« Les mesures qui sont bonnes pour la justice sociale le sont aussi pour l’économie », selon Roberto Bissio de Social Watch

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Social Watch

Roberto Bissio est le coordinateur du secrétariat international de Social Watch, un réseau international d’organisations de citoyens qui documentent la façon dont les gouvernements et les organisations internationales mettent en œuvre leurs engagements en matière d’éradication de la pauvreté et d’égalité entre les hommes et les femmes.

Aujourd’hui, il parle à Equal Times de ce moment crucial pour le développement.

 

Pourriez-vous expliquer le processus de « l’après 2015 » dont les Nations Unies débattent actuellement ?

Le développement durable est en cours de discussion aux Nations Unies suite à deux événements importants.

Le premier était la Conférence de Rio+20 de 2012 au cours de laquelle il a été convenu de fixer des objectifs communs en termes de développement durable.

Le second concerne le futur des Objectifs du Millénaire pour le Développement(OMD) après leur échéance de 2015.

Ces deux processus se sont maintenant regroupés dans une discussion sur les Objectifs du Développement Durable au niveau de l’assemblée générale des Nations Unies.

 

Quels sont les défis d’une telle unification?

Les deux démarches ne sont pas contraignantes. Les cibles seront d’ordre politique, mais il ne s’agira pas de réglementations comme c’est le cas avec les droits humains et du travail, qui ont force de loi.

C’est là tout le problème. Nombre de cibles relèvent des droits humains.

Par exemple, nous sommes censés parvenir à éduquer tous les enfants ou encore à ce que tout le monde ait accès à de l’eau potable et à des services d’assainissement. Mais, il s’agit de droits humains.

C’est pour cette raison que nombre d’organisations de la société civile se demandent de quelle façon ces cibles vont être traduites dans la réalité afin de réaffirmer les droits humains.

Les nouveaux objectifs ne peuvent être inférieurs aux dispositions des conventions internationales relatives aux droits humains.

 

Existe-t-il d’autres sujets de polémique dans les discussions à propos des ODDs?

Los ODS ont été conçus pour que les pays très pauvres parviennent à un niveau minimum de santé, d’éducation et de progrès social pour leur population, un seuil auquel sont parvenus d’autres pays il y a très longtemps.

Auparavant, l’objectif n° 8 instaurait une responsabilité pour les pays riches de collaborer avec les pays plus pauvres. Aucune des cibles de l’objectif n° 8 (conditions de commerce équitable, solution aux problèmes de dette, transferts de technologie, etc) n’a réellement été mise en pratique.

Aujourd’hui, on parle de développement durable. Les pays riches doivent remettre en question leurs modèles de consommation et de production qui ne sont pas pérennes, qui sont à l’origine du changement climatique, qui épuisent les ressources naturelles, par exemple.

Il n’est pas admissible que 20 % de la population mondiale consomment 80 % des ressources naturelles.

Pourtant, quand il s’agit de préciser les objectifs pour les pays riches dans ces domaines, la discussion ralentit instantanément. Au niveau des Nations Unies, il n’existe pas de volonté politique de parvenir réellement à des compromis, même non contraignants, relatifs à ces thèmes.

Le secteur privé a aussi été un élément de polémique et de discussion lors des négociations de l’après 2015

 

Comment, selon vous, parvenir à un développement durable?

Le niveau actuel d’inégalités dans le monde nous empêche de parvenir à un développement durable.

C’est un grand paradoxe. Pour le moment, au niveau mondial, le revenu moyen annuel par habitant est supérieur à 10.000 dollars US. Pourtant, il reste toujours le problème des 1,5 à 2 milliards de personnes qui gagnent moins de 1000 dollars US par an. Comment sommes-nous parvenus à cette situation ?
Les inégalités ont atteint une ampleur extrême.

 

Et pour résoudre ce problème d’inégalités ...?

L’expérience montre que les États qui ont instauré des politiques fiscales plus justes et qui ont renforcé les syndicats et les organisations sociales sont non seulement parvenus à une plus grande équité au niveau de la distribution des revenus, mais ont aussi connu une plus forte croissance économique.

Par exemple, en Uruguay, comme dans d’autres pays d’Amérique latine, l’expérience montre que les théories selon lesquelles il faut réduire le poids des syndicats, rendre les licenciements plus aisés, encourager la flexibilité au travail, etc. pour attirer les investissements ne se vérifient pas dans la pratique.

Au contraire. Une plus forte syndicalisation, davantage de droits au travail, l’organisation du personnel domestique et de la main-d’œuvre rurale, le renforcement de la capacité de négocier, l’imposition de la négociation collective et toute une série de mesures qui ont été instaurées dans différents pays d’Amérique latine ont permis une hausse des investissements et une plus forte croissance économique.

C’est facile à comprendre. Par des mécanismes divers, au final, ces mesures permettent à la population d’avoir plus d’argent, qu’elle va ensuite dépenser, générant une plus forte demande et enclenchant un cercle vertueux de croissance de l’économie.

En revanche, depuis la crise mondiale de 2008 jusqu’à aujourd’hui, là où cet argent a été placé dans les banques et dans les portefeuilles des millionnaires dont on exige moins d’impôts, il s’est immobilisé et n’a pas été pas réinvesti dans l’économie.

Il est donc temps de revoir ces politiques et de réaliser que les mesures qui sont bonnes pour la justice sociale le sont aussi pour l’économie.