Le Salvador devra-t-il payer 301 millions USD pour prioritiser l’eau propre sur l’or ?

Le gouvernement du Salvador, en Amérique Centrale, pourrait être contraint de payer 301 millions de dollars USD de dommages et intérêts à une société minière australo-canadienne, OceanaGold, après que la demande de la société pour un permis d’exploitation minière a été rejetée sur la base de la dégradation de l’environnement que ce projet-là causerait.

Le Salvador a le plus gros problème d’approvisionnement d’eau dans la région. En conséquence, le gouvernement a cessé l’octroi de licences pour l’exploitation minière en 2008, dans une tentative de préserver les sources limitées d’approvisionnement d’eau potable du pays, ainsi que pour sauvegarder l’environnement.

Mais la multinationale minière australienne OceanaGold et sa filiale, la canadienne Pacific Rim Mining, ont renvoyé l’affaire devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un organisme obscur de la Banque mondiale, basé à Washington.

Même si aucun délai n’a été réglé, une décision est attendue dans les semaines ou mois à venir.

Le gouvernement salvadorien, ainsi que des dizaines d’organisations nationales et internationales ont exprimé leur préoccupation face à la probabilité d’une sentence défavorable qui, à leurs yeux, chercherait à modifier la position officielle de l’État salvadorien qui, pour l’heure, a suspendu l’octroi de nouvelles licences minières dans le pays.

« Il faut absolument obtenir gain de cause dans cette affaire car des millions de dollars sont en jeu pour le Salvador », a déclaré lors d’un entretien avec Equal Times la ministre de l’Environnement du Salvador, Lina Pohl.

Selon la ministre, un verdict défavorable à l’issue de cette procédure risquerait de modifier le discours officiel du gouvernement contre l’industrie minière métallurgique.

« En 2011, nous avons entrepris un audit environnemental qui a démontré que les conditions présentes dans notre pays ne sont pas compatibles avec cette industrie », explique-t-elle.

En 2011, un audit environnemental stratégique a conclu que l’activité minière n’est pas possible au Salvador, et ce pour quatre motifs : Parce que 95% des cours d’eau sont pollués ; parce que la quantité d’or exploitable dans le pays n’attirerait que des « entreprises secondaires » moins soucieuses de la protection de l’environnement ; parce que la bureaucratie en place ne suffirait pas à suivre de près les projets miniers et en raison des fortes rivalités entre communautés voisines dans les zones affectées.

Devant le CIRDI, toutefois, la société OceanaGold accuse l’État salvadorien de nuire à ses droits d’exploitation aurifère dans le cadre du projet El Dorado, dans le département de Cabañas, situé dans la région centrale du pays.

« La suspension du permis d’exploitation se doit à des motifs politiques et non techniques », affirme l’entreprise.

Le gouvernement a répondu qu’OceanaGold n’avait jamais obtenu de concession pour l’exploitation de l’or attendu qu’elle a manqué de soumettre une demande de licence environnementale pour la zone faisant l’objet de la concession, qu’elle n’a pas effectué d’étude de faisabilité et qu’elle n’était pas propriétaire des terrains intervenant dans le cadre du projet.

En 2008, le gouvernement a imposé un moratoire sur diverses concessions minières dont celle-ci, invoquant l’absence de garanties environnementales. La société Pacific Rim – l’actuelle OceanaGold Corp. – a profité de ce gel sur l’octroi de licences minières pour poursuivre en justice le Salvador en 2009, invoquant le fait qu’il n’existait aucune loi qui interdise l’activité minière. Le nouveau projet de loi est toujours en train d’être débattu au Congrès.

« Si le Salvador devait perdre le procès au CIRDI, cela établirait un précédent d’autant plus préjudiciable que d’autres multinationales – pas seulement minières – pourraient tirer parti d’un vide juridique surgi en 2008 aux fins d’intenter des actions similaires contre l’État salvadorien pour des sommes se chiffrant à des millions de dollars », affirme Pedro Cabezas, représentant de SalvAide, des Alliés Internationales contre les exploitations minières au Salvador, et ex-membre de la Mesa Nacional Frente a la Minería Metálica (MFNMM), qui regroupe 10 organisations écologistes.

« L’affaire menace la souveraineté du Salvador et sa capacité d’autodétermination au bénéfice de l’intérêt public. Reste à voir si pour cause de traités de libre-échange, le gouvernement sera désormais tenu de veiller exclusivement aux intérêts des entreprises », affirme Cabezas.

 

Une inégalité croissante

L’industrie minière au Salvador représente un marché multimilliardaire, et ce dans un pays tenaillé par des inégalités abyssales et en mal de financer ses propres politiques publiques.

Rien que dans trois départements du pays, les projets miniers représentent un chiffre d’affaires estimé à 7,2 milliards USD, soit un tiers du PIB national.

« Le gouvernement ne dit pas non à l’industrie minière, seulement que dans les conditions actuelles de ce pays, en ce moment-même, cette industrie n’y a pas sa place », indique la ministre de l’Environnement, Lina Pohl.

Le gouvernement tente en vain, depuis 2011, de faire passer au Congrès une loi sur l’activité minière en vertu de laquelle un panel composé d’experts internationaux et de fonctionnaires publics nationaux pourrait donner son feu vert à des projets miniers à condition que ceux-ci aient remédié aux déficiences relevées dans l’audit environnemental. Cette proposition de loi, au même titre que d’autres projets continuent, toutefois, d’être débattus au Congrès.

« Le fait est qu’OceanaGold sait éperdument bien qu’il n’y a pas de place ici pour les projets miniers mais ce qu’ils veulent c’est faire pression et c’est pourquoi leurs poursuites relèvent davantage d’un acte d’extorsion contre notre pays », déclare Pedro Cabezas, de SalvAide.

Equal Times a envoyé plusieurs courriers électroniques aux représentants juridiques d’OceanaGold mais n’avait toujours pas obtenu de réponse au moment de publier cet article.

Au Salvador, plusieurs communautés ont décidé d’anticiper l’issue des débats à l’assemblée nationale et ont consigné par écrit leur position contre l’industrie minière.

Début mars, la municipalité de Nueva Trinidad, à Chalatenango, est devenue la troisième du pays à adopter une loi locale contre l’industrie minière.

« Il est primordial que les communautés s’organisent car le prix de l’or et de l’argent ne peuvent être comparés à la santé et à un environnement sain. Malheureusement, au milieu de toute cette controverse, la voix des communautés n’est pas prise en compte », ont déclaré à Equal Times Magdalena Mármol et Francisco Quijano, porte-parole de la Central Autónoma de Trabajadores Salvadoreños (CATS).

Le litige contre OceanaGold a gagné en force en partie grâce au soutien d’organisations de la société civile américaines et canadiennes et aux pressions que celles-ci ont exercé sur leurs gouvernements.

En juin 2014, par exemple, l’organisation Centro Europa – Tercer Mundo (CETIM), l’Instituto para los Estudios Políticos y el Centro de Derecho Ambiental Internacional ont déposé une plainte conjointe au Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui pourrait donner lieu à des réactions en série des États membres.

 

This article has been translated from Spanish.