Les interprètes en langue des signes mexicaine tentent d’affronter la discrimination liée au handicap

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S’agissant de la possibilité d’accès aux services d’interprétation dans divers contextes, l’un des principaux droits de ce groupe, les malentendants au Mexique se voient doublement lésés.

Outre la pénurie d’interprètes certifiés, ceux-ci font l’objet de violations de leurs droits en tant que travailleurs, ce qui renforce la discrimination à l’égard des malentendants.

« Ces personnes [personnes atteintes d’une déficience auditive] ne sont pas considérées comme une minorité linguistique. À cela s’ajoute la carence en matière de formation professionnelle [pour les interprètes en LS], vu qu’il n’existe pas de cours officiel. Il est difficile pour nous d’être considérés comme des professionnels », dénonce Erika Ordoñez, présidente de l’Association des interprètes en langue des signes du Distrito Federal (AILSDF).

Dans ce pays d’Amérique latine de 122 millions d’habitants, le nombre de personnes souffrant de déficience auditive s’élève à approximativement 649.000 ; entre 300.000 et 500.000 d’entre elles s’expriment par le biais de la langue des signes (LS).

Or le pays ne compte que 42 interprètes officiellement certifiés en LS, plus 200 autres dépourvus de la moindre formation et 150 interprètes non certifiés.

Il en résulte que des centaines des milliers de Mexicains se voient affectés, à des degrés divers, par l’exclusion des services essentiels comme l’éducation, la santé et l’accès à la justice.

En 2008, le Conseil national de normalisation et certification des compétences professionnelles (Consejo Nacional de Normalización y Certificación de Competencias Laborales, Conocer) du gouvernement mexicain a institué la norme NUIPD001.01 relative à la « prestation de services d’interprétation du LS mexicain à l’espagnol et vice-versa », qui énonce les conditions devant être réunies par un interprète qualifié.

Les occasions ont toutefois manqué pour que la norme en question ne produise de véritable effet. Outre le fait qu’elle n’a pas été mise à jour (l’échéance pour sa révision a expiré en juin 2013), cette norme est à peine appliquée et le CONOCER a, de façon inattendue, arrêté de certifier les experts, attribuant sa décision à un « manque d’intérêt ».

Pour ces raisons, le Mexique est en infraction à la Convention sur les droits des personnes handicapées en vigueur depuis 2008, ainsi qu’à la Ley General para la Inclusión de las Personas con Discapacidad (Loi générale pour l’inclusion des personnes handicapées) de 2011, pour laquelle aucun règlement n’a été établi à ce jour.

La Convention prévoit que les États parties garantissent aux personnes handicapées l’accès à la justice et à des conditions égales au reste de la population dans le cadre de toute procédure judiciaire, y compris aux stades préliminaires et de l’enquête.

D’autre part, la loi stipule que les personnes handicapées auront droit à bénéficier d’un traitement digne et approprié dans le cadre des procédures administratives et judiciaires dans lesquelles elles seraient engagées, ainsi que de conseils et d’une représentation juridique gratuits dans le cadre de ces procédures, conformément aux conditions définies par les lois respectives.

Négociation collective

Des négociations sont en cours entre l’AILSDF et le Tribunal de grande instance du District fédéral concernant une convention sur la passation de contrats qui prévoit la participation des interprètes aux nouvelles audiences orales (ce qui permettra aux juges d’entendre les arguments présentés oralement au lieu de devoir recourir à des déclarations écrites et, par-là même, de réduire le coût des procédures et d’éviter des retards de procédure).

Le projet d’accord consulté par Equal Times reflète les conditions encadrant le travail des spécialistes. À titre d’exemple, la rémunération proposée équivaut à cinq jours de salaire minimum général, soit un niveau considérablement inférieur à la rémunération des interprètes de conférence.

Le salaire minimum au Mexique se situe aux alentours de 5 USD par jour. Par ailleurs, la magistrature du DF, qui englobe Mexico, la capitale, soutient que les experts sont payés à partir du début de la procédure et non pas à partir du moment de leur arrivée aux tribunaux, comme dans le cas d’autres professionnels du secteur.

Enfin, le texte ne fait aucunement référence aux conditions de travail, notamment le paiement en cas d’annulation d’une activité pour un motif qui n’est pas du ressort de la personne engagée par contrat et les horaires des repas.

« C’est un droit qui n’est pas respecté. Des services d’interprétation ne sont pas assurés même pour des questions fondamentales comme la santé et l’éducation. Une telle carence ne devrait pas exister en vertu de la législation, mais celle-ci n’est pas respectée », signale Xochitl Rodriguez, directrice adjointe des cours d’inclusion pour personnes handicapées à l’Universidad Tecnológica Santa Catarina, université de l’État située dans la ville de Monterrey, à environ 900 kilomètres au nord de Mexico.

Cette institution fondée en 2005 compte quelque 2200 étudiants, dont 250 présentent l’un ou l’autre handicap, et a recours aux services d’une équipe de 17 interprètes pour couvrir les besoins des élèves de niveau primaire, secondaire, baccalauréat et universitaire.

L’État de Nuevo Leon, dont Monterrey est la capitale, ne compte que trois interprètes certifiés, dont le salaire moyen tourne autour de 13 USD de l’heure.

Si les plaintes pour discrimination contre des personnes souffrant de déficience auditive ont été en progression constante depuis 2013, cette statistique est conservatrice dès lors que les cas de discrimination ne donnent pas toujours lieu à des plaintes formelles.

En 2013, le Conseil national pour la prévention de la discrimination (Conapred) a déposé 12 plaintes, dont neuf concernant des actes attribués à des particuliers et trois aux services publics.

L’année suivante, 16 cas ont été examinés par le Conapred, dont dix dans le privé et six dans le public.

L’augmentation, depuis 2012, du budget dont dispose le Conseil national pour le développement et l’inclusion des personnes handicapées (Conadis) a manqué de se traduire par des améliorations tangibles pour les personnes atteintes de déficiences auditives.

De fait, en 2012, cet organisme qui dépend du gouvernement avait à sa disposition 240.000 USD, chiffre qui allait atteindre 1,5 millions USD en 2013 et qui dépasserait 4 millions USD en 2014.

« Il y a très peu de personnel qualifié pour évaluer les interprètes qui assistent aux audiences orales ; ils doivent être certifiés en tant qu’experts judiciaires. Le CONADIUS devrait s’occuper de leur certification mais ne le fait pas », remarque Erika Ordoñez, elle-même fille de parents malentendants qui a appris le LS quand elle était encore enfant et l’interprète désormais à l’espagnol, au français et à l’anglais.

L’une des priorités d’action du Programme national pour le développement et l’inclusion des personnes handicapées 2014-2018 fait précisément référence à l’application à grande échelle du LS et d’autres systèmes par les interprètes ou experts.

Il prévoit, d’autre part, de mettre en œuvre des mesures pour que l’administration judiciaire dispose d’experts spécialisés dans le handicap et le LS, pour actualiser la norme de compétence professionnelle et concevoir et exécuter des programmes de formation et de certification en LS s’adressant aux interprètes.

En revanche, il n’inclut pas d’indicateurs permettant d’évaluer sa mise en pratique.

« Les droits des travailleurs ne sont pas adéquatement définis dès lors qu’il n’existe pas de norme ni de degré académique comparable. Une personne qui n’est pas à même de prouver qu’elle est interprète aura du mal à toucher un salaire qui corresponde à ses compétences. Il convient de normaliser les critères et d’informer la population à propos du rôle important joué par les interprètes, afin qu’ils soient reconnus et ne soient plus vus comme des personnes qui exercent un métier de basse catégorie », a indiqué Xochitl Rodriguez.

This article has been translated from Spanish.