un mauvais assainissement.

D’autre part, il est estimé que plus de 600 millions de personnes sans accès à des installations sanitaires adéquates pratiquent la défécation à l’air libre en Inde.

Dans les villes aux quatre coins de l’Inde, la pratique consistant à envoyer des safai karamcharis débloquer des égouts immondes sans aucun équipement de protection reste très répandue. Ces travailleurs sont soit directement employés, soit engagés en sous-traitance par les gouvernements des États.

Le travail est répugnant et dangereux. Chaque année, des milliers d’éboueurs dalits meurent dans des accidents ou suite à l’exposition à des gaz nocifs comme le monoxyde de carbone.

Le gouvernement de l’État dément que des personnes travaillent encore à l’heure actuelle dans le ramassage manuel d’excréments au Gujarat, malgré les preuves abondantes du contraire.

« Des bouches d’égout sont nettoyées manuellement et des morts surviennent. Si le gouvernement, lui-même, adopte une posture défensive sur cette question, comment l’enlèvement manuel d’excréments pourra-t-il jamais être éradiqué du pays ? » s’interroge Bezwada Wilson, qui dirige Safai Karmachari Andolan (SKA), l’une des ONG aux devants de la lutte contre l’enlèvement manuel d’excréments en Inde.

Bien que la constitution indienne interdise toute discrimination à l’égard d’une personne sur la base de sa caste, il n’est pas fortuit que la majorité des personnes travaillant dans l’assainissement en Inde sont issues de la communauté dalit.

Les tâches que ces personnes effectuent sont difficiles, dangereuses et dégradantes.

« Notre travail commence à 6h30 », dit Hiten.

« Nous nettoyons les rues et les toilettes publiques ». La défécation aux abords des toilettes est une pratique courante – ça aussi nous devons le nettoyer. »

Hiten dit que les travailleurs sont souvent maltraités par leurs concitoyens – et les employeurs.

« La situation devient insupportable quand ils nous insultent. Les gens nous traitent de tous les noms à cause de notre caste. Et nos collègues du sexe féminin ne sont pas à l’abri de ces injures », souligne-t-il.

Au début de cette année, Hiten et 5000 de ses collègues de l’AMC ont fait grève durant 28 jours, convertissant le cœur de l’industrie textile du Gujarat en un amas de déchets et d’immondices.

À travers leur mouvement de grève, ils réclamaient des salaires minimums garantissant le minimum vital, des jours de repos hebdomadaires et une protection contre l’oppression et les traitements indignes associés à leur travail.

« L’AMC a une politique qui prône l’égalité salariale entre les travailleurs contractuels et les employés permanents. Or depuis deux décennies, les safai karmacharis contractuels étaient payés 100 roupies (1,63 USD) pour quatre heures de travail et 200 roupies (3,35 USD) pour huit heures de travail », indique Amrish N Patel, secrétaire général du Gujrat Mazdoor Sabha (GMS), le syndicat à la tête du mouvement de grève.

« En attendant, des travailleurs avec 22 années d’ancienneté à leur actif continuent de travailler sous contrat, sans pouvoir prétendre aux prestations d’emploi régulier, à la caisse de retraite (pensions) ou à des jours de repos hebdomadaires rémunérés », a-t-il dit.

 

Insécurité de l’emploi et salaires de misère

Hiten travaille pour l’AMC depuis neuf ans mais il est toujours employé sous contrat temporaire, à l’instar de la plupart de ses collègues. Ce qui, selon lui, a un impact majeur sur la vie des safai karmacharis.

« Je suis assez privilégié dans le sens où j’ai mon propre logement mais beaucoup de mes collègues vivent dans des conditions ignobles. Il y a environ 2000 Dalits qui vivent dans des bidonvilles, sans accès à l’eau courante ou à des toilettes décentes », signale Hiten.

Un autre travailleur qui a demandé à garder l’anonymat a confié à Equal Times qu’ils étaient forcés de travailler durant de longues périodes sans la moindre pause.

« Nous travaillons 26 jours avec quatre jours de congé obligatoires. Mais dans notre cas les jours de congé ne sont pas rémunérés. Comment pourrions-nous songer à déménager vers un endroit meilleur alors que nous sommes livrés à un combat quotidien pour la survie ? »

L’éducation est aussi un problème pour les enfants des safai karmacharis.

« Nos enfants refusent d’aller à l’école car ils disent que « pour enlever et nettoyer des ordures, il suffit de savoir se servir d’un balai », dit Hiten.

Traditionnellement, les enfants des éboueurs sont découragés d’aller à l’école à la fois par la société et par leurs propres familles car on attend généralement d’eux qu’ils suivent dans les traces de leurs parents.

« Notre campagne de 28 jours a cependant permis d’ouvrir les yeux de la majorité. Ça va contribuer à un changement d’attitude », affirme Patel.

Le mouvement de grève qui a débuté le 31 décembre 2013 a pris fin le 28 janvier 2014 suite à la signature d’un accord provisoire entre le syndicat et les représentants du gouvernement.

Les travailleurs et les dirigeants syndicaux ont cependant fait l’objet de plusieurs arrestations au début de l’action collective, ainsi que de menaces systématiques tout au long du processus.

Au terme des négociations, les responsables de l’AMC ont promis une série de concessions : Une augmentation salariale de 1500 roupies (25 USD) et de 750 roupies (12 USD) pour les travailleurs à temps complet et les travailleurs à temps partiel respectivement ; quatre jours de repos mensuels rémunérés ; des contrats permanents pour tous les travailleurs à temps complet et des postes à temps complet pour les travailleurs temporaires.

D’un côté, la grève a été un franc succès. Un formidable exemple d’unité et de solidarité entre les travailleurs, selon le GMS, dont les mobilisations pacifiques ont réussi à rallier le soutien d’autres travailleurs organisés à travers la ville.

Patel hésite, cependant, à affirmer que la bataille touche à sa fin pour les safai karmacharis d’Ahmedabad.

« Nous considérons la grève seulement comme une victoire partielle. La bienséance apparente de l’AMC est à prendre avec précaution. Le pays ira bientôt aux urnes et l’acceptation de ces demandes pourrait relever d’une tactique électoraliste », a-t-il affirmé.