Algérie : syndicalistes et défenseurs des droits humains sous la menace du pouvoir

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Cinq ans après la fin de l’état d’urgence, l’Algérie peine toujours à trouver la voie d’une société démocratique, respectueuse des libertés individuelles et collectives, en particulier lorsqu’il s’agit du respect du droit des travailleurs et des libertés syndicales.

Licenciements abusifs, harcèlements et même emprisonnement sont le lot des travailleurs affiliés à des syndicats autonomes, autrement dit non contrôlés par le régime. Raison pour laquelle les organisations de la société civile et les syndicats autonomes algériens multiplient leurs visites des capitales européennes et de Bruxelles depuis plusieurs mois.

Car les travailleurs algériens n’obtiennent pas toujours l’aide espérée en dehors de leur pays.

Rachid Malaoui est le président de la Confédération générale des travailleurs autonomes en Algérie (CGATA) et du Syndicat national autonome de personnel des administrations publiques (SNAPAP).

Dans un entretien accordé à Equal Times, il décrit les obstacles et restrictions auxquels sont quotidiennement confrontés les syndicalistes dans son pays : difficultés de faire enregistrer les syndicats (certains attendent depuis 10 ans affirme Malaoui), interdictions de se réunir dans des lieux publics ou privés sans autorisation du ministère de l’intérieur, ou encore réunions privées encerclées par les forces de l’ordre pour en bloquer l’accès.

Le régime aurait même mis en place une autre méthode plus pernicieuse : le clonage. Il s’agit, lorsque le pouvoir est dans l’impossibilité de dissoudre un syndicat, d’en créer un « faux » qui porte un nom identique au syndicat autonome ciblé mais constitué de travailleurs proches du gouvernement.

Ainsi la SNAPAP a un clone, raconte son président. « Dans notre cas le gouvernement a même pris notre clone à la conférence de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour qu’ils plaident que tout va bien, pour essayer d’éviter une condamnation de l’OIT, mais ça n’a pas marché heureusement. C’est une méthode qui vise en même temps à disperser les travailleurs [affiliés, ndlr] et à tromper l’opinion internationale », dit Rachid Malaoui.

La méthode, elle, est bien connue des instances internationales et a déjà été condamnée par la Confédération syndicale internationale (CSI), par l’OIT et par le rapport annuel du département d’état américain sur les droits humain.

Mais le régime algérien ne lésine sur aucune méthode pour décourager les travailleurs de s’associer et de lutter pour leurs droits, y compris ne pas suivre des décisions de justice.

Des organisations de défense des droits humains comme EuroMedRights, qui répertorie soigneusement les violations des droits des travailleurs en Algérie, dénombre 40 militants syndicalistes affiliés à la CGATA qui seraient actuellement suspendus ou licenciés de manière arbitraire.

Autre grief adressée aux autorités algériennes : un code du travail « élaboré dans le secret », explique Elise Poumay, d’EuroMedRights, malgré des demandes d’explications de la part de l’OIT, restées sans réponse.

Toutes ces pratiques ont donné lieu à une mise en garde de l’OIT, qui estime que l’Algérie ne respecte pas la convention numéro 87 sur la liberté syndicale.

Suite à cela, le gouvernement algérien se serait empressé d’inviter le directeur général de l’OIT, Guy Ryder, en novembre 2015, pour assister à une réunion tripartite, sans toutefois convier les syndicats autonomes.

Mécontents, ces derniers ont menacé d’entamer une grève de la faim, évitée de justesse après une intervention de la CSI, dont la CGATA est membre.

« Le gouvernement algérien viole ses obligations internationales en empêchant les activités syndicales légitimes de la CGATA en Algérie, et également en la bloquant CGATA au niveau international, notamment auprès de l’OIT. Le gouvernement doit cesser ces violations et permettre aux travailleurs le plein-exercice de leurs droits d’association, » a déclaré Sharan Burrow, la secrétaire générale de la CSI.

Une mission du Bureau des Activités pour les Travailleurs de l’OIT (ACTRAV) est envisagée, mais pas encore confirmée, dans le courant de l’année 2016. Elle aura pour objectif de discuter avec les représentants des travailleurs de la situation syndicale dans le pays.

Dans un email envoyé à Equal Times, le cabinet de Guy Ryder affirme : « […] une de nos missions essentielles consiste bien à promouvoir le respect des conventions de l’OIT. Nous continuerons bien entendu à le faire - quel que soit le pays - et à veiller à leur respect, par le biais des mécanismes de contrôle en place au sein de notre organisation. »

 

Frilosité européenne

Si les syndicats autonomes algériens multiplient les visites à Bruxelles c’est aussi pour convaincre les institutions européennes de mettre ce sujet au cœur de leurs discussions avec les autorités du pays.

Une victoire importante pour les travailleurs algériens a été remportée au Parlement européen où une résolution condamnant fermement l’incarcération des militants pour les droits humains et travailleurs a été votée en avril 2015.

Cette résolution aurait d’ailleurs mené à la libération de syndicalistes emprisonnés, selon Malaoui.

D’autres institutions européennes, elles, se montrent plus frileuses, à l’instar du service européen d’action extérieure en charge de la politique européenne de voisinage (PEV), dénonce EuromedRights. L’organisation avait déjà critiqué la marginalisation des questions des droits humains au sein de la PEV révisée en novembre.

Elle réitère cette position sur la question des droits sociaux et syndicaux. Dans l’entretien pour Equal Times, Elise Poumay met en garde :

« L’une des critiques émises par les pays partenaires de l’UE est le manque d’appropriation (Ownership) de cette politique, c’est-à-dire que l’UE impose ses intérêts et donne des leçons ».

« L’UE a donc prévu de renégocier avec chaque pays du voisinage un nouvel accord qui définira les priorités conjointes de coopération. Il est essentiel que dans le cadre de ces négociations avec l’Algérie, l’UE assure que les droits humains et les libertés syndicales soient au cœur de l’accord.

« Il faut noter que l’UE et l’Algérie sont en cours de négociation d’un Plan d’Action dans le cadre de la PEV depuis 2012. Le chapitre sur les droits humains est notamment un des points de blocage et la révision de la PEV pourrait permettre à l’Algérie de demander un accord de coopération qui exclurait les droits humains et les réformes démocratiques de l’accord. »

Poumay suggère également une plus grande implication du Comité économique et social européen (CESE) sur ces questions, notamment par la publication d’un rapport.

Les syndicalistes algériens seront, eux, de retour à Bruxelles à la fin du mois de janvier en compagnie d’organisations de défense des droits humains en vue de préparer la prochaine réunion du sous-comité UE-Algérie « Dialogue politique, droits de l’homme et sécurité », faire le suivi de la résolution du Parlement européen et d’y soulever des questions importantes dans les relations de l’Union avec Alger.

This article has been translated from French.