Afrique du Sud : la bataille des salaires des stars de soap-opéra

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C’est un conflit du travail digne d’un feuilleton télévisé, mais les acteurs du soap-opéra le plus populaire d’Afrique du Sud viennent de franchir une nouvelle étape dans la bataille qu’ils livrent pour obtenir de meilleurs salaires.

En août 2014, les 16 acteurs de Generations ont tous été licenciés par le créateur et producteur exécutif de la série, Mfundi Vundla, parce qu’ils s’étaient mis en grève.

Cette semaine, un nouveau soap-opéra – Ashes to Ashes – a été lancé sur la principale chaîne de télévision commerciale sud-africaine, eTV, dans lequel jouent quatre acteurs du groupe dit « Generations 16 ».

Les acteurs demandaient à percevoir les revenus de la syndication et les droits d’auteur, et voulaient obtenir des contrats sûrs.

Or, Vundla a vivement protesté contre les acteurs, qu’il a qualifiés de « déraisonnables », en ajoutant qu’ils faisaient partie des acteurs les mieux payés d’Afrique du Sud et qu’ils agissaient comme des enfants gâtés.

Les acteurs ont manifesté leur désaccord, déplorant une situation d’insécurité et d’exploitation.

Sophie Ndaba, qui jouait depuis 21ans le rôle de la Reine Moroka dans Generations a expliqué aux journalistes, en août, qu’elle n’avait eu que des contrats annuels et que certains des acteurs phares du feuilleton se disaient chaque matin en se levant « Je n’ai rien d’autre que Generations ».

De nombreux acteurs de soap-opéras sud-africains sont contraints d’avoir un emploi complémentaire – enregistrer des commentaires en voix off ou gérer leur propre entreprise, par exemple – afin de pouvoir vivre confortablement.

L’acteur et dramaturge sud-africain très respecté John Kani, dont le fils Atandwa faisait partie des acteurs licenciés, a accusé les producteurs de la série de perpétuer « les relations maître-serviteur de l’apartheid ».

Il a également déclaré à l’Agence de presse sud-africaine que les acteurs n’étaient pas employés, mais plutôt engagés sur une base contractuelle.

« S’il s’agit d’une relation contractuelle et que le contrat prend fin, un engagement doit être mis en place », dit-il en appelant les syndicats du pays « à montrer les dents et à résister. Nous avons besoin d’un plan d’action ».

Depuis octobre 2013, les acteurs négociaient avec la société de production de Vundla, MMSV, et avec la société de diffusion South African Broadcasting Corporation (SABC), mais en août dernier, les négociations ayant abouti à une impasse, les acteurs ont cessé le travail.

C’est alors que Vundla a licencié les 16 acteurs et que la série a été déprogrammée pendant deux mois.

En décembre, le feuilleton est réapparu sous le titre Generations: The Legacy avec des acteurs entièrement nouveaux, moins expérimentés [entendez par là : moins chers].

Toutefois, cette nouvelle série n’a pas rencontré un franc succès en termes d’audience.

À son apogée, le soap-opéra initial Generations atteignait des records d’audience avoisinant les huit millions de téléspectateurs, alors que la nouvelle version n’a séduit que 3,9 millions de personnes.

 

Un géant de l’audience et des recettes

Dans un pays où 23 millions d’habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, et où 34 travailleurs en grève dans les mines de platine ont été tués parce qu’ils demandaient un salaire minimum mensuel de 12.500 ZAR (environ 1090 USD), la situation des acteurs grévistes n’a pas suscité beaucoup de compassion.

D’après les informations obtenues, les acteurs principaux gagnaient jusqu’à 60.000 ZAR par mois (5000 USD) et même les moins bien payés percevaient autour de 30.000 ZAR (2300 USD).

Depuis sa création à la fin de l’apartheid en 1994, Generations était un véritable géant en termes d’audience et de recettes pour l’organisme public de diffusion, qui a empoché près de 500 millions ZAR (42,5 millions USD) chaque année.

Mais les acteurs veulent une meilleure participation aux bénéfices, à commencer par 3,6 % de revenus résiduels.

Vundla estime que ce n’est pas raisonnable, et affirme que ses acteurs figurent parmi les mieux traités du secteur. Il évoque à titre d’exemple la prise en charge des frais médicaux d’un acteur pour illustrer la générosité de MMSV.

Ce à quoi certains critiques répondent que si les acteurs de soap-opéras gagnaient suffisamment d’argent pour payer leur propre assurance médicale, ces actes altruistes n’auraient pas lieu d’être.

La question des paiements résiduels et de la participation aux bénéfices revient sans cesse dans le secteur de la télévision en Afrique du Sud, en particulier pour les acteurs noirs de soap-opéras.

L’acteur Tony Kgoroge, qui jouait dans le feuilleton aujourd’hui supprimé de la chaîne M-Net, The Wild, a été licencié en 2012 après avoir contesté une disposition de son contrat stipulant que les acteurs ne percevaient pas de participation aux bénéfices issus de la rediffusion des épisodes.

Le président du syndicat d’artistes Creative Workers’ Union of South Africa, Mabutho « Kid » Sithole déclare à Equal Times que le récent conflit du travail au sujet du soap-opéra Generations montre qu’il est urgent que le ministère du Travail donne une définition du travail artistique dans la loi actuelle sur les relations de travail :

« En tant qu’artistes, nous avons toujours été traités différemment des employés. Nous apportons notre savoir-faire sur notre lieu de travail, mais nous ne bénéficions d’aucune des prestations sociales auxquelles ont droit les employés. Nous n’avons pas d’assurance-chômage, nous ne cotisons pas aux caisses de retraite ni à d’autres régimes de sécurité sociale ».

Sithole précise que le ministre du Travail a été invité à participer ce mois-ci à une réunion avec les acteurs afin de discuter d’une meilleure protection des travailleurs indépendants dans le secteur artistique sud-africain.

Pour l’auteure sud-africaine Palesa Mazamisa, la réforme de ce secteur est essentielle :

« Il n’y a pas de véritable croissance de l’industrie [télévisuelle], et aucune évolution pour les acteurs et les auteurs. Les compétences ne sont pas exploitées, et cette industrie est dénaturée ».