La violence continue de s’abattre sur les journalistes au Mexique

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Travailler comme journaliste au Mexique est un métier dangereux, mais les attaques contre les journalistes se sont encore accentuées au cours de la campagne pour les élections législativess ces derniers mois.

Ces attaques ont inclus leur lot habituel de menaces, harcèlements, détentions provisoires et piratage informatique.

« Les journalistes qui ont divulgué des informations [concernant des irrégularités électorales] ont été empêchés de diffuser ces informations et leurs caméras et appareils photo ont été saisis aux fins d’effacer tout le matériel », a dénoncé Gabriel Soto, coordinateur du Programme de protection des journalistes du chapitre mexicain de l’ONG Article 19, lors d’un entretien avec Equal Times. Rien qu’en mai, cette organisation basée à Londres a documenté 32 incidents de ce type.

Le 14 mai, la chaîne de télévision en ligne Rompeviento TV a subi une cyberattaque sur sa plate-forme internet à l’issue de laquelle des données de deux années ont été dérobées. Celles-ci ont pu ensuite être recouvrées.

Le portail Sin Embargo a, cette année, subi deux attaques par déni de service (en anglais « Denial of Service », abrégé en DoS) – le site reçoit des milliers de visites qu’il n’a pas la capacité de traiter et finit par crasher – dont la dernière est survenue après qu’il eut révélé que le Partido Verde Ecologista de México, allié traditionnel du Partido Revolucionario Institucional au gouvernement, avait fait appel aux services d’une entreprise spécialisée dans l’utilisation de bots ou usagers fictifs sur les réseaux sociaux.

« Le contexte électoral exacerbe les agressions contre les journalistes qui divulguent des informations concernant des candidats corrompus et leurs manœuvres de coercition ou d’achat de votes », a signalé dans un entretien avec Equal Times Balbina Flores, représentante de Reporters sans frontières au Mexique.

La conjoncture aggrave la situation en soi déjà compliquée que connaissent les journalistes dans un pays qui figure parmi les 10 plus dangereux pour l’exercice de cette profession, et ce bien qu’il ne se trouve pas en situation de conflit armé ouvert.

La dernière attaque en date a été celle subie par le journaliste Bernardo Javier Cano, animateur de l’émission radio Hora Cero, basé à Iguala, ville de l’État de Guerrero. Cano fut enlevé le 7 mai alors qu’il rentrait chez lui et libéré le jeudi 28 mai, après paiement d’une rançon.

 

Le massacre d’Iguala

La nuit du 26 septembre 2014, Iguala fut le théâtre d’une attaque menée par des agents de la police locale contre des étudiants de l’Escuela Normal Rural Raúl Isidro Burgos, à l’issue de laquelle 6 personnes sont mortes et 25 ont été blessées.

Les policiers ont livré 43 futurs enseignants aux membres de Guerreros Unidos, une des bandes de narcotrafiquants les plus violentes de la zone, selon l’enquête du Procureur général de la République.

Les étudiants ont été brûlés vifs dans l’incinérateur de la décharge publique de Cocula – proche d’Iguala – et leurs restes jetés dans un cours d’eau attenant.

L’État de Guerrero est un des territoires où l’exercice du journalisme est le plus réprimé, selon le Rapport sur l’état de la liberté de presse à Guerrero, préparé par diverses organisations non gouvernementales et rendu public en avril dernier.

L’ONG américaine Freedom House a recensé des agressions contre 46 journalistes dans l’État de Guerrero au cours de 2014. Pour sa part, RSF a, depuis octobre, documenté une trentaine de cas d’agressions contre des reporters au cours de manifestations dénonçant la disparition des 43 étudiants.

Les ténèbres qui enserrent les journalistes mexicains se sont assombries davantage à partir de décembre 2006, quand le président nouvellement élu, Felipe Calderon, a déclaré la guerre ouverte aux cartels de la drogue empêtrés dans un conflit sanglant à propos des routes de distribution vers le lucratif marché américain.

Cette campagne a été à l’origine de la plus grave tragédie humanitaire de l’Amérique latine, avec plus de 23.000 disparus, plus de 100.000 homicides et près de 200.000 déplacés internes.

La Commission nationale des droits humains a recensé 100 journalistes assassinés depuis 2000, 21 journalistes disparus depuis 2005 et 45 attentats contre des organes de presse depuis 2006.

 

Une impunité institutionnalisée

« Il règne une impunité quasi-totale. D’où l’impossibilité de mettre fin aux attaques, de même qu’à la vulnérabilité de la profession. Le journaliste se demande à quoi bon dénoncer une agression s’il en résultera encore plus exposé », explique Soto.

Dans son rapport sur la dégradation de l’exercice de la liberté d’expression et la violence contre la presse au cours de l’année 2014, paru en mars dernier et intitulé « Estado de censura » (état de censure), Article 19 a documenté 326 agressions contre des journalistes.

L’organisation a calculé que sous l’administration de l’actuel président Enrique Peña Nieto, un journaliste est agressé toutes les 26,7 heures, comparé à une agression toutes les 48,1 heures sous l’ancien président Calderon.

Durant le mandat de Peña Nieto, 10 journalistes ont été assassinés, vraisemblablement pour leurs activités professionnelles, et quatre autres ont été portés disparus. Autant de crimes recouverts d’un voile d’impunité.

Une des conséquences de cette situation a été la tendance croissante à la censure et à l’autocensure, qui a commencé à s’étendre depuis les régions du nord du pays, où les médias ont cessé de parler de la violence. Le phénomène n’a pas tardé à se propager plus au sud, notamment jusqu’aux États de Guerrero et de Michoacán, à mesure que la soif de sang se propage elle aussi.

« Ce sont là les conséquences de la violence. Elles se sont converties pour beaucoup de journalistes et de médias en pratiques communes, de survie », signale Mme Flores.

Mis sur pied en 2010 et 2012 respectivement, le Bureau du procureur spécial du Mexique chargé des crimes contre la liberté d’expression et le Mécanisme de protection des défenseurs des droits humains et des journalistes n’ont pas fonctionné.

Jusqu’à décembre 2014, le Bureau du procureur avait engagé 642 enquêtes, dont 167 correspondaient à cette année – comparé à 124 en 2013 et 179 en 2012. Celles-ci ont, toutefois, manqué de produire des résultats probants.

Le Mécanisme accumulait 88 cas sur 152 qui n’avaient pas été traités par cet organe jusqu’à février 2014.

Entre octobre 2012 et décembre 2014, le Mécanisme a reçu 218 demandes de protection, dont 123 provenaient de journalistes et 95 de défenseurs des droits humains. Suite à ces demandes, il a prononcé 45 mesures urgentes, dont 135 de protection et 46 préventives.

« Tout est lié. Même s’il existait un mécanisme qui fonctionnait bien, quand sera-t-on quitte des mesures de protection si on ne met pas fin à l’impunité? Si le Bureau du procureur n’entreprend pas des enquêtes plus contondantes, le mécanisme a peu d’utilité », résume Soto.

Selon Balbina Flores, l’administration de la justice devrait être plus efficace.

« Nous assistons à un effondrement du système », conclut-elle.