Des tribunaux pour le féminicide au Guatemala : Une lueur d’espoir

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Le 15 mars 2013 à environ 9h30 du matin, Estefani Julissa Estrada Neill, 18 ans, étudiante en droit dans le département de Quetzaltenango, dans l’Altiplano occidental, a séché les cours et est montée dans une camionnette verte stationnée de l’autre côté de l’entrée principale du campus où un jeune homme aurait été en train de l’attendre.

C’était la dernière image que ses amis garderaient d’elle en vie.

Quelques heures plus tard, vers midi, le corps d’Estefani fut retrouvé sur un chemin de gravier menant à la localité voisine de Xecaracoj. Elle avait été étranglée et son téléphone portable et son portefeuille avaient disparu.

Les camarades de cours d’Estrada qui se sont avérés être des témoins clés dans l’affaire ont indiqué aux enquêteurs de la police que la personne avec laquelle la jeune fille a disparu n’était autre que son ex-partenaire, Oscar Zacarias Ordoñez, de 18 ans.

Depuis environ un an, le couple sortait à la dérobée car les parents de la jeune fille n’approuvaient pas leur relation. Après leur rupture, ils ont continué à se voir de manière sporadique. Estrada avait confié à ses amies qu’elle craignait d’être enceinte et que son ex l’avait sommée de ne rien dire à personne.

Le registre d’appels du portable d’Estrada transmis par l’opérateur téléphonique montre qu’avant sa mort, l’étudiante avait reçu une série d’appels d’un numéro localisé dans la municipalité voisine d’Olintepeque, où résidait son ex.

La police a perquisitionné le domicile de Zacarias Ordoñez et retrouvé le portable et le portefeuille d’Estrada, ainsi qu’une pièce à conviction terrifiante : Deux photos de la jeune fille sans vie à l’intérieur du véhicule. Elles avaient été prises à 10h52, le jour où son corps a été retrouvé.

Sur la base de ces preuves et des témoignages des camarades de cours d’Estrada, le ministère public a inculpé Zacarias Ordoñez de féminicide – homicide pour motif de genre – dans un procès à charge d’un nouveau tribunal spécialisé dans la violence à l’égard des femmes.

Le 26 octobre, il fut condamné à 50 ans de prison.

Le féminicide survient aussi lorsque l’État, par son inaction et pour avoir manqué d’accorder au cas toute l’importance qu’il méritait, re-victimise de fait une femme victime de féminicide. Certains experts considèrent le féminicide comme un crime d’État.

 

Des statistiques terrifiantes

Estfani Estrada est une des 759 femmes assassinées de façon violente au Guatemala en 2013, selon l’Instituto Nacional de Ciencias Forenses (INACIF), ce qui représente une augmentation de 7% par rapport à 2012.

21% des victimes ont été tuées par strangulation, comme dans le cas d’Estrada, 69% par balle et 9% à l’arme blanche. Dans 1% des cas, le corps de la victime a été retrouvé démembré.

Au cours des cinq dernières années, 3577 femmes ont été assassinées au Guatemala, pays qui affiche désormais l’indice de féminicide le plus élevé de la région, selon le Consejo Ministerial de la Mujer de Centroamérica y República Dominicana (COMMCA), qui appartient au Sistema de la Integración Centroamericana (SICA).

Le Guatemala est aussi l’un des pays les plus violents du monde avec un taux d’homicide de 48 par tranche de 100.000 personnes, comparé à la moyenne pour l’Amérique latine qui est de 25 homicides par tranche de 100.000 personnes et à la moyenne mondiale de neuf par 100.000.

C’est également le pays le plus dangereux du monde pour les syndicalistes.

Le procès de Zacarias Ordoñez s’est déroulé au tribunal de deuxième instance pénale pour les crimes de féminicide et autres formes de violence contre la femme, à Quetzaltenango, l’un des cinq départements du Guatemala à avoir mis sur pied des tribunaux spécialisés dans les crimes de genre suite à l’adoption de la loi contre le féminicide en 2008.

« Le premier effet de la loi a été de donner de la visibilité au problème de la violence à l’égard de la femme et à l’existence-même du féminicide non comme corollaire de l’homicide mais plutôt comme le résultat d’une situation d’inégalité de pouvoir.

« C’est pourquoi il y a des droits humains spécifiques pour aider ces groupes à sortir de ces conditions d’inégalité », a expliqué Hilda Morales Trujillo, directrice du Département du ministère public chargé de la coordination de l’aide aux victimes dans un entretien avec Noticias Aliadas.

 

Progrès importants

En 2010, le Guatemala est devenu le premier pays du monde à mettre sur pied de tels tribunaux spéciaux, avec des résultats jusqu’ici extrêmement prometteurs.

Selon les chiffres fournis par le Centro de Información, Desarrollo y Estadística Judicial (CIDEJ), le pourcentage de procédures pour féminicide et autres formes de violence à l’égard des femmes qui conduisent à des sentences et à des condamnations dépasse 30% dans les tribunaux spéciaux alors qu’il est inférieur à 10% dans les tribunaux ordinaires.

« L’attente réside dans le fait que le personnel qui officie dans ces tribunaux est passé par un processus de formation approfondie [dans la problématique du genre]. Il s’agit d’aller vers une plus grande ouverture d’esprit pour vaincre les stéréotypes qui contribuent à pérenniser la violence, par exemple que les femmes aiment qu’on les frappe ou que seules les femmes pauvres sont battues », indique Hilda Morales.

La majorité des juges qui instruisent ces procès sont des femmes. Les tribunaux disposent également de professionnels spécialisés en psychologie et en travail social, ainsi que de services de garderie qui s’occupent des enfants pendant que les mères rendent leurs témoignages, pour que la garde des enfants ne constitue pas un obstacle à la comparution des femmes aux procès.

« Tout ceci a contribué à renforcer la présence des victimes. Auparavant, elles portaient plainte mais étaient réticentes à poursuivre. Nous sommes parvenues à ce qu’elles se sentent en position de force et restent engagées dans le processus », a déclaré à Noticias Aliadas la juge Ana Maria Rodriguez.

Une autre nouveauté est que ces tribunaux enregistrent l’appartenance ethnique de la victime, son âge et sa relation à l’agresseur, autant d’éléments statistiques indispensables au bon déroulement de l’enquête.

Les chiffres fournis par le CIDEJ montrent que dans plus de 60% des cas, l’agresseur est le mari ou le partenaire de la victime, comme dans le cas de Zacarias Ordoñez.

Mais malgré ces progrès, la juge Miriam Mendez du tribunal de féminicide dans le département central de Guatemala estime que les déficiences liées au recours aux preuves médicolégales et la dépendance excessive aux témoignages demeurent problématiques.

Angelica Valenzuela, directrice du Centro de Investigación, Capacitación y Apoyo a la Mujer (CICAM) précise que ces tribunaux spéciaux n’opèrent pas dans l’ensemble du territoire national.

Comme nous montrent ces statistiques déplorables, même si la justice basée sur le genre apporte une lueur d’espoir dans la lutte contre l’impunité, il reste encore beaucoup à faire pour garantir aux femmes guatémaltèques leur droit à une vie sans violence.

 

Source : Noticias Aliadas http://www.noticiasaliadas.org/index.asp

This article has been translated from Spanish.