La lutte pour obtenir des droits au travail pour les migrants en Corée du Sud continue

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Udaya Rai, un homme modeste qui sourit timidement, ne ressemble pas à l’idée que l’on se fait d’un acteur du changement social. Pourtant, quand on lui parle du sort des travailleurs migrants en Corée du Sud, ses yeux s’enflamment et ses mots révèlent une farouche détermination.

« Les Sud-Coréens doivent accepter les travailleuses et les travailleurs étrangers comme leurs égaux ; autrement, il ne fallait pas les faire venir. Ne venez pas nous chercher et nous ne dirons pas un mot. Nous pourrions même partir s’ils nous le demandaient, mais pourquoi nous accuser de voler des emplois après nous avoir dit que nous étions nécessaires et nous avoir attirés ici ? »

Udaya Rai, un Népalais de 45 ans, est le président du Syndicat des migrants Seoul-Gyeonggi-Incheon (MTU), l’organisation luttant pour l’obtention de droits pour les migrants la plus visible en Corée du Sud.

Le MTU a gagné une grande victoire en juin quand la Cour suprême de Corée a rejeté l’argument du ministère du Travail qui avait refusé pendant dix ans de reconnaître le MTU comme un syndicat légal.

Ancien fermier dans le district népalais de Khotang, Udaya n’a pas pris le chemin le plus court pour accéder à la direction du MTU. Quand il est arrivé en Corée du Sud, il n’avait pas de compétences professionnelles, mais il était motivé, comme bon nombre de migrants, désireux d’échapper à la pauvreté de son pays d’origine et de gagner de l’argent. « Je n’avais pas d’emploi précis et je ne faisais qu’aider à la maison », a-t-il confié à l’équipe d’Equal Times.

Pourtant, en 2003, il a décidé de partir en Corée du Sud grâce au système d’apprentissage professionnel mis en place par le gouvernement sud-coréen pour pourvoir à des emplois dans les industries dites « 3D » : dirty, difficult or dangerous – sale, difficile ou dangereuse – comme la production, la construction, l’agriculture et la restauration. Il a alors découvert qu’être un travailleur migrant en Corée du Sud n’était pas une tâche aisée.

« En Corée du Sud, vous travaillez bien plus longtemps qu’au Népal, mais les choses doivent être faites beaucoup plus rapidement et le travail en soi est bien plus difficile », a-t-il raconté. Il a été engagé pour travailler 11 heures par jour, six jours par semaine, dans une usine près de Séoul, mais il a souvent dû faire des heures supplémentaires sans compensation et a subi de mauvais traitements.

Critiqué, y compris par certains organes de presse nationaux qui estimaient qu’il s’agissait d’une forme « d’esclavage moderne », le système d’apprentissage professionnel, en place de 1993 à la fin de 2006, recrutait des travailleurs non qualifiés en Asie centrale, du Sud et du Sud-est, y compris en Chine, pour des emplois faiblement rémunérés dans de petites et moyennes entreprises nationales à forte intensité de main-d’œuvre qu’avaient fuies les salariés coréens.

Mais, en qualifiant les travailleurs étrangers « d’apprentis », le système a ouvert la porte à une série d’injustices, dont des salaires inférieurs au salaire minimum, l’impossibilité d’étendre des protections aux travailleurs domestiques ou de changer d’emplois, et dans les pires cas, la confiscation des passeports et des comptes bancaires par les entreprises.

Au départ, le système devait accepter 20.000 travailleuses et travailleurs, mais leur chiffre est monté jusqu’à 145.500 en novembre 2002. Le nombre de violences a augmenté proportionnellement, incitant de nombreuses organisations de défense des droits, dont la Commission des droits humains de Corée du Sud, à exiger l’abolition du système en 2002, invoquant « une utilisation des travailleurs migrants comme de la main-d’œuvre à faibles coûts » et de « graves infractions des droits humains ».

Udaya Rai est resté les trois années que lui autorisait son visa et puis est rentré au Népal. Mais, en 2007, il a rencontré sa femme, une ressortissante sud-coréenne et est revenu à Séoul avec un visa de mariage, connu sous le nom de F-6. En Corée du Sud pour la deuxième fois, Udaya s’est doucement tourné vers le MTU et la défense de ses camarades migrants.

« Les conditions de travail étaient bien sûr mauvaises et il y avait toujours beaucoup de discrimination, alors, je me suis dit que ça n’allait pas et que ça devait changer. J’ai rejoint le MTU grâce à un ami intéressé par le syndicalisme. » Il est devenu actif au sein du MTU à la fin de 2009 et a rapidement gravi les échelons vers la direction de la section locale de Séoul en 2012.

 

Syndicat « illégal »

Créé le 3 mai 2005 et comptant à peine 91 membres, le MTU n’a pas eu la vie facile. Lorsque l’organisation syndicale a essayé de s’enregistrer auprès des autorités peu de temps après sa création, le ministère du Travail a refusé sa demande, invoquant le fait que certains de ses membres résidaient illégalement dans le pays, ce qui rendait le syndicat lui-même illégal.

Ce refus a conduit à une bataille juridique de dix ans qui n’a pris fin que le 25 juin, par une décision de la Cour suprême. On peut y lire que « même lorsqu’un travailleur est un étranger sans permis de travail, il ou elle est inclus de la définition d’un travailleur conformément à la loi sur les syndicats. Un travailleur étranger sans autorisation de chercher un emploi peut donc former un syndicat ou y adhérer ».

Au cours de ces dix années, le gouvernement coréen a expulsé six dirigeants du MTU. Le dernier à avoir été renvoyé est Michel Catuira, des Philippines, qui avait d’abord reçu l’ordre de quitter le pays de la part des services de l’immigration coréens, prétendant que ses activités de président du MTU attestaient d’une « fausse relation de travail » entre lui et son lieu de travail officiel.

Alors que le système judiciaire examinait son appel, le gouvernement a refusé que Michel Catuira rentre en Corée du Sud alors qu’il revenait d’un bref séjour chez lui en mars 2012, prétextant qu’il était « soupçonné d’atteinte à l’intérêt national ».

C’est alors qu’Udaya Rai a repris la casquette de Michel Catuira. Dans la foulée de l’expulsion de Michel Catuira, Udaya Rai a été désigné comme chef intérimaire d’un comité d’urgence du MTU et est devenu officiellement président de l’organisation en octobre 2014, poste qu’il occupe toujours même s’il travaille désormais au sein de la confédération syndicale coréenne, la Korean Confederation of Trade Unions (KCTU), en tant que directeur du département chargé des travailleurs migrants.

Contrairement à ses prédécesseurs au MTU, Udaya est libre d’œuvrer pour la cause en laquelle il croit grâce à sa femme coréenne et à son visa F-6, et il n’hésite pas à le reconnaître. « C’est la seule chose qui me protège. Autrement, je ne serais déjà plus là », a-t-il confié aux journalistes d’Equal Times. « Le gouvernement est aux aguets et tout le monde peut devenir une cible. »

Malgré la décision de juin de la Cour suprême, le ministère du Travail a refusé d’enregistrer le MTU pendant encore deux mois sous prétexte que le règlement administratif du syndicat contenait des objectifs politiques, à savoir l’opposition aux expulsions de travailleurs migrants sans papiers et au système gouvernemental actuel de gestion de la migration de la main-d’œuvre. Le MTU a fini par revoir son règlement et à en retirer les passages que le ministère jugeait inacceptables, et a fini par être enregistré en tant qu’organisation syndicale légale le 20 août.

Cette victoire réjouit Udaya, mais il sait que son travail est loin d’être achevé.

Selon des statistiques coréennes, en 2014, environ 852.000 étrangers se démenaient dans ce pays de 50 millions d’habitants, sans compter les travailleuses et les travailleurs migrants sans papiers que l’on estime à 200.000. Actuellement, le MTU ne compte pourtant que 1.100 membres. Entre temps, les violences verbales et physiques contre les migrants de la part d’employeurs sud-coréens semblent persister, au même titre que l’écart entre les salaires des étrangers et des ressortissants nationaux, le plus important des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Quand on demande à Udaya Rai ce qui reste à faire, il n’hésite pas à énumérer ses objectifs : améliorer le système actuel de permis de travail, instauré en 2004 pour remplacer le système d’apprentissage industriel, de sorte que les travailleurs migrants aient la liberté de choisir leur lieu de travail, et leur permettre de vivre en Corée du Sud pendant cinq ans afin de pouvoir prétendre à la résidence permanente. Le système de permis de travail limite actuellement le séjour d’un travailleur migrant à quatre ans et dix mois précisément pour qu’il n’ait pas cette possibilité.

Quant à ses projets personnels en Corée du Sud, après plus de dix ans dans le pays, Udaya est triste : « Pour le moment, je ne souffre d’aucune conséquence de mon activisme, mais si je continue, ils me refuseront probablement ma résidence permanente. L’une des conditions d’octroi est qu’il faut avoir une “bonne conduite”. C’est probablement ce qui leur permettra de me refuser mon permis permanent. »

Il n’y a pas que le gouvernement sud-coréen qui s’oppose aux droits des migrants : le thème de l’immigration et de la diversité ethnique provoque une réaction hostile chez une grande proportion de Sud-Coréens, y compris chez ceux qui se disent progressistes.

Alors que cela fait plusieurs décennies que les Sud-Coréens se voient comme une nation homogène d’un point de vue ethnique, la majorité d’entre eux, sont réticents à l’idée d’accepter les travailleurs migrants comme leurs égaux, méritant une place dans ce pays.

Toutefois, au vu de son évolution démographique, la Corée du Sud n’a pas beaucoup d’autre choix que de faire preuve de plus de respect envers les travailleurs migrants et de leur accorder plus de libertés, comme le réclame Udaya Rai. Compte tenu du trop faible taux de naissances pour renouveler la population et du manque d’engouement des autochtones pour les emplois manuels, il est probable qu’Udaya et le MTU aient finalement gain de cause.

« Ce n’est pas le moment pour la Corée du Sud de se montrer fière. Il faut que des étrangères viennent et aient des enfants. Les usines ne produiront pas sans les travailleurs étrangers. Cette fierté nationale est-elle vraiment une bonne chose ? »