Espagne: pays où les leaders syndicaux grévistes deviennent des criminels

News

Tandis que des dizaines de milliers de travailleurs espagnols se préparent à manifester le 29 novembre, en soutien à la campagne Dignité et Droits, ils dénonceront également la persécution judiciaire de centaines de syndicalistes ces dernières années.

Un des exemples les plus proéminents est le cas de Katiana Vicens, secrétaire générale de la Confédération syndicale des commissions ouvrières (Comisiones Obreras, CC.OO.) aux Baléares, qui a gagné une victoire aigre-douce ce dernier 29 octobre.

D’une part, elle va pouvoir à nouveau respirer tranquillement car elle a été acquittée du délit pour lequel le procureur demandait une peine de quatre ans et demi de prison, mais d’autre part, sa version des faits n’a pas été acceptée et elle a été condamnée à payer une amende de 4.000 euros pour un délit de dommages et contraintes.

Selon la juge qui a instruit l’affaire, les preuves démontrent que Vicens a contraint un chauffeur et a cassé la glace de son autobus, qui se trouvait en service minimum, durant la grève générale de mars 2012.

La dirigeante des CC.OO. aux Baléares a réitéré son innocence et son désaccord quant au jugement annoncé. « Je n’ai pas frappé le verre, et je n’ai pas vu à aucun moment le verre se rompre, je n’ai insulté ni menacé personne », a-t-elle signalé indignée.

Le jugement de Katiana Vicens, célébré le 13 octobre dernier, est important, car le procureur avait demandé une peine maximale, quatre ans et demi de prison, pour la violation de l’article 315.3 du Code pénal, qui régit comme délit contre les droits des travailleurs le fait de contraindre une personne à se joindre à la grève.

Selon ce même article, au mois de mai dernier, deux professeurs de gymnastique, Sofía López* et Carmen Pérez*, ont été condamnées à trois années de prison pour avoir participé à un piquet de grève informatif, durant lequel de la peinture a été lancée dans une piscine. Les faits ont eu lieu durant une grève de sa convention collective en 2010. Elles demandent maintenant la grâce du gouvernement.

Ni Katiana, ni Sofía, ni Carmen sont des cas uniques.

Il y a actuellement plus de 40 procédures pénales contre des syndicalistes qui ont participé à des grèves sectorielles ou générales, afin de protester contre les coupes budgétaires et les mesures d’austérité imposées par le gouvernement espagnol.

Devant cette réalité, les syndicats majoritaires CC.OO. et l’Union générale des travailleurs (UGT en espagnol) ont dénoncé devant le procureur et les juges la persécution pénale des syndicalistes.

 

« Faire la grève n’est pas un crime »

Selon eux, il y a plus de 300 personnes affectées par des procédures administratives et pénales et si on ajoute toutes les demandes de peines de prison, le chiffre atteint les 120 années.

Ce dernier mois de juillet, lors d’un rassemblement en défense du droit de grève et de la liberté syndicale organisé à Madrid, le secrétaire général des CC.OO., Ignacio Fernández Toxo a critiqué l’intention du gouvernement de faire un pas en arrière de 40 ans en Espagne.

« Nous sommes ici parce que la grève n’est pas un délit, c’est un droit qu’ils veulent nous arracher en nous faisant peur en utilisant le Code pénal », a signalé Toxo aux personnes rassemblées, dont notamment Katiana Vincens et d’autres syndicalistes accusés.

Depuis le début de la démocratie en Espagne, les incidents qui ont lieu durant les piquets de grève informatifs dans le cadre des conflits liés au travail sont habituellement traités comme des délits mineurs ou des fautes pour contraintes.

Ces quatre dernières années, les magistrats ont commencé à utiliser cet article du Code pénal qui établit des peines de prison de trois à quatre ans et demi pour les travailleurs.

Les premiers cas ont eu lieu durant la grève générale de 2010, quand Rodríguez Zapatero gouvernait encore, mais c’est sous le gouvernement du Parti populaire (Partido Popular) que cette tendance a augmenté. « Avec Mariano Rajoy, il semble que débute une époque ‘thatchériste’, pour mettre en place un modèle déterminé très néoliberal. Ils veulent mettre tous les services publics dans les mains du privé et la première chose qu’ils veulent faire est en terminer avec les syndicats », a affirmé Vicens.

La secrétaire générale des CC.OO. des Baléares a constamment reçu des messages de soutien sous le slogan “Nous sommes tous Katiana”.

Se sont jointes également en solidarité à la cause plus de 20 organisations syndicales du monde entier qui ont pressé le président du gouvernement, Mariano Rajoy, à « mettre fin à cette offensive contre le droit des travailleurs et à retirer les charges contre les syndicalistes affectés », comme l’énoncent les nombreuses lettres envoyées à la Moncloa.

La situation que vivent les syndicalistes espagnols n’a pas de précédent en Espagne démocratique, mais elle est similaire à la situation que vivent d’autres travailleurs qui défendent leurs droits dans d’autres pays sur la planète.

Actuellement, des membres du syndicat Korean Railway Workers’ Union font face à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison et à des amendes millionnaires pour avoir fait obstruction à l’activité des entreprises durant une grève. En Thaïlande, c’est un droit qui est refusé à n’importe quel travailleur dans le secteur public. En Turquie, 316 membres du syndicat turc de l’aviation civile ont été licenciés pour avoir réalisé une action collective de protestation contre le gouvernement.

C’est pour cela qu’il n’est pas étonnant que le président de la Confédération syndicale internationale (CSI), João Antonio Felicio, a signalé que « le droit de grève doit être défendu à tout prix » surtout que, selon lui, une attaque sans précédent a lieu contre ce droit depuis 2012 à l’OIT, orchestrée par le Groupe des employeurs.

 

*Noms d’emprunt.