Chronique d’une mort annoncée : Un hommage à Edwin Chota

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Le 8 septembre 2014, le leader indigène péruvien et militant contre l’exploitation illégale des forêts amazoniennes Edwin Chota a été abattu aux côtés de trois autres membres de la communauté asháninka.

Les quatre hommes appartenaient à la communauté asháninka de l’Alto Tamaya-Saweto, dirigée par Edwin et située dans la région amazonienne d’Ucayali, au Pérou.

Des années durant, il s’était battu sans relâche pour obtenir la reconnaissance par l’État péruvien des terres ancestrales de sa communauté et l’expulsion des bûcherons illégaux qui exploitaient impunément leurs forêts situées à la frontière avec le Brésil.

Edwin n’a jamais réussi à obtenir l’expulsion des exploitants criminels et n’a pas, non plus, réussi à arracher les pleins droits fonciers à l’État péruvien mais il nous a aidés à mieux comprendre les problèmes de la protection des forêts amazoniennes péruviennes lors des séminaires organisés par Sustainlabour en collaboration avec les centrales syndicales péruviennes CGTP, CUT et CATP, en juillet dernier.

Nous pleurons sa mort et demandons justice.

Edwin s’est vu confronter à des obstacles procéduriers incessants. La reconnaissance officielle de la communauté indigène Saweto remonte à 2003, un an après qu’une partie de ses terres a été cédée sous forme d’une concession de 40 ans à une société forestière privée. La « priorité » a été accordée à l’exploitation forestière, quand bien-même le gouvernement s’était engagé à examiner et à résoudre le contentieux.

« Tant que nous n’obtiendrons pas les titres, les bûcherons ne respecteront pas notre propriété. Ils ont recours aux menaces. Aux intimidations. Et ils sont armés », dit-il en enchaînant.

En avril 2014, Edwin a déposé une plainte à Pucallpa, la capitale d’Ucayali, où il a identifié plusieurs bûcherons clandestins par leurs noms, avec des preuves photographiques de leur activité.

Cette plainte, outre les nombreuses années de militantisme acharné, lui ont peut-être coûté la vie.

 

Courageux

Déposer une plainte dans le contexte d’impunité propre à cette région constitue, en soi, un acte de courage extrême.

Il s’agit d’un territoire où se concentre 80% de l’exploitation forestière illégale du Pérou.

Malgré les menaces incessantes qu’il recevait de la part de bûcherons clandestins qui gardaient les viseurs de leurs fusils braqués sur lui, Edwin avait pour seule protection son couteau et sa détermination.

Les maffias versées dans l’exploitation illégale des forêts agissent avec impunité et amassent des profits colossaux, selon l’Agence internationale pour l’environnement (AIE). Un acajou adulte peut rapporter jusqu’à 11.000 USD sur le marché noir.

Le commerce illégal du bois est à la fois sophistiqué et puissant. D’après le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), les bénéfices globaux provenant de l’exploitation forestière illégale sont estimés entre 30 et 100 milliards USD par an. En réalité, les activités illégales représentent entre 10 et 30% du commerce mondial du bois.

Au Pérou, cette proportion est beaucoup plus élevée. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2012, 80% des exportations de bois du Pérou provenaient de l’exploitation forestière illégale.

Edwin rendait un service inestimable aux citoyens du Pérou.

Grâce à son travail et à son courage, ces activités illégales étaient dénoncées et documentées. Cependant, la responsabilité de protéger l’Amazone ne devrait pas retomber sur les militants indigènes – c’est le devoir du gouvernement.

Les communautés indigènes pourraient néanmoins jouer un rôle encore plus déterminant envers la protection de ces forêts mais seulement une fois que leurs droits et leurs terres ancestrales auront été reconnus.

Le Pérou a été incapable de défendre ses forêts et la vie des Asháninka.

Et le gouvernement ne peut prétendre qu’il ignorait ce qui se passait. D’après la Central Autónoma de Trabajadores del Perú (CATP), le syndicat auquel étaient affiliés les quatre leaders indigènes assassinés, le ministère de l’Agriculture, l’Agence de surveillance des ressources forestières (OSINFOR) et le procureur général représentant le ministère de l’Environnement, le ministère des Affaires étrangères et l’Ombudsman avaient tous promis de donner suite aux allégations d’Edwin Chota.

De fait, une inspection portant sur l’exploitation forestière illégale dans cette zone était prévue dans le courant de ce mois. Mais les inspecteurs ne sont jamais arrivés.

Edwin laisse derrière lui sa femme enceinte et un fils de huit ans. Sa disparition laisse aussi une marque indélébile sur tous ceux et toutes celles qui ont eu l’honneur de le rencontrer ou de travailler à ses côtés.

De nombreuses organisations syndicales internationales, dont la CSI, la CSA et l’IBB, ont adressé des lettres de protestation au président Ollanta Humala. Nous n’arrêterons pas de nous battre jusqu’à ce que justice soit rendue.

 

Cet article a été publié initialement sur le site web de Sustainlabour.