La Convention d’Istanbul: un nouvel élan dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes

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Il y a un mois, le 1 août 2014, est entrée en vigueur la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, mieux connue en tant que Convention d’Istanbul.

D’après les ONG des droits des femmes, ce nouvel instrument déjà ratifié par 11 pays ne changera pas la donne du jour au lendemain mais représente néanmoins une occasion historique de mettre fin à un problème endémique.

Selon la dernière étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), 62 millions de femmes, soit une femme sur trois résidant dans l’UE, ont déjà été victimes de violences physiques ou sexuelles au moins une fois dans leur vie.

D’après l’organisation des droits humains Amnesty International, la Convention d’Istanbul « est le premier traité européen à s’attaquer spécifiquement à la violence à l’égard des femmes et à la violence domestique. Elle énonce des normes minimales en matière de prévention, de protection et de poursuites et préconise l’élaboration de politiques intégrées. Les pays qui ratifient le traité ont l’obligation de protéger et de prêter assistance aux victimes de telles violences. Ils sont également tenus de mettre en place des services comme hotlines, foyers d’accueil, services médicaux, conseil et assistance juridique. »

La Convention d’Istanbul revêt encore plus d’importance pour les femmes migrantes, pour qui la violence représente une double menace. Non seulement sont-elles plus vulnérables à l’exploitation et à la violence physique que d’autres catégories de femmes, mais elles sont, de surcroît, exposées au chantage ; en dénonçant leur bourreau à la police, elles courent le risque de voir révoquer leur permis de séjour et de se retrouver en situation irrégulière.

Dans son rapport intitulé Stratégies pour mettre fin à la double violence contre les femmes sans-papiers – Protéger leurs droits et assurer la justice , la Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants (PICUM) fait référence à une enquête de l’organisation de défense des droits des migrantes IMKAAN, basée en Grande-Bretagne, selon laquelle sur 183 femmes en situation migratoire précaire ayant eu recours à une aide pour violence, 92% ont affirmé avoir subi des menaces de déportation de la part de leur bourreau.

Selon une autre enquête, cette fois de l’ONG française « La Cimade », 38% des commissariats de police parisiens procédaient à l’interpellation des femmes sans papiers au moment où celles-ci portaient plainte pour violence et 5% d’entre elles ne pouvaient même pas porter plainte.

Le rapport de la PICUM recueille aussi des témoignages de plusieurs migrantes qui ont porté plainte après avoir été victimes de violences. Parmi elles, une Afghane de 30 ans domiciliée en Suède qui a déclaré qu’elle avait été violée par son frère. Après avoir réussi à échapper à ce dernier, elle fut violée et forcée d’avorter par un compatriote afghan qui lui avait offert sa protection. Les deux hommes ont eu recours au chantage en menaçant de la faire déporter si elle appelait la police.

Elle a aussi dénoncé l’inertie des organisations qui sont censées protéger les migrantes contre la violence : « Je me suis adressée à de nombreuses organisations des droits des femmes ; j’ai même appelé le cabinet du roi de Suède pour leur faire part de ma situation. Mais comme en Afghanistan, ils ne sont pas à l’écoute des problèmes des femmes. Beaucoup d’organisations m’ont dit qu’elles ne pouvaient pas m’aider car je n’avais pas de papiers. Mais c’est précisément pourquoi j’ai besoin de leur aide. »

 

Une meilleure protection pour les femmes migrantes

« Les femmes migrantes s’affrontent aux barrières linguistiques, à la discrimination et à la victimisation secondaire et, en raison de leur statut, se voient privées de services vitaux comme des foyers d’accueil pour femmes », a déclaré à Equal Times Barbara Stelmaszek, coordinatrice de projets au réseau européen WAVE (Women Against Violence Europe).

Mais tout cela pourrait très vite changer avec la Convention d’Istanbul.

« L’article 4.3 de la Convention d’Istanbul appelle à ce que son application soit garantie libre de toute discrimination, pour quelque motif que ce soit, y compris le statut de migrant ou de réfugié ou l’origine nationale ou sociale », a dit Mme Stelmaszek.

« La convention oblige aussi les pays membres à assurer des services spécialisés adéquats, notamment des foyers d’accueil. Elle explique par ailleurs que les organisations des femmes sont les plus aptes à fournir de tels services. Leur indépendance les rend en effet plus accessibles aux yeux des victimes. »

« Le droit humain des femmes de vivre une vie exempte de violence ne devrait être rattaché à aucun statut. Il s’agit d’un droit indivisible et la clause de non-discrimination de la Convention le signifie très clairement. »

Lara Natale du Réseau européen des femmes migrantes explique à Equal Times que les « politiques qui régissent l’entrée, l’emploi et la résidence défavorisent fréquemment les femmes migrantes et augmentent le risque d’abus. Pour y remédier, l’article 59 de la Convention oblige les États membres à délivrer un permis autonome aux victimes dont le statut migratoire dépend d’un partenaire ou d’un conjoint violent. »

« La violence contre les femmes en Europe ne cessera que quand toutes les femmes auront accès à la justice », a déclaré Michele LeVoy de la PICUM. « À cette fin, les autorités devraient mettre en place un pare-feu, pour établir une distinction claire entre l’accès à la justice, aux services d’aide et aux foyers, d’une part, et l’application des règles sur l’immigration, de l’autre. »

Aux yeux des militantes pour les droits des femmes migrantes, il est désormais primordial que les pays membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne ratifient le plus rapidement possible la Convention d’Istanbul et transposent ses dispositions dans la législation nationale et européenne.