La crise grecque stimule l’entrepreneuriat social

La crise grecque stimule l'entrepreneuriat social
News

Au début du mois, le bureau hellénique des statistiques a publié de nouvelles données qui montrent que plus de 2,5 millions de Grecs, soit près d’un quart de la population, risquent de basculer dans la pauvreté.

Plus de quatre ans après le début de la crise économique en Grèce et l’adoption des premières mesures d’austérité, c’est toujours palpable dans les rues d’Athènes que la population a en effet du mal à joindre les deux bouts.

Alors que l’heure du déjeuner approche dans le quartier animé de la Place Omonia, près de 300 personnes sont déjà alignées devant les locaux de Caritas à Athènes pour recevoir l’un des repas chauds que cette ONG catholique offre gratuitement tous les jours.

L’un des membres du personnel de Caritas leur demande d’attendre à l’intérieur de l’immeuble, encombrant cages d’escalier et couloirs, de crainte d’attaques racistes du parti d’extrême droite, Aube dorée.

Même si la grande majorité d’entre eux sont des migrants venus du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique, l’ONG Caritas explique que de plus en plus de Grecs désespérés viennent aussi chercher quelque chose à se mettre sous la dent.

Si le menu du jour propose l’habituelle ration de riz et de légumes cuits à la vapeur, il est étonnant de constater qu’il comprend également des pâtisseries fraîchement préparées par le boulanger français Paul.

Alexander Theodoridis sourit en satisfaction. Sans l’intervention de l’organisation non gouvernementale Boroume (« nous pouvons » en grec) qu’il a cofondée, ces centaines de petites tartes auraient fini à la poubelle.

« Nous ne sommes qu’une plateforme de communication », explique Alexander Theodoridis à l’équipe d’Equal Times. « Nous nous contentons de mettre en contact ceux qui peuvent donner de la nourriture et ceux qui en ont besoin. »

Depuis le partenariat entre Boroume et Caritas, au début de 2014, 24.000 « équivalents repas » supplémentaires - sur base de la règle générale de 700 calories par repas - ont pu être distribués à des migrants et des familles grecques.

« Nous avons plus de produits à proposer qu’avant le début de la crise », annonce Aglaia Konstantakopoulou, travailleuse sociale chez Caritas. « Nous sommes non seulement capables de nourrir toutes les personnes qui se présentent ici, mais nous pouvons en plus leur fournir des aliments de qualité. »

Démarrée en mai 2011 comme une simple initiative pour amener des tartes au fromage invendues d’une boulangerie d’Athènes à une soupe populaire à proximité, Boroume s’est rapidement développée pour devenir une ONG renommée employant quatre personnes à temps plein et comptant sur une équipe de plus de 20 bénévoles hebdomadaires.

Elle dispose aujourd’hui de plus de 200 « ponts » permanents dans le pays qui relient des donneurs de nourriture et des organisations bénéficiaires, permettant ainsi la fourniture d’en moyenne 3000 équivalents repas par jour – des aliments qui auraient autrement fini à la poubelle.

Sa réussite est telle que le modèle est désormais reproduit dans d’autres pays du monde et fera l’objet de discussions à la fin de la semaine lors d’une réunion, à Bruxelles, de la plateforme FUSIONS (Food Use for Social Innovation by Optimising Waste Prevention Strategies - L’alimentation au service de l’innovation sociale via l’optimisation des stratégies de prévention du gaspillage).

L’organisation fonctionne exclusivement grâce à des dons privés et a obtenu le soutien de parrains grecs et étrangers, de sociétés multinationales et même de l’un des plus grands cabinets d’avocats d’Athènes qui lui fournit une assistance juridique gratuite.

« La nécessité vous rend inventif », explique Alexander Theodoridis, un homme de 37 ans, diplômé de l’École d’économie de Londres (LSE) et ancien conseiller politique.

« Des personnes nous disent souvent que c’est à l’État de venir en aide à celles et ceux qui ont faim. Je leur dis "on l’emmerde" ! Ici, en Grèce, nous devons cesser d’espérer quoi que ce soit du gouvernement. Je dirais même que la situation économique est un atout, car elle a permis à la société de s’ouvrir pour laisser de l’espace à de telles initiatives. »

 

Travail indépendant, soutenabilité et responsabilité sociale

Malgré une légère amélioration, la Grèce affiche toujours le plus haut taux de chômage des pays de l’Union européenne, à 27 %, et, avec plus d’un jeune adulte sur deux actuellement sans emploi, le pays se retrouve en deuxième position, derrière l’Espagne, en termes de chômage des jeunes de moins de 25 ans.

Pour cette catégorie de travailleurs, même lorsqu’ils parviennent à trouver un emploi, ils doivent souvent survivre avec un revenu rarement supérieur au salaire minimum qui a été réduit de 32 % en 2012, à juste 500 euros bruts.

Dans un rapport spécial intitulé « Une génération menacée » et publié en 2013, l’Organisation internationale du Travail (OIT) annonçait : « Outre ses effets négatifs sur les salaires et l’employabilité futurs, le chômage des jeunes peut compromettre le bonheur, la satisfaction au travail et la santé durant de nombreuses années. »

L’Organisation recommande une approche générale pour résoudre ce problème, en accordant la priorité à des « politiques macroéconomiques favorables à l’emploi », à l’application de la législation du travail et des conventions collectives, à l’entrepreneuriat et au travail indépendant.

À l’instar de Boroume, de nombreux jeunes Grecs sont devenus des entrepreneurs indépendants, souvent plus par nécessité que par choix, et ont puisé leur inspiration dans les problèmes de leur pays.

Depuis 2013, ces tendances à ne compter que sur soi-même et à la responsabilité sociale se rejoignent chez Impact Hub Athens, un bureau et une plateforme mettant en contact de jeunes entrepreneurs avec un réseau national et international axé sur des projets durables.

Tina Kiriakis était responsable des relations publiques et de la commercialisation dans une grande entreprise. Après avoir été licenciée en 2010, elle a décidé de lancer sa propre agence de voyages et d’offrir des visites guidées alternatives d’Athènes.

Elle gère aujourd’hui en moyenne 10 visites par semaine pendant la saison touristique et emploie cinq guides indépendants.

« Je n’aurais jamais fait cela s’il n’y avait pas eu la crise », explique-t-elle à l’équipe d’Equal Times.

Un autre résident d’Impact Hub est Filisia qui a mis au point un dispositif musical qui aide à la réhabilitation cognitive et physique des personnes atteintes de paralysie cérébrale, du syndrome de Down ou d’autisme.

Le prototype a été salué par des médecins et des thérapeutes du monde entier, et a reçu de nombreuses récompenses et subventions. Ses inventeurs améliorent constamment leur modèle dans l’espoir de lancer rapidement sa fabrication.

En fournissant des tutorats, des parrainages et des contacts, les promoteurs d’Impact Hub pensent qu’ils peuvent aider à transformer une idée en une entreprise qui marche, espérant aussi participer à la résolution du problème du chômage en Grèce et du travail décent.

« Ce genre d’initiative était vraiment nécessaire parce que les gens avaient perdu la foi en leurs capacités à changer quoi que ce soit », explique Lioubi Karageorgou, une jeune femme de 22 ans chargée des communications d’Impac Hub.

Et puisque ni elle ni Dimitris Kokkinakis, cofondateur du projet, ne perçoivent de salaire, ils expliquent qu’ils ont appris à vivre avec seulement 200 ou 300 euros par mois.

« Mais je n’abandonnerai pas le projet juste pour avoir un emploi rémunéré », déclare Lioubi Karageorgou. « Et je n’ai pas non plus le sentiment d’être au chômage, car j’apprends tous les jours. »