L’alliance des travailleurs et de l’industrie de l’UE dit « NON » à un statut spécial pour la Chine

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Après avoir organisé une grande manifestation à Bruxelles le mois dernier, une alliance regroupant travailleurs et dirigeants sectoriels européens – représentant des millions de salariés de 30 secteurs incluant l’acier, l’aluminium, la céramique, le verre et les panneaux solaires – lance une ample campagne en vue de persuader l’Union européenne (UE) de ne pas accorder à la Chine le « statut d’économie de marché ». Le temps presse.

Que craint-on ? Si la République populaire de Chine obtient ce statut, qui s’accompagne de barrières commerciales réduites, elle sera encore mieux à même d’inonder le marché de l’UE avec encore plus de marchandises, dans de plus nombreux secteurs industriels, à un prix inférieur à celui du marché – dumping massif qui ferait mordre la poussière aux entreprises européennes, et y détruirait ainsi des emplois.

Cette alliance industrielle, appelée AEGIS Europe, a organisé une manifestation de protestation forte de 50.000 participants le 15 février à Bruxelles, alors que l’UE examinait sa politique commerciale à l’égard de la Chine, son deuxième partenaire commercial après les États-Unis, en prévision d’une date cruciale au sein de l’Organisation mondiale du commerciale (OMC) : l’expiration, en décembre cette année, d’une disposition du protocole d’accession de la Chine à l’OMC.

À l’heure actuelle, cette disposition permet à l’UE de baser ses calculs des droits antidumping sur un pays à l’économie de marché similaire à la Chine (pays analogue), en partant du postulat que la Chine n’est pas une économie de marché et que ses coûts de production sont artificiellement bas en raison de l’influence de l’État.

La décision de l’UE d’accorder, ou non, le statut d’économie de marché à la Chine sera déterminante pour la méthode utilisée à l’avenir afin de calculer les taux de dumping dans le cadre des enquêtes antidumping. La Commission, qui envisage fondamentalement trois possibilités, effectue en ce moment une évaluation d’impact. Elle a en outre lancé une consultation publique. La première option serait de ne pas accorder le statut à la Chine, et dès lors ne rien changer à la législation antidumping de l’UE. À cet égard, la Commission estime que « cette option comporte un risque clair de placer l’UE en infraction avec les obligations de l’OMC, et pourrait être contestée, ouvrant des droits à indemnités ».

Pour les deux autres options, qui consistent à donner à la Chine le statut d’économie de marché, avec ou sans mesures d’atténuation, la Commission devrait présenter une proposition juridique aux gouvernements de l’UE ainsi qu’au Parlement européen, lequel a par ailleurs publié sa propre étude sur la question.

En outre, la Commission a cinq critères pour déterminer si la Chine est une économie de marché, dont deux ont trait à une ingérence excessive de l’État dans le secteur privé.

Ces cinq critères ne sont pas tous remplis, mais ils feront partie de l’évaluation d’impact réalisée par la Commission.

Au cours de la protestation du mois de février, AEGIS Europe a émis le Manifeste européen de l’industrie européenne pour un commerce libre et une concurrence loyale. Les signataires incluent Eurofer, association européenne de l’acier, et IndustriAll, Fédération syndicale européenne représentant près de sept millions de travailleurs dans l’ensemble des chaînes d’approvisionnement de l’industrie manufacturière, de l’exploitation minière et du secteur de l’énergie.

« La Chine ne respecte pas le principe de la concurrence loyale dans ses relations commerciales. La Chine n’est pas encore une économie de marché. C’est pourquoi nous en appelons aux dirigeants de l’Union européenne pour refuser le Statut d’économie de marché (SEM) à la Chine tant que cette dernière ne remplit pas les obligations de l’Organisation mondiale du commerce », lit-on dans le manifeste.

 
De 250.000 à 3.5 millions d’emplois en péril, selon les sources

Liina Carr, secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats qui regroupe les centrales nationales de toute l’Europe, a présenté à Equal Times une analyse de ce qui surviendrait si la Chine venait à recevoir le statut d’économie de marché.

« Des entrepôts entiers sont bondés de la surproduction chinoise, et le pays n’attend qu’une ouverture pour inonder n’importe quel marché. La concurrence déloyale à cause du dumping entraînerait des difficultés pour les entreprises européennes, lesquelles se verraient obligées de réduire leur propre développement et d’arrêter toute création d’emplois. Si l’industrie européenne commence à faire faillite, il y aura des pertes d’emplois directes et indirectes », explique-t-elle.

Le nombre de pertes d’emplois est une thématique politique fondamentale ici. Dans un communiqué de presse, Milan Nitzschke, porte-parole d’AEGIS Europe, affirme : « Le dumping chinois détruit des emplois dans l’UE et sape le commerce libre et loyal. L’Europe ne peut pas se permettre de mettre en péril jusqu’à 3,5 millions d’emplois et 228 milliards d’euros en PIB annuel perdu ».

Ce nombre de 3,5 millions d’emplois provient d’une étude réalisée par l’Institut de politique économique, basé à Washington, publiée en septembre dernier. « D’après nos analyses, si l’UE décidait unilatéralement d’accorder les SEM à la Chine, cela mettrait en péril entre 1,7 et 3,5 millions d’emplois en annihilant la possibilité d’imposer des droits aux produits du dumping, ce qui permettrait aux entreprises chinoises de saper la production intérieure en inondant l’UE de ses produits bon marché », peut-on lire dans l’étude.

Cependant, les données avancées par la Commission sont bien inférieures. En effet, d’après la Commission, à l’heure actuelle 52 mesures antidumping sont en vigueur contre la Chine, couvrant 1,38 % des importations de l’UE en provenance de ce pays, essentiellement dans les secteurs de l’acier, de l’ingénierie mécanique, des produits chimiques et de la céramique. La Commission affirme que 250.000 emplois industriels dans l’UE sont en fait directement concernés par les mesures contre le dumping chinois.

« Pour nos calculs, nous avons adopté une approche plus globale », dit Ines Van Lierde, présidente d’AEGIS Europe, à Equal Times. « La Commission a calculé le risque de perte d’emplois à partir des enquêtes antidumping en cours, sans prendre en compte les procédures de révision et les affaires en attente de décision. »

« C’est là une approche erronée. La Commission n’a pas pris en considération l’effet potentiel des produits du dumping chinois dans d’autres secteurs », ajoute-t-elle.

L’on pourrait assister à un « effet domino qui permettrait à la Chine de s’emparer de chaînes de valeur entières », conclut-elle en citant le secteur automobile ou les produits de haute technologie comme autant de branches d’activité susceptibles d’être affectées à l’avenir.

Au-delà du débat sur les pertes d’emploi, Alicia Garcia Herrero, chercheuse au sein de la cellule de réflexion Bruegel à Bruxelles, estime que la Chine finira de toute manière par obtenir son statut d’économie de marché.

« Certes, le statut d’économie de marché aidera la Chine à faire du dumping avec des produits encore plus nombreux à des prix inférieurs au coût de revient, et cela nuira à l’Europe », dit-elle. « Mais il est difficile d’estimer l’ampleur de ces dommages en termes d’emploi et de compétitivité. Quoi qu’il en soit, l’Europe n’est plus capable d’empêcher ce processus puisqu’en vertu des dispositions de l’OMT, la Chine obtiendra le statut d’économie de marché avec ou sans l’UE. »

Elle faisait référence au paragraphe 15 du protocole d’accession de la Chine à l’OMC, en vertu duquel d’autres pays peuvent traiter la Chine comme une économie qui n’est pas de marché dans les procédures antidumping. À partir de décembre 2016, un sous-alinéa de ce paragraphe décrivant la méthode de calcul des subventions antidumping ne sera plus d’application.

Van Lierde n’est pas du même avis : « Après cette date, il suffira de modifier la méthode de calcul des mesures antidumping, mais cela ne veut pas dire que la Chine se verra accorder le statut d’économie de marché ».

Des sources au sein de la mission chinoise après de l’UE ont refusé d’être citées directement, mais nous ont renvoyées à un discours prononcé par l’ambassadeur chinois Yang Yanyi au Parlement européen à la fin du mois de janvier.

« Nous sommes convaincus de la sagesse politique de l’UE, et nous comptons sur le respect en temps voulu par l’UE de l’accord de l’OMC et sur la reconnaissance du SEM de la Chine. Une telle attitude constructive ne pourra que renforcer un environnement économique ouvert et fiable, stimuler le commerce et l’investissement et réduire les frictions commerciales », disait-il dans ses remarques de conclusion.

Les prochains rendez-vous importants dans ce débat sont une conférence avec les parties prenantes au milieu du mois de mars, et une réunion du Collège des commissaires en juillet.

La consultation publique de la Commission sur une possible modification de la méthode de calcul du dumping dans les enquêtes concernant la Chine est en cours jusqu’au 20 avril 2016.

 
Cet article a été traduit de l’anglais.