La longue lutte des peuples autochtones

Opinions

En août 2014 s’est tenu à Ottawa, Canada, le Forum social des peuples, rassemblement d’esprit altermondialiste visant à promouvoir les « peuples autochtones ».

Maoris, Quechuas, Aymaras, Kanaks... On dénombre aujourd’hui 370 à 400 millions d’autochtones dans 90 États, même si un flou continue de régner sur la définition de ces termes.

La question des droits spécifiques à accorder à ces groupes a fait l’objet de revendications croissantes de ces peuples eux-mêmes depuis les années 1940. Ils luttent aujourd’hui contre la confiscation de leurs terres ancestrales ou contre les modifications à leur environnement et pour la reconnaissance de leurs cultures.

Ainsi, au Cambodge, même si une loi sur la propriété foncière votée en 2001 reconnaît le droit collectif des peuples autochtones à posséder leurs terres, dans la pratique 6,5 millions d’hectares de forêt ont été expropriés au cours de la dernière décennie au profit de grandes compagnies forestières qui en ont reçu la concession ; en Indonésie, près de 58 des 143 millions d’hectares de territoires autochtones classés comme forêts d’État ont été accaparés par des sociétés forestières et des plantations commerciales.

Or, la forêt est indispensable à la vie de quelque 60 millions d’autochtones dans le monde.

C’est aussi leurs connaissances traditionnelles qui sont pillées au profit de firmes transnationales. Comme le relate l’Organisation des Nations unies (ONU) « un élément d’une plante appelée Hoodia, que les peuplades San d’Afrique du Sud utilisent pour couper la faim et la soif pendant les expéditions de chasse, a été breveté en 1995 […] la licence d’exploitation a ensuite été accordée à une multinationale pharmaceutique pour le développement d’une pilule amaigrissante. Après que les San eurent menacé de poursuivre le CSIR en justice pour leur avoir volé leurs connaissances traditionnelles, les deux groupes sont parvenus à un accord selon lequel les San recevraient une part des bénéfices que produira la vente du médicament. »

Un poison provenant d’une grenouille, utilisé comme antidouleur par des communautés autochtones du Brésil, « est la cible de plus de 20 demandes de brevet en Europe et aux États-Unis. »

 

Changer d’approche

L’affirmation actuelle de ces peuples est le résultat d’une longue lutte. Dès 1946, ces peuples se sont manifestés à l’ONU : les peuples autochtones d’Amérique ont envoyé des pétitions à la Commission des droits de l’homme de l’ONU chaque année dès sa création.

Au sein des Nations unies, seule l’Organisation internationale du travail (OIT) a agi dès les années 1950 en faveur de ces populations : en 1957, elle a adopté la Convention n° 107 sur les populations indigènes et tribales. Cette convention voit les peuples indigènes comme des paysans exploités économiquement et souligne qu’ils doivent être intégrés dans l’économie moderne.

Ce texte constitue une première tentative de codification des obligations internationales des États en ce qui concerne les populations indigènes et tribales. Il couvre toute une gamme de thèmes, tels que les droits aux terres, l’emploi, l’artisanat, la santé, l’éducation et les moyens de communication.

Il présente cependant une approche intégrationniste, assimilationniste, c’est-à-dire visant à l’intégration des autochtones dans l’ensemble de la société nationale. Au fil des années, l’approche de la convention n° 107 a été remise en question. Un comité d’experts, convoqué en 1986 par l’OIT, a conclu que « l’approche intégrationniste de la convention était obsolète et que sa mise en œuvre était préjudiciable dans le monde actuel ». Cela a conduit à la révision de la convention et à son remplacement par une autre convention en 1989.

En 1971, l’ONU a décidé d’effectuer une étude approfondie sur les peuples autochtones, confiée à l’Équatorien José Ricardo Martínez Cobo. En 1983, après douze ans de travail, cette importante Étude du problème de la discrimination contre les populations autochtones (ou « rapport Cobo ») est publiée, dans le cadre du Groupe de travail sur les populations indigènes (GTPA) qui vient alors d’être créé à l’ONU. Ce texte s’affirme pour l’autodétermination des peuples autochtones et conclut aussi que ces peuples ont un droit inaliénable à leur territoire et peuvent réclamer des terres qui leur ont été prises. Le GTPA devient un forum recueillant les plaintes de peuples autochtones.

Parallèlement, les peuples autochtones eux-mêmes continuent à faire entendre plus distinctement leur voix sur la scène internationale. En 1974 est ainsi créé le Conseil mondial des peuples indigènes (WCIP) sous l’impulsion notamment du chef amérindien George Manuel. Les réclamations du WCIP poussent l’ONU à accueillir une conférence en 1977 sur la discrimination contre les populations indigènes aux Amériques.

À partir des années 1990, l’ONU intensifie son action : 1993 est déclarée « Année internationale du peuple autochtone ». En 1994, la journée du 9 août est proclamée « Journée internationale des populations autochtones ». En 2000 est créée à New York au sein de l’ONU une « Instance permanente des questions autochtones ». En outre, l’ONU organise de 1994 à 2005 la « première décennie internationale du peuple autochtone mondial », suivie d’une deuxième décennie du peuple autochtone mondial lancée en 2005.

Enfin, en 2007, l’Assemblée générale de l’ONU adopte la « Déclaration sur les droits des peuples autochtones ». C’est une victoire pour ces peuples. Un des principaux acquis de cette déclaration, qui résulte de plus de vingt ans de travail, est qu’elle énonce aussi bien des droits individuels que collectifs, et qu’elle reconnaît le droit de ces peuples à l’autodétermination, c’est-à-dire l’autonomie pour les affaires intérieures et locales.

La Bolivie a été le premier pays à approuver la Déclaration et à la traduire au niveau national en une loi, sous l’impulsion de son président, Evo Morales, lui-même d’origine autochtone.

Mais la question des peuples autochtones est complexe car elle implique un changement de conception, avec l’idée de reconnaître des droits spécifiques, et notamment des droits collectifs pour les peuples autochtones, comme le droit à un système d’éducation spécifique, à des médias spécifiques, à une administration spécifique, ce qui est une remise en cause de l’unité et de l’indivisibilité de l’État.

C’est dans cette direction que va la Déclaration de 2007. Mais continuer dans ce sens n’aboutirait-il pas à scinder les États et à ouvrir la voie à une multiplication de demandes de droits spécifiques de la part des différents groupes qui constituent chaque État (par région d’origine, par religion, etc.) ?

L’enjeu pour la communauté internationale est certes d’être attentive à ce que soient respectés les droits des peuples autochtones, notamment de veiller à ce que leurs terres ne leur soient pas confisquées, tout en étant vigilante à ne pas permettre des régressions en faisant passer par exemple les coutumes traditionnelles avant les droits humains universels, ou en encourageant les autochtones à se replier sur leur communauté, ce qui pourrait favoriser les communautarismes et donc les tensions entre groupes au sein des États.

Ne faudrait-il pas s’attacher, plutôt que de donner des droits spécifiques aux autochtones, à donner à tous les citoyens, autochtones inclus, des droits politiques, économiques, sociaux et culturels élargis ? Une véritable démocratie sociale pour tous, et non pas des droits à la carte selon le groupe d’appartenance ?

This article has been translated from French.