Un gouvernement australien assiégé se prépare à affronter les manifestations

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Les syndicats australiens ont convoqué une journée nationale d’action le mercredi 4 mars en réponse aux mesures d’austérité qui menacent les conditions de travail et les salaires de millions d’Australiens.

Parmi les mobilisations massives prévues dans les principales villes du pays, la plus importante aura lieu dans la ville de Melbourne.

Les syndicats ont annoncé les manifestations fin janvier, en réponse aux tentatives maladroites du gouvernement du Premier ministre Tony Abbott d’affaiblir les droits des travailleurs et de démanteler des éléments essentiels de l’État providence, et ce dans le cadre d’un plan d’austérité national.

L’examen imminent du système australien de relations du travail par la Productivity Commission (Commission sur la productivité), pro-entreprises, a été le catalyseur immédiat des manifestations.

Les recommandations possibles incluent des réductions du salaire minimum et des « taux majorés » pour le travail de week-end et de nuit dont dépendent des centaines de milliers de travailleurs faiblement rémunérés.

Mais pour le Premier ministre Abbott, qui a récemment échappé à une tentative d’éviction interne du leadership de son gouvernement et dirige désormais le pays avec l’une des plus faibles cotes de popularité de l’histoire de l’Australie (29%), les manifestations n’auraient pas pu plus mal tomber.

La coalition National-Libéral à la tête de laquelle se trouve le Premier ministre fut élue à une majorité écrasante en septembre 2013, supplantant le Parti travailliste au pouvoir depuis 2007.

Mais après seulement 18 mois au pouvoir, le gouvernement Abbott s’est engagé dans un programme néolibéral débridé prévoyant des réductions drastiques des dépenses et des services, une réforme de l’âge de la pension et des retraites, un durcissement au plan de l’éligibilité aux allocations de chômage, une révision à la hausse du prix d’accès aux soins de santé et à l’éducation supérieure, des privatisations et des suppressions d’emplois.

Paradoxalement, le gouvernement australien s’embarque dans des politiques d’austérité au moment-même où l’Europe commence progressivement à faire marche arrière sur cette même approche qui s’est avérée être un échec et a donné lieu à une stagnation de la croissance, un chômage galopant et un déclin du niveau de vie.

Le désaveu public à l’égard du Premier ministre Abbott et de ses politiques est désormais tel qu’il s’est propagé aux gouvernements de la coalition Libéral-National dans les États de Victoria et de Queensland qui ont tous deux accusé un recul aux élections depuis novembre.

L’élection du Queensland a provoqué un véritable tollé, se soldant par la victoire du gouvernement conservateur au pouvoir depuis 2012, qui a remporté une majorité parlementaire écrasante de 78 sièges contre sept.

Le Queensland avait servi de banc d’essai aux mêmes politiques qu’Abbott a tenté de déployer au niveau national.

Quelques jours seulement après le vote du Queensland, Abbott lui-même se voyait confronté à une lutte intestine pour tenter de préserver son leadership contre les critiques qui le tenaient responsable de la débâcle.

Des élections auront lieu fin mars dans le plus grand État de l’Australie, la Nouvelle-Galles du Sud, dont Tony Abbott est originaire et où les Libéraux gouvernent avec une confortable majorité. Mais même là, les responsables du parti craignent que le « facteur Abbott » n’ait un impact adverse.

 

Comment la situation a-t-elle tourné si mal si vite ?

Les causes profondes des déboires actuels de Tony Abbott sont à trouver dans sa victoire de 2013.

Loin de faire l’unanimité auprès d’un public méfiant face à sa pugnacité et son conservatisme idéologique, Abbott a néanmoins réussi à accéder au gouvernement presque par défaut, grâce au chaos qui régnait dans les rangs du Parti travailliste mortellement blessé par des années de luttes intestines et de dissensions.

Abbott s’est lancé dans la course électorale de 2013 avec un programme politique singulièrement creux, hormis son approche plus agressive à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugiés, l’abolition du régime d’échange des émissions dont l’Australie avait été l’un des pionniers à niveau mondial et une vague promesse de s’attaquer aux problèmes structurels présents dans le budget du Commonwealth.

C’est ce qui explique aussi le sentiment de trahison viscéral qu’a suscité auprès de l’opinion publique le premier Budget du gouvernement Abbott en mai 2014 lorsque furent annoncés, de but en blanc, des dizaines de coupes et de nouvelles charges.

Le trésorier australien Joe Hockey a annoncé la couleur dans son discours sur le budget lorsqu’il a divisé la nation entre « ceux qui portent et ceux qui s’appuient », s’aliénant d’un seul coup les millions de personnes qui dépendent de la santé publique, de l’éducation, des services communautaires et de l’assistance sociale.

Aucun des changements proposés dans le budget n’était plus symbolique que le plan visant l’introduction d’une « participation » de 7 dollars australiens (approximativement 5,50 USD) par consultation médicale.

Les Australiens ont été outrés par ce qu’ils estiment être le démantèlement du système de santé universel Medicare mis sur pied en 1975 par le gouvernement de Gough Whitlam.

Selon certains commentateurs, le budget Abbott – et, de fait, l’ensemble de son approche gouvernementale – constituent un affront au concept australien de « Fair Go », la notion d’un égalitarisme fondamental.

Cet avis est renforcé par une enquête nationale menée à la fin de l’année dernière par la principale organisation syndicale du pays, l’Australian Council of Trade Unions.

L’enquète qui a recueilli les opinions de plus de 43.000 personnes montre qu’une nette majorité (74%) estime que le pays fait fausse route et que 28% ont du mal à joindre les deux bouts avec les revenus de leur ménage.

Depuis, une grosse partie du budget du gouvernement Abbott a été bloquée par un Sénat hostile et il apparait de plus en plus improbable que les réformes proposées liées au coût du Medicare et de l’éducation supérieure ne soient jamais adoptées.

 

4 mars

Alors que les feux des projecteurs étaient braqués sur les retombées du Budget 2014-2015, le système de relations du travail est passé sous les radars.

Néanmoins, le gouvernement a manœuvré en coulisse à la promotion d’une liste de souhaits patronaux dressée avant l’élection de 2013.

Depuis un an, une commission royale sur la gouvernance syndicale draine les ressources et l’énergie des syndicats, accaparant occasionnellement la une des journaux avec des allégations sensationnalistes mais généralement non-fondées qui ont terni l’image des syndicats australiens.

Une série de projets de loi sont actuellement à l’examen au Sénat. Ceux-ci visent l’élargissement du recours aux contrats individuels, l’affaiblissement de la négociation collective et la restriction des droits à entreprendre une action collective et à être représentés par des syndicats.

L’enquête de la Commission sur la productivité vient donner suite à une autre promesse faite aux associations patronales par le gouvernement, celle de mettre sur la sellette le système de relations du travail dans le courant de son premier mandat et d’entreprendre des réformes significatives d’ici aux prochaines élections dues en 2016.

Les associations d’entreprises et d’employeurs se sont préparées pour cet examen depuis plus d’un an. Au sommet de leur liste de demandes figurent la révision à la baisse du salaire minimum, une révision des taux de rémunération majorés, l’affaiblissement des protections pour licenciement déloyal et la marginalisation des syndicats et de la négociation collective.

Divers documents de synthèse publiés par la Productivity Commission en janvier sont venus confirmer les pires craintes des syndicats qui se sont rapidement mobilisés pour la journée d’action.

Mais la réalité est qu’il est peu probable qu’un gouvernement politiquement vulnérable risque de s’aliéner les électeurs davantage en adoptant des politiques qui réduiraient leurs revenus nets – ou que le Sénat ne le soutienne en ce sens.

Déjà, le ministre de l’Emploi Eric Abetz a tenté d’apaiser les craintes en excluant toute réduction drastique des taux majorés et du salaire minimum, quand bien-même celles-ci seraient recommandées par la Productivity Commission. Entre temps, les mobilisations syndicales, elles, auront lieu comme prévu pour tirer parti de l’élan politique engendré contre le gouvernement.

Sous le cri de guerre de « Luttons pour nos droits », les syndicats manifesteront non seulement contre les attaques visant les droits des travailleurs mais ils défendront, en même temps, la santé publique et l’éducation, les services communautaires et le système de retraite universel.

La présidente de l’ACTU, Ged Kearney, a annoncé que la journée de contestation marquera le point de départ d’une campagne nationale pour la protection du niveau de vie des Australiens, campagne qui se poursuivra jusqu’aux prochaines élections fédérales en 2017.

« La force du mouvement syndical repose depuis toujours sur le peuple uni et mobilisé en défense de ce qui est juste – c’est ce qui est au cœur de toutes nos campagnes », a-t-elle déclaré.