La précarité fait exploser les taux d’accidents du travail en Espagne

Les accidents du travail en Espagne durant les six premiers mois de 2015 ont été approximativement 7% plus nombreux que durant la même période en 2014. Ont été recensés 218.019 accidents « légers », soit 13.577 de plus que durant la même période l’année dernière, 1593 accidents « graves », soit un de plus que pour la même période l’année dernière et 239 accidents « mortels », soit 16 de plus qu’en 2014.

La réforme du travail de 2012 a aggravé la situation. Comme a expliqué lors d’un entretien avec Equal Times Pedro J. Linares, secrétaire chargé de la Santé au travail et de l’Environnement au sein de la Confédération syndicale Comisiones Obreras (CC.OO.), cette réforme « réduit le coût du licenciement, rend difficile la négociation syndicale et assouplit les règles relatives à l’investissement dans la sécurité et la prévention au travail. Au rythme où les gens entrent et sortent des entreprises, il n’y a pas de formation. La rotation est très élevée, de même que la précarité. »

« L’intensification de la charge de travail associée au chômage et le changement des modèles de relations du travail et de l’emploi fomentent la précarité et la rotation. Si 25% des contrats sont d’une durée inférieure à sept jours, on peut difficilement instituer des mesures de formation en sécurité au travail », ajoute Linares.

En 2012, EUROSTAT plaçait l’Espagne dans le peloton de queue des pays membres de l’UE en termes de prévention des risques au travail. Nonobstant, Linares souligne que la Loi sur la prévention des risques au travail de 2009 a représenté « une grande avancée dès lors qu’auparavant nous atteignions le double de la moyenne européenne. Toujours est-il que la crise et le chômage ont forcé certaines réformes qui ont fait exploser les taux d’accidents dans tous les secteurs au-dessus du niveau de croissance économique », précise-t-il.

Le cas de R.A. (qui a souhaité garder l’anonymat) peut être attribué à la catégorie dite de l’ « accidentalité due au surmenage ». Contrainte par la crise, elle a travaillé comme serveuse dans un restaurant ouvert à toute heure, dans le centre de Madrid.

« Au lieu des deux jours de congés prévus par la convention, nous n’en prenions qu’un et devions la plupart du temps travailler dix heures sans interruption. Nous n’avions même pas droit à une pause d’une demi-heure et mangions d’habitude debout, parfois même adossés aux conteneurs-poubelles. »

Le fait de devoir rester debout des heures durant a provoqué chez elle une fasciite plantaire qui, à défaut de traitement, a entraîné une dépression grave. « Ils m’ont donné deux semaines de congé de maladie et m’ont prescrit des antidépresseurs alors que j’avais juste besoin de me reposer. Déjà présente dans le secteur de l’hôtellerie avant la crise, l’exploitation est désormais encore plus répandue », dénonce-t-elle dans un entretien avec Equal Times.

 

Les conséquences de la précarité du travail

Dans son rapport intitulé La precariedad laboral mata (la précarité du travail tue), l’Union Sindical Obrera (USO) souligne : « Ce n’est pas un hasard si le changement de tendance marqué par une augmentation de l’accidentalité se produit à partir de 2013, un an après l’entrée en vigueur de la réforme ». Le syndicat espagnol Union générale des travailleurs (UGT) reflète aussi ces développements dans son rapport commémorant le vingtième anniversaire de la loi sur la prévention des risques du travail, récemment publié.

Selon un rapport de l’Observatorio Estatal de Condiciones de Trabajo (OECT), les intérimaires embauchés par le biais d’entreprises de travail temporaire (ETT), et dont la participation au marché de l’emploi ne cesse de croître depuis 2012, figurent parmi les travailleurs les plus vulnérables à l’accidentalité au travail.

Déjà en 2012, préalablement à l’adoption de la réforme, un rapport de l’OECT imputait les principales causes de la mortalité liée aux accidents du travail aux « méthodes de travail inadéquates, à une protection défaillante et au manque de formation et d’information des travailleurs et la non-identification des risques ».

Voici ce qui est arrivé à N.M. Elle travaillait seulement depuis trois mois à la réception d’un centre public pour handicapés mentaux du gouvernement régional de Madrid. Un matin, elle est allée fermer la porte coulissante d’accès pour les véhicules.

« Je l’ai fait manuellement parce que le mécanisme ne fonctionnait pas. La porte est sortie du rail et m’est tombée dessus. J’ai été projetée au sol. L’entreprise a assez bien réagi mais il s’agissait d’une faille de sécurité. Suite à mon accident, des travaux de réparation ont été entrepris sur la porte mais j’ai néanmoins averti le département de la santé et de l’hygiène au travail de l’UGT. Ils étaient non seulement tenus de la réparer mais aussi d’entreprendre des vérifications périodiques », dit-elle à Equal Times.

Malgré l’inflammation du sternum et des côtes et les dommages neurologiques qu’elle a subis au nerf de la main, elle a eu de la chance. Deux ouvriers sont morts en juin 2015, écrasés par un volet roulant alors qu’ils travaillaient dans la zone industrielle « El Tapiado », à Molina de Segura (Murcie).

Pour sa part, le ministère public (Fiscalía General del Estado) relève dans son Rapport annuel 2014 une augmentation des sentences prononcées en rapport avec des accidents du travail et en appelle instamment au gouvernement à créer des tribunaux spécialisés afin d’assurer une « réponse rapide » à ces infractions, où le délai moyen entre les faits et la sentence se situe actuellement entre six et huit ans.

Le gouvernement de Mariano Rajoy a modifié en 2014 la loi relative aux mutuelles d’accidents du travail, augmentant l’influence exercée par ces dernières dans les procédures d’arrêts pour cause d’accident du travail. À titre d’incitation, en septembre 2015, le gouvernement a proposé un décret royal (Real Decreto) visant à réduire entre 5 et 10% les cotisations pour contingences professionnelles des entreprises affichant un faible taux d’accidents du travail.

Les syndicats ne partagent pas le critère du gouvernement. « Au sein des CC.OO., nous avons un avis très défavorable à l’encontre de la norme. Nous ne disposons pas encore de données sur le fonctionnement du système de cotisations actuel et il ne nous semble pas responsable de le modifier. Cette réduction des cotisations ne profitera qu’aux grandes sociétés et aux mutuelles qui s’occupent d’enregistrer les accidents du travail et les maladies professionnelles. Étant donné qu’elles sont responsables de la gestion des bonus versés aux employeurs et qu’elles perçoivent, à leur tour, 10% de cette valeur moyennant accord avec l’entreprise, nous croyons que cela va encourager la non-déclaration d’accidents », ajoute Linares.

De fait, l’Instituto de Seguridad e Higiene en el Trabajo (INSHT) avertit du risque que cela n’« incite une sous-déclaration des accidents », alors que l’Inspection du travail et de la sécurité sociale se plaint de « l’insuffisance de la marge de manœuvre en matière de gestion du bonus ».

L’UGT, pour sa part, considère que cette proposition « vient approfondir une ligne d’action du gouvernement qui a ni réduit l’accidentalité, ni institué des mesures préventives pour éviter les accidents du travail et dont l’unique fonction est de subventionner les entreprises en réduisant les contributions à la sécurité sociale ».

À un mois des élections générales en Espagne, l’abrogation ou l’intensification de la réforme du travail de 2012 promet de figurer au cœur des enjeux de la campagne électorale.

 

This article has been translated from Spanish.