L’OIT en quête d’affirmation face aux institutions financières internationales

Ce lundi s’ouvre à Genève la 104e session de la Conférence internationale du travail (CIT).

Cette grande réunion annuelle, qui met au point des normes internationales du travail, rassemble tous les États membres de l’Organisation internationale du travail (OIT), une des plus anciennes organisations du système des Nations unies, créée en 1919, sur une base tripartite : elle réunit les représentants des employeurs, des travailleurs, et des États.

Chaque État membre y est représenté par deux délégués gouvernementaux ˗ souvent des ministres chargés des questions sociales ˗, auxquels s’ajoutent un délégué employeur et un délégué travailleur, assistés de conseillers. Tous les délégués ont les mêmes droits à s’exprimer et à voter librement.

Au fil des presque 100 années de fonctionnement de l’OIT ont été ainsi adoptées nombre de recommandations et conventions (les conventions sont des traités internationaux que la ratification rend juridiquement contraignantes; les recommandations, elles ne sont pas soumises à ratification, donc pas juridiquement contraignantes).

La Conférence examine entres autres l’application de ces conventions et recommandations dans les différents États membres, et vote également tous les deux ans le programme et le budget de l’OIT, financé par les États membres.

De plus, depuis 1998, la CIT a une autre fonction : examiner le rapport global rédigé par le Bureau international du travail (BIT), sur quatre droits fondamentaux : liberté d’association et reconnaissance effective du droit de négociation collective; élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire; abolition effective du travail des enfants; et élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.

 

Marginalisée et affaiblie

Cette 104e CIT qui s’ouvre en juin 2015 abordera plusieurs enjeux essentiels, comme la protection sociale des travailleurs et l’application des normes internationales : deux enjeux brûlants quand on sait que toutes les 15 secondes, un travailleur meurt d’un accident ou d’une maladie liés à son travail.

Un autre grand thème de la réunion sera le travail informel, une notion forgée au début des années 1970 par l’OIT elle-même pour désigner tous les types d’emplois qui échappent à la régulation de l’État.

La grande question depuis lors a été : faut-il contribuer à réduire le travail informel pour le rendre formel, ou bien l’encourager car malgré tout il permet à des populations précaires d’avoir une activité et un revenu ?

La CIT examinera notamment un rapport important, publié en mars 2015, qui étudie la transition de l’économie informelle à l’économie formelle.

Mais pour les travailleurs du monde entier ainsi que pour leurs représentants, il est essentiel que l’OIT parvienne à se réaffirmer sur la scène internationale face aux institutions financières internationales ˗ la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) ˗ et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1995.

L’OIT est en effet marginalisée par ces institutions et affaiblie par la diminution du taux de syndicalisation, aussi bien dans les pays du Nord, où l’emploi est de plus en plus précaire, que dans les pays du Sud, où domine l’économie informelle.

Illustration de cette marginalisation et de cet affaiblissement : après avoir tenté dans les années 1970, sous l’impulsion des pays communistes, des pays du Sud et des syndicats, de réglementer l’action des firmes multinationales, l’OIT a abandonné peu à peu cet objectif et a considéré les firmes comme des partenaires à favoriser, perdant quelque peu son approche critique envers ces firmes.

Cependant, l’OIT a entrepris depuis les années 1990 de se réaffirmer : en 1994, elle a obtenu le statut d’observateur auprès de la BM et du FMI. Surtout, l’adoption depuis 1999 du concept de « travail décent » est une étape importante.

Cette notion recouvre tous les types d’emploi, formel ou informel, et insiste sur un seuil minimum concernant les conditions de travail, avec le mot « décent » qui rappelle le registre du christianisme social, qui a inspiré certains fondateurs de l’organisation.

L’OIT a ainsi mis en place des équipes d’appui technique destinées à conseiller les gouvernements, notamment en Afrique, qui veulent promouvoir le travail décent.

En 2005, elle a lancé les Programmes par pays pour la promotion du travail décent (PPTD), qui portent aujourd’hui sur plusieurs dizaines de pays. Et elle développe le Programme sur la sécurité et la santé au travail Safework.

En 2005, l’OIT a obtenu que le « travail décent » figure enfin parmi dans les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) de l’ONU.

Signe que l’OIT est en passe de sortir de sa marginalisation, en 2009, elle est admise comme observateur au G20.

Elle se rapproche également de l’OMC. Mais ce rapprochement va-t-il dans le sens des idées progressistes défendues historiquement par l’OIT, ou des idées néolibérales portées par les institutions financières internationales et l’OMC ? La question mérite d’être posée.

Si par certains aspects, l’OIT semble en passe de brader son orientation sociale, par d’autres, elle semble faire progresser ses vues humanistes : les objectifs de travail décent et de lutte contre la pauvreté ont ainsi été inclus dans le cycle de Doha de l’OMC au début des années 2000 et dans les documents de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) des institutions financières internationales.

En 2008, l’adoption de la Déclaration de référence sur la justice sociale pour une mondialisation équitable favorise la diffusion d’idées socialement progressistes, même si elle n’a pas force exécutoire.

Et en 2009, la Banque mondiale a modifié son indicateur sur l’emploi des travailleurs (« Employing Workers Indicator », EWI), qui accordait de bonnes notes aux pays dérégulant leur marché du travail. A présent, l’EWI valorise la mise en place d’une protection des travailleurs conforme aux conventions de l’OIT.

Il est important que l’OIT continue son action, et ne dilue pas son identité et ses principes progressistes dans une collaboration déséquilibrée avec les institutions économiques et financières.

Une piste pour donner plus de poids à l’OIT serait que toutes ses conventions soient dotées d’une force contraignante, c’est-à-dire que, à l’image de l’OMC qui est dotée un pouvoir de sanction grâce à son organe de règlement des différends (ORD), que l’OIT dispose d’un pouvoir de sanction envers les États ou les firmes multinationales qui enfreignent ses principes.