Le nouveau gouvernement du Malawi doit s’assurer que les richesses minérales nationales profitent au peuple

En 2007, le gouvernement du Malawi a accordé une licence d’exploitation à la compagnie minière australo-canadienne Paladin Africa Limited en vue de l’ouverture de la première mine d’uranium du Malawi.

Le PDG de Paladin, Greg Walker, a qualifié son entreprise de « pionnière », s’agissant de la première firme étrangère à décrocher une licence minière au Malawi.

Aujourd’hui, la mine de Kayelekera, à Karonga, dans le nord du pays, est la plus grande du pays, bien que le gouvernement ait, depuis lors, délivré pas moins de 26 licences d’exploitation couvrant l’ensemble du pays, y compris des licences pour la prospection de minéraux de terre rare.

L’activité minière a le potentiel de transformer le sort économique du Malawi, ce petit pays enclavé d’Afrique australe avec une population d’environ 15 millions d’habitants, qui durant les 50 dernières années a fortement dépendu des exportations de tabac, de sucre et de thé.

D’après un article paru l’année dernière dans le Financial Times, l’industrie extractrice du Malawi est à ce point prometteuse qu’elle pourrait faire du pays le principal producteur africain d’éléments de terre rare.

Le même article indiquait que les bénéfices dérivés de cette industrie pourraient, à condition d’être efficacement gérés, engendrer des gains socioéconomiques considérables pour la nation d’Afrique australe qui – avec un PIB de 4,264 milliards USD – est fréquemment citée comme l’une des plus pauvres du continent.

Mais l’expérience de la mine de Kayelekera suggère qu’à l’instar de beaucoup d’autres pays africains, le Malawi a encore beaucoup de chemin à parcourir avant que ses richesses minières ne se traduisent en dividendes économiques pour l’ensemble de sa population.

Au début de l’année, Paladin Africa a annoncé la suspension des opérations à Kayelekera, invoquant la baisse des cours de l’uranium sur les marchés mondiaux, conséquence de la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011.

C’était le coup de grâce dans une transaction controversée qui avait suscité de vives critiques depuis le début.

Outre les inquiétudes concernant les risques de santé liés à la contamination et la radioactivité, les militants locaux et le grand public ont été outrés d’apprendre que Paladin, qui s’était vu octroyer une concession de 12 ans pour l’exploitation de la mine n’a jamais déclaré le moindre profit et n’a donc jamais payé la moindre taxe.

Pour la plupart des Malawites, il est inconcevable que Paladin Africa puisse exploiter une mine aussi vaste à perte. Aussi, la suspension des opérations apparait-elle ni plus ni moins comme une manœuvre employée par Paladin Africa pour éviter de devoir honorer ses obligations contractuelles.

Une ONG locale, le Centre for Social Concern (CfSC), a accusé le gouvernementd’orchestrer ce qu’elle a nommé « le pillage des ressources naturelles de Keyelekera » et a mobilisé la communauté locale en protestation.

Cela n’a pourtant pas suffi à empêcher la perte de plus de 300 emplois.

Ce chiffre n’est pas à prendre à la légère dans un pays où le taux de chômage non officiel atteint 70% et où le travail décent et les emplois qualifiés sont encore plus rares.

Le peuple du Malawi est en colère parce que son gouvernement à signé un contrat aussi bassement vénal, faisant payer le prix fort aux gens ordinaires.

Mais ce qu’il y a de plus regrettable c’est que la suspension des activités était tout-à-fait légale.

La question est donc « comment le gouvernement a-t-il pu conclure un accord à ce point préjudiciable » ?

 

Pas d’experts et pas d’expérience

Une partie du problème peut être attribuée au fait que le gouvernement malawite manque de personnel qualifié pour négocier les contrats et gérer l’industrie minière efficacement, et ce tant sur le plan politique que technique.

Même si les migrants malawites ont travaillé durant des décennies dans les mines d’Afrique du Sud et du Zimbabwe, le fait est qu’il s’agissait presque exclusivement de travailleurs manuels. Par ailleurs, l’activité minière est relativement nouvelle dans ce pays.

En juin dernier, l’ancien ministre des Mines du Malawi, John Bande, a admis que cette pénurie critique de compétences rendait le pays vulnérable au « pillage » par des compagnies minières étrangères.

La solution qu’il proposait consistait à faire appel aux services d’experts écossaispour former les Malawites dans les domaines du droit minier et de l’ingénierie minière.

Mais si le gouvernement reconnait qu’il existe un fossé en matière de compétences, pourquoi délivre-t-il de nouvelles licences en l’absence d’experts locaux qui soient à même de garantir le meilleur résultat possible pour le peuple ?

L’année dernière, une étude conjointe réalisée par l’ONG Norwegian Church Aid (NCA) et l’ONG catholique locale Catholic Commission for Justice and Peace (CCJP) a montré que le Malawi encourait à hauteur de 43,87 millions de dollars de pertes annuelles à travers ce qu’elles ont nommé des « incitations aux entreprises » - ou ce qu’on décrirait plus généralement comme de l’évasion fiscale.

43,87 millions USD, soit plus de 60% de l’actuel budget national de la santé au Malawi. Ou près de la moitié du budget de 103,7 millions USD alloué au programme phare de subvention aux intrants agricoles (Farm Input Subsidies Program) qui a contribué à réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Ce montant suffirait aussi amplement à financer la facture annuelle des universités publiques pour l’année dernière, qui s’élevait à 34,98 millions USD.

En regardant ces chiffres, on pourrait être porté à croire que le secteur minier figure au centre de l’agenda politique au Malawi or c’est loin d’être le cas.

De fait, des 12 partis politiques en lice aux dernières élections générales en mai, le Democratic Progressive Party (DPP) a été le seul à aborder en détail la question des mines dans son manifeste.

Le manifeste du DPP souligne que les politiques minières doivent protéger le droit des citoyens à un accès équitable aux ressources naturelles.

À cette fin, le gouvernement du DPP a promis d’œuvrer au développement et la mise en œuvre d’une utilisation transparente, responsable et efficace des ressources naturelles au service du développement du pays.

Mais les beaux discours ne valent rien. Le moment est venu d’agir.

Le gouvernement doit répondre de ses actes vis-à-vis des citoyens et les compagnies minières doivent répondre des leurs vis-à-vis du gouvernement.

C’est d’autant plus crucial au Malawi, où plus de 80% de population dépend de l’agriculture. Les mines occupent les mêmes terres que l’agriculture et faute d’une vision à long terme, les communautés locales seront forcées de subir les conséquences à long terme.

Le Malawi n’est, toutefois, pas le seul pays qui peine à tirer parti de ses propres ressources naturelles.

Ce qui est arrivé à Kayelekera – le contrat minier véreux, le manque absolu de transparence autour du contrat tant de la part de la compagnie minière que du gouvernement, l’évasion fiscale, la fixation des prix de transfert et (pas nécessairement dans ce cas mais certainement dans d’autres) la corruption – survient aux quatre coins du continent. Et tout cela ne fait que compromettre le potentiel de transformation socioéconomique du secteur minier en Afrique.

En 2013, l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a porté cette question à l’ordre du jour du G8, lançant un appel à l’aide pour mettre fin à « l’exploitation déraisonnable des ressources de l’Afrique ».

Il a fait référence au Rapport de progrès sur l’Afrique 2013, qui énonce un agenda détaillé pour l’abolition de la pauvreté dans ce continent riche en ressources naturelles.

Le nouveau président élu du Malawi, Peter Mutharika, doit tenir compte de ces recommandations et éviter de s’en tenir à un engagement de pure forme comme l’avait fait l’administration de son prédécesseur, Joyce Banda, durant ses deux années au pouvoir.

Hormis le fait que le signataire du contrat minier initial de Kayelekera n’était autre que le frère ainé de l’actuel président, le nouveau gouvernement semble avoir connu un début prometteur.

Il est encourageant de voir que le Botswana, qui est l’un des meilleurs exemples d’Afrique en termes de gestion efficace de ses ressources naturelles au bénéfice des citoyens a proposé son aide au Malawi dans ce domaine.

Une offre que Mutharika devrait accepter les bras ouverts.

Le nouveau gouvernement doit s’abstenir de signer tout nouveau contrat minier tant que le pays ne disposera pas de ses propres experts. Et une fois que ces experts seront en place, il devrait suivre l’exemple de pays comme la République démocratique du Congo et le Mozambique, qui ont renégocié une série de mauvais contrats.

La dure réalité est que les sociétés minières ne sont pas au Malawi pour développer le pays. Elles sont là pour faire des profits.

Mais c’est au gouvernement qu’il revient de veiller à ce que ces entreprises soient réfrénées, de manière à ce que les richesses naturelles du pays puissent profiter au peuple et aux générations futures du pays.