Le racisme se trouve-t-il derrière les expropriations illégales dans la Zone du canal de Panama ?

Le racisme se trouve-t-il derrière les expropriations illégales dans la Zone du canal de Panama ?

Afro-Panamanian residents of Arco Iris accuse the government of continuing pre-Civil Rights US racism by attempting to force them out and sell their land to private owners.

(Aliyya Swaby)

Josefa Barrios garde de tendres souvenirs de son enfance durant l’occupation américaine de la Zone du canal de Panama.

Tant d’heures de bonheur passées à jouer près d’un petit ruisseau à côté de la maison de sa grand-mère, dans le quartier noir ghettoïsé d’Arco Iris. « C’était comme une cour de récréation », dit-elle.

En 1979, les États-Unis ont entamé le retrait de leurs unités militaires de la zone du Canal et ces bases ont été « restituées » au territoire panaméen.

Le quartier d’Arco Iris, qui fait partie de ces « zones restituées » de la province de Colon, est peuplé d’une majorité de descendants d’ouvriers noirs, ceux-là mêmes qui ont bâti le Canal de Panama et qui étaient séparés de leurs collègues blancs et moins bien payés que ces derniers conformément aux lois ségrégationnistes de Jim Crow appliquées par les États-Unis.

Les habitants de cette zone accusent à présent le gouvernement panaméen de perpétuer le racisme américain en essayant de les évincer de force et de vendre leurs terres à des propriétaires privés.

Ils affirment être spoliés des titres de propriété de leurs domiciles familiaux et être contraints d’assumer des frais de réparation conséquents et indispensables que le gouvernement, en tant que propriétaire actuel des lieux, devrait normalement prendre en charge.

Depuis quelques mois, environ 200 habitants d’Arco Iris ont décidé de poursuivre le gouvernement panaméen devant la Cour suprême pour obtenir des arriérés de réparations et leurs droits de propriété.

Leur action n’est qu’une des nombreuses campagnes populaires ciblées sur les droits fonciers dans un pays dont le taux de croissance vertigineux de 8,4% attire des hordes d’entrepreneurs et d’investisseurs internationaux.

Le lundi 31 mars 2014, des centaines de résidents et partisans locaux ont défilé sur l’autoroute qui sépare le quartier de la zone franche de Colón, pour réclamer justice.

Le gouvernement rejette, cependant, les accusations de racisme.

« Nous avons administré tout ce qui concerne les zones restituées indépendamment de ce que ces zones ou quartiers représentent », affirme Juan Carlos Orillac, secrétaire exécutif de l’Unidad Administrativa de Bienes Revertidos (UABR), qui supervise le transfert des zones restituées dans les provinces de Panama et Colón.

Arco Iris comprend trois sections, dont une plus récente, créée en 1983, qui est séparée du reste. Les deux sections plus anciennes établies en 1919 et 1945 respectivement sont habitées principalement par d’anciens fonctionnaires fédéraux des États-Unis à la retraite ou les veuves et veufs de fonctionnaires retraités, lesquels craignent de ne jamais pouvoir acquérir les titres de leur logement.

On peut distinguer plusieurs catégories de plaignants : Il y a ceux dont les familles occupent les terres depuis plusieurs décennies et ceux qui s’y sont installés après la restitution ; certains doivent des arriérés de paiements correspondant aux mensualités hypothécaires passées et d’autres ont complété les paiements et attendent la confirmation du titre de propriété.

Professeure à l’Université de Panama, à Colón, Josefa Barrios mène la lutte au nom de sa défunte mère, veuve d’un ouvrier de la Zone du canal qui n’a jamais obtenu le titre de propriété de la maison familiale malgré maintes tentatives d’achat durant près de 30 ans.

Certains résidents sont convaincus que le gouvernement espère de cette façon rattacher leurs terres à la zone de libre-échange de Colón, l’un des plus grands ports francs du monde. « C’est à croire qu’ils se disent ‘tout le monde doit bien mourir un jour ou l’autre’ », dit Barrios.

Mais les représentants du gouvernement affirment qu’ils ne sépareront pas les résidents de leur terre. « La loi stipulait qu’ils avaient six mois pour déposer une option d’achat sur leur maison ou souscrire un nouvel accord de location, pas que des gens seraient évincés », a déclaré Orillac.

 

Évictions

Il n’en demeure pas moins que le gouvernement panaméen n’en est pas à sa première accusation de tentative d’éviction illégale, affirme l’historien et journaliste Esteban Lam, qui habite lui-même à Arco Iris.

Alors que les entrepreneurs affluent vers le Panama, les protestations des communautés noire et indigènes contre la saisie illégale des terres qu’elles habitent se poursuivent incessamment.

Vers la fin de 2012, dans la ville de Colón, des résidents ont pris part à des soulèvements où des personnes ont perdu la vie en réaction à une loi qui permettait au gouvernement de revendre des terres appartenant à l’État dans la zone franche.

Peu après, le président Ricardo Martinelli a décidé d’abroger le projet de loi.

Début octobre 2013, des habitants d’Arco Iris ont bloqué une route importante pour protester contre un projet de décret qui augmenterait le prix des terrains à Arco Iris de 20 à 60 USD par mètre carré. Un des manifestants portait un écriteau sur lequel on pouvait lire : « Nous sommes des personnes, pas des portefeuilles. »

Interrogé à ce propos, Roderick Rivera, administrateur régional des zones restituées a déclaré à la presse que le gouvernement ne vendait pas de propriété à Arco Iris.

« Tous les citoyens qui ont payé sont propriétaires de leur domicile et ceux qui ne l’ont pas encore fait sont notifiés à tel effet », a-t-il indiqué.

Suite à une rencontre avec les protestataires début novembre, le gouvernement national avait promis de revoir à la baisse l’augmentation des prix, cependant les habitants d’Arco Iris affirment n’avoir plus eu de nouvelle depuis lors.

D’après Orillac, le nœud du problème réside dans le fait que les résidents d’Arco Iris veulent obtenir leurs titres gratuitement, alors que la majorité des résidents des autres communautés des zones restituées ont choisi de payer les prix plus élevés exigés pour leurs logements.

Selon les protestataires d’Arco Iris, toutefois, le gouvernement aurait changé la destination des paiements au fil des ans, en modifiant et en rallongeant chaque fois les termes. Certains d’entre eux paient depuis des décennies et estiment qu’ils ne devraient pas devoir continuer à payer.

 

Un propriétaire négligent

Durant l’occupation de la Zone du canal, les États-Unis ont assigné les travailleurs noirs à une catégorie salariale inférieure dite silver ou « argentée ».

Mais suite aux pressions locales dans les années 1950, l’armée américaine a amélioré les conditions des travailleurs de cette catégorie argentée en leur accordant des espaces récréatifs et en agrandissant les quartiers d’habitation.

Le gouvernement panaméen, quant à lui, s’avère être un propriétaire encore plus négligent.

Quand Yolanda Corinealdi et son mari se sont installés dans le quartier Coiner d’Arco Iris en 1988, leur maison en ciment d’une seule chambre était évaluée à environ 6000 USD. « Quand mon mari est décédé, j’ai demandé un prêt pour la maison. Ils m’ont dit que je n’y avais pas droit car elle était au nom de mon mari », confie-t-elle.

À présent, la maison est évaluée à trois fois le montant initial. Les entrepreneurs privés dans la zone de libre-échange ont lourdement investi dans la zone environnante.

Yolanda Corinealdi est en train de rembourser un prêt pour la maison et économise en même temps dans l’espoir de pouvoir un jour peut-être l’acheter.

Le mois dernier, elle a dû encaisser un chèque d’un montant égal à la valeur initiale de la maison pour payer des réparations urgentes. Son toit est en train de s’effondrer et sa salle de bains s’inonde à la moindre averse.

Des récits comme celui-ci sont monnaie courante aux réunions bimensuelles du comité : Toits endommagés, logements inondés et fondations affaissées.

Selon Orillac, le gouvernement ne répare les logements qu’en cas de « nécessité imminente » dès lors qu’un pourcentage considérable de constructions s’est fortement détérioré au cours des dernières décennies. Il affirme ne pas avoir été informé d’actions en justice projetées par la communauté.

À la lumière des élections générales qui se disputeront début mai, il est peu probable que le gouvernement actuel ne prenne de décisions conséquentes à ce sujet.

Les résidents espèrent que le pourvoi en justice centrera davantage l’attention publique sur leur situation et incitera les nouveaux élus à agir. Madame Barrios craint, cependant, que le groupe ne soit pas suffisamment engagé pour supporter les difficultés dérivées d’une bataille juridique.

Personne ne tient à quitter Arco Iris mais la pression affleure.

La famille de Miguel Critchlow vit dans la même maison à Arco Iris depuis les années 1970. Ingénieur industriel à l’Université de Panama, à Colón, Critchlow a lui-même entrepris divers travaux de rénovation dans sa maison, y compris une extension.
Entre les rénovations et les réparations nécessaires, il s’est trop investi dans cette maison que pour partir sans se battre.

Sans compter que les conditions dans le quartier sont meilleures que dans le centre-ville de Colón tout proche, où certains riverains n’ont pas accès aux services essentiels comme l’eau potable et l’électricité.

Malgré l’histoire de la région, les résidents d’Arco Iris appartiennent toujours à Colón. Critchlow estime que le gouvernement panaméen devrait traiter Arco Iris comme faisant partie du pays au lieu de perpétuer un passé ségrégationniste.

« Ils ont promis au gouvernement des États-Unis qu’ils s’occuperaient de nous mais tout ce qui leur importe c’est le loyer. »