Le travail forcé génère 150 milliards de dollars US par an, selon un nouveau rapport de l’OIT

Un nouveau rapport publié aujourd’hui par l’Organisation internationale du travail (OIT) révèle que le travail forcé génère chaque année 150 milliards de dollars US de bénéfices illégaux dans l’économie privée à travers le monde.

Ce chiffre est trois fois plus élevé que les estimations précédentes; il est calculé à partir d’une nouvelle méthodologie basée sur une étude de l’OIT de 2012, qui indique que, sur la planète, 21 millions de personnes sont victimes du travail forcé, de la traite des êtres humains ou de l’esclavage moderne. Plus de la moitié d’entre elles (56 %) vivent dans la région Asie-Pacifique.

Dans son rapport Profits et pauvreté : la dimension économique du travail forcé, l’OIT affirme que deux tiers de ces 150 milliards USD, soit 99 milliards, proviennent de l’exploitation sexuelle, dont les femmes et les jeunes filles sont les principales victimes.

La deuxième activité à tirer des bénéfices du travail forcé comprend notamment les secteurs de la construction, de la fabrication et de l’industrie minière, qui produisent chaque année 31 milliards USD.

Dans le secteur de l’agriculture, y compris la sylviculture et la pêche, les bénéfices atteignent 9 milliards USD, alors que 8 milliards USD proviennent illégalement chaque année de revenus qui devraient en fait être empochés par les travailleurs domestiques.

« Ces chiffres montrent bien que le travail forcé est non seulement un commerce rentable, malheureusement, mais aussi qu’il est en train de changer, qu’il est en pleine mutation » déclare Guy Ryder, le directeur général de l’OIT, à Equal Times.

 

Application de la Convention n°29

À la fin du mois, la Conférence internationale du travail (CIT) annuelle se tiendra à Genève et réunira des employeurs, des syndicats de travailleurs et des représentants gouvernementaux de tous les États membres de l’OIT.

Le nouveau rapport de l’OIT servira très probablement de référence pour conclure les négociations engagées depuis longtemps afin d’actualiser, à l’aide de nouvelles normes, la Convention n°29 de l’OIT de 1930 sur le travail forcé, défini comme « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ».

Aujourd’hui, 177 États membres de l’OIT sur 185 ont signé cette convention (à l’exception notable des États-Unis et de la Chine), ce qui en fait l’une des conventions les plus ratifiées des conventions fondamentales sur le travail.

Mais plus de 80 ans après son adoption, les experts estiment que la Convention n°29 doit être renforcée.

Ils soulignent le fait que 90 % du travail forcé se trouve aujourd’hui dans l’économie privée, tandis qu’au cours de la première moitié du 20e siècle c’était plutôt les États qui y recouraient largement.

D’après le rapport de l’OIT, la pauvreté, l’exclusion sociale, le manque d’éducation, le genre et la migration sont les causes principales du travail forcé de l’époque moderne, alors qu’il s’agissait dans le passé de facteurs de type colonial.

« Il existe ce que nous appelons des lacunes dans la mise en œuvre », explique Ryder. « Nous devons faire davantage d’efforts pour lutter contre le nouveau phénomène de la traite des personnes, le transport contraint des travailleurs entre les frontières à des fins de travail forcé. Nous devons faire plus pour améliorer la prévention, l’indemnisation et la protection des victimes. »

Même si tous les délégués présents à Genève semblent être d’accord sur la nécessité de combattre le travail forcé, la nature juridique des nouveaux instruments fera l’objet de débats intenses. Pour le moment, il est encore difficile de dire si les nouvelles normes s’inscriront dans un protocole juridiquement contraignant, dans une série de recommandations, ou dans une combinaison des deux.

Yves Veyrier, porte-parole des travailleurs pour les négociations sur le travail forcé à la CIT, pense que « les difficultés commenceront lorsque les États auront peur d’appliquer des mesures qui risquent de coûter cher. Dans leur immense majorité, les gouvernements s’accordent à dire que le travail forcé est quelque chose de mal, mais la perspective de mettre en place de nouvelles réglementations les inquiète. »

Le dirigeant du syndicat français Force ouvrière affirme qu’une simple série de recommandations non rattachées à un protocole constituerait un « échec pour la communauté internationale ».

De son point de vue, les employeurs ont également intérêt à voter en faveur d’un contrôle puissant de l’État sur les entreprises, afin d’éviter de s’exposer juridiquement, au cas où il apparaîtrait que l’un de leurs sous-traitants ou partenaires commerciaux ait recours au travail forcé.

Pour Jeroen Beirnaert, spécialiste du travail forcé à la Confédération syndicale internationale (CSI), les gouvernements de l’Union européenne joueront un rôle décisif pour que le protocole l’emporte à la CIT, étant donné qu’ils votent généralement en bloc mais qu’ils sont encore divisés quant à la nécessité de disposer d’un nouvel instrument contraignant.

Toutefois, même si un protocole finit par être adopté, « il ne servira à rien s’il n’est pas soutenu par tous les gouvernements, ni associé à une meilleure coopération internationale entre les États pour lutter contre le travail forcé » précise Beirnaert.

« En fin de compte, il appartiendra toujours aux gouvernements d’exiger que les entreprises rendent des comptes  ».

 

Traduit de l’anglais par Equal Times.