Attaque contre le salaire minimum en Australie

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Le salaire minimum en Australie a longtemps été parmi les plus élevés du monde et est un symbole de l’égalitarisme qui sous-tend les fondations de la nation. Mais tout cela pourrait bientôt changer dans le cadre d’un nouveau projet de loi du gouvernement de Tony Abbott.

Suite à une proposition découlant d’un audit des finances publiques fortement influencé par les milieux d’affaires, le salaire minimum national actuellement fixé à 16,37 dollars australiens (15,18 USD) par heure pourrait se voir réduire de près de 30 % au cours de la prochaine décennie.

Il s’ensuivrait une aggravation considérable du gouffre de l’inégalité entre les plus faibles revenus et le reste de la population active, dès lors que le salaire minimum national passerait de 56 % du revenu hebdomadaire moyen à 44 %.

Dans le cadre de la réforme proposée, la Commission Fair Work, instance à vocation quasi-judiciaire, se verrait désinvestie des pouvoirs de fixation annuelle des salaires, lesquels seraient réattribués aux gouvernements des États et des territoires, qui auraient dès lors le pouvoir de fixer le salaire minimum dans leur juridiction en-dessous ou au-dessus du seuil de référence de 44 %.

Les syndicats affirment que la proposition, si elle est adoptée, constituerait une attaque contre les fondations-mêmes du système salarial australien, établi il y a plus de cent ans.

« Il s’agit d’une stratégie des milieux d’affaires pour faire baisser les salaires dans l’ensemble de la communauté et qui nuira au mode de vie australien », a déclaré Ged Kearney, président de l’Australian Council of Trade Unions (ACTU) après que la proposition fut rendue publique, le Premier mai.

« La stratégie des grandes entreprises est claire – détruire le filet de protection salarial pour réduire les salaires sur toute la ligne.

« Plus qu’une attaque contre les personnes faiblement rémunérées, c’est une attaque contre nous tous. »

Craignant un retour de bâton sans précédent, le gouvernement a exclu l’adoption immédiate de la recommandation, préférant renvoyer celle-ci à un nouvel examen du système des relations du travail australien plus tard dans l’année.

L’Australie était l’un des premiers pays du monde à instituer un salaire minimum national.

Depuis lors, le niveau de vie élevé de l’Australie, avec pour point de référence le salaire minimum, a été une source de fierté nationale.

Si l’influence des entreprises dans le processus de fixation des salaires est allée croissant au cours des 25 dernières années, 1,54 million de travailleurs australiens, dont une majorité de femmes, continuent de dépendre du salaire minimum.

Pour Lisa Erskine, employée au salaire minimum dans la chaîne de production d’une filature de laine dans l’État de Victoria, l’augmentation du coût des produits essentiels comme l’essence, l’électricité et les factures de téléphone représente une lutte incessante.

« Très souvent, les gens sont obligés de s’en passer », affirme-t-elle. « Les conditions de vie en Australie restent plutôt enviables mais je pressens que les choses ne vont pas tarder à se corser. »

« La recommandation illégitime de la Commission de geler le salaire minimum est une mesure qui ne manquera pas d’accroître la pauvreté et d’accentuer l’écart grandissant entre les riches et les pauvres », a dit Adam Bandt, vice-président du parti écologiste Australian Greens.

« C’est la recette d’une course vers le bas au plan des revenus. »

 

Réduction des dépenses publiques

La proposition fait partie d’un ensemble de 86 recommandations énoncées dans un rapport soumis au gouvernement par la National Commission of Audit, laquelle se compose exclusivement de dirigeants d’entreprises et de personnes associées au Liberal Party de Tony Abbott, et vise à une révision complète des dépenses publiques dans ses moindres aspects.

La mesure s’inscrit dans le cadre d’une stratégie fiscale qui vise à restaurer un excédent budgétaire d’1% du PIB d’ici 2023.

Alors que l’Australie affichait une dette publique nette par rapport au PIB de seulement 12,7 %, selon une étude de ACTU, Tony Abbott, à l’époque leader de l’opposition a remporté les élections en septembre en partie parce qu’il a réussi à persuader l’électorat que le gouvernement travailliste avait créé une « urgence budgétaire » à travers des dépenses extravagantes sur des programmes sociaux comme le régime d’assurances national pour les personnes handicapées et les réformes du financement de l’enseignement.

Son rapport de 428 pages recommande des coupes budgétaires dans toute une série de programmes sociaux, une externalisation accrue des services publics et la privatisation d’entreprises actuellement aux mains de l’État, y compris Australia Post, en vue de générer des économies annuelles récurrentes de 60-70 milliards de dollars australiens (55-65 milliards USD) d’ici 2023-24.

Les propositions les plus controversées incluaient l’abolition de la couverture médicale gratuite universelle avec l’introduction d’un nouvel honoraire fixe de 15 dollars australiens (13,9 USD) par visite, le recul de l’âge de la retraite à 70 ans doublé de restrictions strictes sur l’accès aux pensions du troisième-âge, de même que des réductions drastiques des prestations pour les personnes âgées, handicapées, malades, les familles et les chômeurs.

En marge de la Commission d’audit, les entreprises et les associations des employeurs ont mené une campagne pour abaisser – voire, dans certains cas, abolir – le salaire minimum.

Lorsqu’il fut élu en septembre, mettant fin à près de six ans de gouvernement travailliste, le gouvernement de Tony Abbott a trouvé un écho favorable.

Depuis le début de l’année, un certain nombre de figures influentes, avec à leur tête le Premier ministre, ont durci leur discours à propos de ce qu’ils décrivent comme « la croissance insoutenable des salaires » - et ce malgré le fait que l’année dernière, la croissance des salaires n’a pas suivi le rythme de l’inflation - et des conditions de travail « excessivement généreuses ».

Un projet de loi a été déposé devant le parlement prévoyant un recours accru aux contrats d’emploi individuels. Ceux-ci augmenteraient le pouvoir des employeurs de dicter les salaires et les conditions de travail en marge du système de négociation collective.

Le gouvernement a également mis sur pied une Commission d’examen sur la gouvernance des syndicats, une démarche politiquement motivée qui relève d’une tentative délibérée d’affaiblir le mouvement syndical.

Bien qu’il reste au gouvernement de Tony Abbott à formuler des réponses spécifiques aux recommandations de la Commission et quand bien même déciderait-il de décliner cette proposition, les syndicats craignent que ceci ne marque que le commencement d’une attaque tous azimuts contre les salaires et les conditions.