« Les gens devraient savoir ce qui se passe à Yarl’s Wood »

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Le centre de rétention pour immigrés de Yarl’s Wood est hébergé dans un bâtiment isolé, institutionnalisé, entouré de hautes clôtures et de caméras de surveillance. La majorité des quelque 350 personnes enfermées dans ce centre de rétention situé à Bedford, au Royaume-Uni, sont des femmes, bien que des familles soient aussi présentes.

Le site web de Yarl’s Wood, hébergé par la société Serco, sous-traitant en services de gestion, affiche des photos de « résidents » tout sourire et proclame son « engagement » au « respect, au soutien et au service ».

Mais derrière les images promotionnelles soignées se cache une réalité plus sombre. « Yarl’s Wood est sujet de préoccupation nationale, et pour cause » : Au nombre de irrégularités signalées figurent notamment mauvais traitements à l’égard de femmes vulnérables – souvent traumatisées-, soins de santé inadéquats, abus sexuels, une fréquence élevée de cas d’automutilation et des effectifs insuffisants et mal préparés.

Rien d’étonnant, dès lors, que la quasi-totalité des 11 centres de rétention d’immigrés au Royaume-Uni soient situés à l’abri des regards indiscrets ; leur existence-même enfreint, à de nombreux titres, le droit international, de même que la politique britannique.

L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés est opposée à la détention des demandeurs d’asile dans pratiquement tous les cas et les politiques et déclarations du ministère de l’Intérieur britannique (Home Office) entrent régulièrement en contradiction avec la réalité de la détention.

À titre d’exemple, dans le cadre de sa politique, le Home Office soutient que les femmes enceintes ne devraient être détenues qu’à titre « exceptionnel » et s’engage à mettre fin à la détention d’enfants dès 2010. Or en 2014, près de 100 femmes enceintes étaient détenues rien qu’à Yarl’s Wood, alors que 203 enfants ont été détenus en 2013.

Le Royaume-Uni est le seul pays de l’Union européenne à n’imposer aucune limite sur la durée de détention. En septembre, à l’occasion d’un débat à la Chambre des communes, la détention a été condamnée catégoriquement par 25 députés, dont Seema Malhotra, députée du Parti travailliste et du Cooperative Party pour Feltham et Heston, qui a déclaré : « Cette question unit non seulement la Chambre mais le pays tout entier, mettant en exergue l’argument fort et unanime en faveur de la réforme d’un système qui n’est pas adapté à l’objectif poursuivi. »

 

Violations et dénonciation

En novembre, quelque 1500 manifestants – dont un grand nombre de demandeurs d’asile ou anciens détenus – sont venus des quatre coins du Royaume-Uni pour manifester devant Yarl’s Wood. Cette action organisée par le Movement for Justice a vu des hommes, des femmes et des enfants braver la pluie torrentielle, marcher à travers des champs boueux et scander les slogans : « Fermez-le ! », « Aucun être humain n’est illégal ! », « Liberté ! »

Parmi les discours passionnés qui ont été prononcés, il y avait notamment celui d’un ancien détenu incarcéré dans le centre durant trois mois alors qu’il se trouvait en possession d’un visa d’étudiant. Il a déclaré : « Les gens doivent comprendre que le Royaume-Uni se livre à des violations des droits humains. Voilà un pays qui se targue de défendre les droits humains, la démocratie et la liberté – mais comment peuvent-ils prêcher quelque chose s’ils ne sont pas capables de le mettre en pratique ? Si je suis ici c’est parce que le gens doivent savoir ce qui se passe dans ces centres. »

Un point de vue partagé par Noel Finn, ancien employé reconverti en lanceur d’alerte. « Quand j’ai commencé à travailler à Yarl’s Wood, j’avoue à ma grande honte que je n’en savais absolument rien. Réflexion faite, je pense qu’ils comptent précisément sur ça, sur le fait que les gens ne sachent pas ce qui s’y passe. »

Quand Finn a commencé à travailler à Yarl’s Wood en tant qu’infirmier psychiatrique, il a reçu peu d’informations au sujet du centre. Lorsqu’il est arrivé pour la première fois, il a « d’abord pensé qu’il s’était trompé d’endroit… J’ai pu voir très clairement qu’il s’agissait d’une prison – fils barbelés, systèmes de sas, un réseau sophistiqué de caméras de surveillance. J’ai pensé que tout cela serait reflété dans les patients, qu’il s’agirait de personnes dangereuses. »

Ce qu’il allait découvrir était loin de ce qu’il imaginait ; les demandeurs d’asile ne « représentent aucune menace pour la société mais [à force d’être maintenus en détention] se convertissent en une menace pour eux-mêmes. »

En tant qu’infirmier psychiatrique, Finn a la certitude que le centre non seulement néglige les problèmes de santé mentale des internés mais les créé. « Si je vous y enfermais durant six mois, vous finiriez par devenir extrêmement méfiant à l’égard du monde », dit-il.

Selon le rapport d’inspection de 2015, près de la moitié des femmes étaient dépressives ou suicidaires à leur arrivée et plus de 70 cas d’automutilation avaient été rapportés au cours des six mois antérieurs.

Finn s’est dit extrêmement préoccupé par l’écart abyssal entre les besoins complexes de ses patients et le « piètre niveau des effectifs, tant en termes du nombre que des compétences professionnelles ».

Les effets sont directement ressentis par les détenus ; bien qu’une majorité de femmes, toujours d’après le même rapport d’inspection, ait affirmé que les membres du personnel les traitaient avec respect (avec certaines exceptions notables), elles estimaient que le manque de compréhension et de formation faisaient que leurs besoins – fréquemment enracinés dans un passé de violence – n’étaient pas satisfaits.

Selon Finn, très souvent les « responsables les plus attentionnés se voient pris au piège du système car ils ont des factures à payer ».

Les cas de violences sexuelles et autres sont monnaie courante pour les femmes internées à Yarl’s Wood. Selon l’organisation Women for Refugee Women, ses recherches « indiquent que le gouvernement britannique continue de procéder à la détention en grand nombre de femmes victimes de viol, de violence sexuelle et de torture ».

Conséquemment, le Home Office a émis la déclaration suivante : « Les membres du personnel du sexe masculin ne superviseraient pas les femmes en train de se doucher, de s’habiller ou de se déshabiller, même lorsqu’elles sujettes à une supervision permanente pour risque d’automutilation. »

Mais encore une fois, de telles déclarations semblent vides de sens ; les résultats de l’inspection ont, en effet, montré que les femmes sont toujours supervisées par des hommes à des moments inopportuns, que 45% des femmes se sentaient en insécurité dans le centre – 20% se sentent en insécurité même dans leur chambre – et que les allégations de harcèlement sexuel et d’abus se succèdent avec une fréquence alarmante.

Les règles sont encore une fois bafouées. La règle nº35 du règlement du centre de détention (qui stipule la manière dont de tels centres doivent être gérés) est de protéger les détenus particulièrement vulnérables ; ce qui sous-entend un suivi attentif du bien-être de la personne internée et une révision continue des conditions d’internement dans de tels cas, afin que la détention ne soit pas poursuivie dans des cas considérés inappropriés. L’Inspection des prisons a indiqué : « Les rapports relatifs à la règle nº35 que nous avons examinés à Yarl’s Wood étaient parmi les pires que nous ayons jamais vus », allant jusqu’à qualifier certains d’entre eux de « méprisants ».

Après avoir exprimé de graves préoccupations pour la sécurité et le bien-être de ses patients à Yarl’s Wood, Finn a été mis à pied. Il avait rédigé un rapport concernant les services de santé mentale dans le centre et présenté celui-ci à la direction. « J’y ai tout indiqué, des choses qu’ils ne voulaient pas entendre. Mais nous nous devions de comprendre les failles du système afin de pouvoir l’améliorer. J’ai même dit qu’il y aurait des conséquences graves si rien n’était fait – qu’il y avait risque de mort et c’est ce qui est arrivé. »

Finn a ensuite été la cible d’une « volée de courriers électroniques injurieux, de brimades, de marginalisation ; ils le laissaient intentionnellement en compagnie de femmes – les choses habituelles qui vous arrivent lorsque vous tentez de soulever des préoccupations, quand vous êtes considéré comme un perturbateur ».

À présent, mis à pied par Yarl’s Wood – au vague prétexte de « refus d’obéir aux ordres » - Finn explore les possibilités de dénonciation et souligne que la peur inspirée par une culture de « la crainte et l’absence d’une discussion ou d’un débat ouvert » réduit au silence les employés de Yarl’s Wood.

 

Insurgés contre la violence

Cependant, quand les nuages se sont finalement dispersés, les manifestants ont fait entendre haut et fort leur indignation et ont exprimé leur solidarité. Pendant ce temps, les femmes à l’intérieur du centre de rétention passaient le bras par l’ouverture étroite des fenêtres, brandissant tout ce qu’elles pouvaient trouver. Quelques-unes d’entre elles agitaient des sacs en plastique en guise de drapeaux blancs. Au milieu des crépitements de la ligne téléphonique, elles ont parlé de leurs expériences, tandis que la foule rassemblée à l’extérieur, parmi laquelle se trouvait une ancienne détenue, lançait : « Notre liberté est votre liberté. Ne renoncez pas. »

Demander l’asile n’est pas un crime : De fait, le droit à l’asile est garanti par l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Et pourtant des personnes innocentes, et souvent vulnérables, sont détenues indéfiniment à Yarl’s Wood et ailleurs en Grande-Bretagne, dans des « prisons de catégorie B – réservées aux personnes dangereuses », indique Finn.

Beaucoup de détenus finissent par être remis en liberté, ce qui – selon les conclusions du rapport d’inspection – « remet en question la validité-même de leur détention au départ ».

Le gouvernement ne peut certainement pas invoquer ici un souci d’ « économiser l’argent précieux des contribuables » ; la détention est bien plus coûteuse que le maintien d’un demandeur d’asile au sein de la communauté. Au contraire, affirme une ancienne détenue : « Les contribuables britanniques subventionnent la brutalité à l’égard des femmes ».

À la lumière de la controverse incessante et des rapports accablants émanant des détenus eux-mêmes jusqu’aux échelons supérieurs du pouvoir politique, la question de savoir pourquoi des centres de rétention comme Yarl’s Wood continuent d’exister est tout à fait pertinente.

Pour Finn, il est clair que « le seul objectif qu’ils remplissent est celui de l’idéologie du gouvernement sur l’immigration ». Les propos de Finn se font l’écho des cris de ralliement entonnés en chœur par les détenus et les protestataires lors de la manifestation de novembre et à la lumière des récents événements, la réponse naturelle semblerait résolument se trouver dans une compassion et un accueil accrus et non moindres pour les personnes qui fuient la violence.

 

Cet article a été traduit de l’anglais.