Victoire de Macri en Argentine: quelles conséquences pour les droits sociaux?

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Le 10 décembre 2015, Mauricio Macri a pris ses fonctions de président de l’Argentine, mettant fin aux 12 ans de pouvoir politique du couple Kirchner – tout d’abord Néstor Kirchner de 2003 à 2007, puis Cristina Fernández de Kirchner de 2007 à 2015.

Macri, ancien homme d’affaires élu à deux reprises maire de Buenos Aires sous l’étiquette du parti de centre-droit Propuesta Republicana (PRO), a surpris beaucoup de monde en battant de peu le candidat kirchneriste Daniel Scioli au deuxième tour des élections.

Son message en faveur du changement – la coalition qu’il dirige s’appelle en effet Cambiemos « changeons ») – a interpellé les électeurs qui recherchaient un candidat capable de donner un nouveau souffle à une économie en stagnation et de proposer une alternative au style d’autorité combative de Mme Kirchner. Mais après une campagne qui est peu entrée dans les détails, des questions subsistent sur les conséquences du « macrisme » pour les droits sociaux et du travail, deux domaines fondamentaux au cours de la précédente décennie.

Selon Adolfo Aguirre, secrétaire des relations internationales de la Centrale des travailleurs d’Argentine (CTA), le nouveau gouvernement va rencontrer une forte résistance s’il adopte des politiques qui fragilisent les droits des travailleurs récupérés pendant les années Kirchner.

« Macri doit comprendre que le mouvement syndical est très puissant ici, déclare Aguirre à Equal Times, en rappelant que l’Argentine est l’un des trois pays les plus syndicalisés d’Amérique du Sud. Il y aura des conflits s’il essaie de revenir sur certains droits du travail, en particulier ceux que l’Organisation internationale du travail considère comme fondamentaux ».

Une des principales préoccupations des syndicats est la question d’une imminente dévaluation et de l’austérité budgétaire, qui pourraient avoir une incidence considérable sur le pouvoir d’achat et la sécurité de l’emploi. Aguirre estime qu’environ 95.000 employés de l’État sont actuellement en contrat temporaire d’un an, et rien ne permet vraiment d’affirmer que le nouveau gouvernement renouvèlera ces contrats. Et bien que le chômage soit descendu au seuil historique de 5,9 %, d’après les chiffres officiels, par ailleurs contestés, près d’un tiers de la main-d’œuvre travaille dans l’économie informelle.

Le nouveau ministre du Travail, Jorge Triaca, a cherché à rassurer les travailleurs en leur disant que le gouvernement augmenterait le seuil de revenu non imposable et qu’il mettrait en place de nouvelles prestations sociales et de retraite. Il a également promis de maintenir les négociations collectives sur les salaires, mais a demandé aux syndicats de faire preuve de modération pendant que le gouvernement travaillait pour réduire l’inflation et attirer l’investissement.

« Nous voulons établir un pacte social, en partant du principe que les travailleurs, les propriétaires d’entreprises et l’État vont trouver des domaines dans lesquels ils peuvent tous faire des efforts pour contribuer au développement de l’économie », a déclaré Triaca lors d’un entretien avec Cronista.

Aguirre ajoute que la CTA a l’intention de nouer le dialogue avec le nouveau gouvernement, même si elle reste prudente compte tenu des antécédents de Macri et de la nomination de plusieurs cadres d’entreprise au nouveau gouvernement.

« L’État ne peut pas fonctionner comme une entreprise, précise-t-il en réponse à une récente mise en garde de la présidente Fernández de Kirchner. Une approche inspirée du monde de l’entreprise consisterait à diminuer la taille de l’État pour réduire les dépenses, mais cela coûterait des vies humaines et serait particulièrement néfaste pour les enfants ».

 
Une société transformée

Un autre héritage du kirchnerisme est à souligner : le développement des droits sociaux liés à l’identité et à la diversité sexuelles.

Sous la présidence de Cristina Fernández de Kirchner, l’Argentine est devenue le premier pays latino-américain à approuver le mariage homosexuel, en 2010. Deux ans plus tard, l’Argentine entérinait une loi d’avant-garde sur l’identité sexuelle permettant aux transsexuels de changer de nom et de sexe sur les documents officiels sans autorisation judiciaire préalable.

D’après la Fédération argentine des LGBT, 12.000 homosexuels et 6000 transsexuels ont déjà bénéficié de ces lois, qui ont également donné lieu à d’autres mesures récentes, telles que la suppression des restrictions pour les dons de sang des homosexuels ou l’amélioration de l’accès aux soins médicaux pour les transsexuels.

Dans la plupart des cas, les législateurs du parti PRO de Macri n’étaient pas favorables à ces lois, mais le nouveau président ne s’est pas fermement opposé non plus à ces politiques progressistes. Pour le président de la Fédération argentine des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenre (FALGBT), Esteban Paulón, il s’agit d’un changement fondamental de la pensée sociale, qui devrait préserver les avancées récemment réalisées, même avec un gouvernement conservateur.

« Toutes ces lois ont été approuvées avec un consensus et un soutien considérables, et sont désormais adoptées par la société, explique Paulón à Equal Times. Aujourd’hui, il serait impensable qu’un gouvernement puisse proposer d’interdire le mariage des homosexuels ou d’empêcher les couples d’homosexuels d’adopter des enfants ».

Il cite l’exemple de la nouvelle vice-présidente Gabriela Michetti, qui avait voté contre ces lois mais qui a exprimé le regret de l’avoir fait lors de la récente campagne, rappelant qu’une société qui se veut progressiste fixe les conditions des débats sur les questions de genre.

« Je ne pense pas que le scénario catastrophe consistant à annuler les lois qui ont été approuvées se produira, ajoute Paulón. Je crois qu’elles seront maintenues et il faut voir comment vont se présenter les questions actuellement discutées et celles qui doivent encore être intégrées aux politiques publiques ».

La FALGBT et d’autres organisations sociales ont également demandé au gouvernement de Macri d’inscrire au programme national la nouvelle législation sur la lutte contre la discrimination – d’autant plus importante après le récent meurtre de la militante transsexuelle Diana Sacayán – ainsi que les questions liées à la diversité sexuelle.

« Nous pensons qu’il y a encore de nombreuses questions à régler et si nous ne continuons pas à aller de l’avant, nous risquons de revenir en arrière », conclut Paulón.

 
Avortement : la pièce manquante

Il y a peu d’espoir de changement en ce qui concerne l’avortement, qui demeure illégal dans le Code pénal argentin, sauf dans les cas de viol sur une « femme simple d’esprit ou démente » ou lorsque la grossesse présente un risque vital pour la mère.

En dépit de la pression de plus en plus forte des citoyens et d’une série de campagnes d’Amnesty International, la question de l’avortement n’a pas été débattue au Congrès. Elle rencontre également une forte opposition chez les dirigeants du PRO : quelques jours à peine avant l’élection présidentielle, Macri a utilisé Twitter pour se distancier de son parti et des déclarations d’un des principaux directeurs de campagne en faveur de la légalisation de l’avortement.

Par ailleurs, le nouveau ministre de la santé Jorge Lemus, qui a déjà occupé un poste en lien avec la santé pendant près de cinq ans à la municipalité de Buenos Aires dont Macri était maire, a démissionné en 2012 suite aux vives critiques lui reprochant de ne pas respecter une décision de la Cour suprême qui donnait à toutes les victimes de viol le droit d’avorter sans passer par un processus judiciaire compliqué.

La résolution signée par Lemus, qui imposait des restrictions supplémentaires aux femmes qui venaient à la capitale pour avorter sans subir de sanctions, a été rejetée ultérieurement par les tribunaux locaux. Une nouvelle loi a été approuvée par l’organe législatif de la municipalité en septembre 2012, mais Macri y a opposé son veto peu après.

 
Cet article a été traduit de l’anglais.