Au Brésil, la lutte contre l’esclavage moderne continue

Au Brésil, la lutte contre l'esclavage moderne continue

A training day organised by the “Escravo, nem pensar!” (Slavery, No Way!) programme for teachers and social workers on 7 April 2016 in São Paulo.

(Mathilde Dorcadie)
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Régulièrement, les médias brésiliens relatent des cas de « sauvetages » de travailleurs. Fin mars, quatre travailleurs chinois ont été découverts dans une boulangerie de Rio de Janeiro, où ils travaillaient sans percevoir de salaire et sans avoir le droit de sortir.

La même semaine, les « équipes mobiles d’inspection » du ministère du Travail de l’État du Pará, dans la région amazonienne, ont permis à 26 personnes, travaillant dans deux exploitations agricole,s de retrouver la « liberté » face à leurs employeurs. Ces derniers retenaient leurs salaires depuis plusieurs mois et les logeaient dans des conditions sanitaires déplorables et sans eau potable.

Chaque travailleur peut désormais réclamer des indemnisations pour dommage moral à hauteur de 30.000 réaux (8200 USD). Chaque année, environ 2.000 travailleurs sont ainsi « sauvés » de l’emprise de leurs employeurs-bourreaux. Pendant longtemps, le profil du travailleur exploité était celui d’un homme, plutôt d’âge mûr et de couleur, employé dans les plantations agricoles aux durs travaux des champs, comme au temps de l’esclavage, pourtant aboli en 1888. Ces dernières années, il a pris un nouveau visage dans les villes, sur les chantiers de construction et dans les ateliers de couture, et touche les populations immigrées, telles que les Boliviens, les Haïtiens, les Péruviens et les Chinois.

En 2013, des inspections menées sur de grands chantiers publics (aéroport international de São Paulo, Coupe du monde) ont fait exploser les statistiques en zones urbaines.

Un crime contre la dignité humaine

Au Brésil, le travail forcé est un crime inscrit dans l’article 149 du Code pénal et passible de 2 à 8 ans de prison. Il est évidemment caractérisé par la contrainte, mais aussi la privation de la liberté d’aller et venir (par la menace ou par la dette), les journées de travail harassantes qui mettent en danger la santé et la sécurité du travailleur, la privation de repos (journalier ou hebdomadaire), les retenues abusives de salaires (pour payer le logement, les transports, les équipements…) et enfin par des conditions de vie dégradantes (mauvais traitements, logements précaires, absence d’assistance médicale, manque d’eau potable, de nourriture, de sanitaires…).

« Dans tous les cas, il s’agit d’une atteinte aux droits et à la dignité de la personne » affirme Natalia Suzuki, coordinatrice du programme « Escravo, nem pensar! » (Esclave, pas question!), de l’ONG Reporter Brasil.

Celle-ci a été créée en 2001 pour « identifier et rendre publiques les situations qui portent atteinte au droit du travail et causent des préjudices sociaux-environnementaux au Brésil. ».

Depuis 1995, le gouvernement a mis en place des « unités mobiles d’inspection » chargées de traquer toutes les formes de travail proches de l’esclavage.

Natalia Suzuki raconte : « C’est sous la pression internationale, à l’époque, suite à une condamnation de la Commission interaméricaine des droits humains de l’Organisation des États américains (OAE), que le Brésil a arrêté de nier l’existence de ces pratiques ».

En 20 ans, les « équipes mobiles » ont libéré près de 50.000 travailleurs, mais la fondation Walk Free estime qu’il y aurait encore 155.300 « esclaves modernes » dans le pays.

Renforcer la loi pour punir les patrons malveillants

D’autres mesures ont été prises, comme la lista suja, une liste qui recense les noms des employeurs rendus coupables de pratiques esclavagistes.

Cette technique dite de name and shame (nommer et blâmer), qui bloquait l’accès au crédit et aux financements publics à ces employeurs, a cependant été suspendue en 2014.

« C’est à cause de la pression des députés « ruralistes » qui défendent les intérêts des grands propriétaires terriens et qui ont réussi à faire suspendre provisoirement cette mesure au motif qu’elle serait inconstitutionnelle », explique Suzuki.

Après 15 années dans les cartons parlementaires, un projet de loi constitutionnelle (PEC 54A/1999) a également été adopté en 2014 : il permet l’expropriation des employeurs condamnés. À ce jour cependant, aucun cas n’est recensé, car les modalités d’application n’ont pas encore été définies.

« L’approbation de la PEC est une conquête pour la démocratie brésilienne, la dignité de millions de travailleurs et l’égalité des droits. […] Cependant, la victoire ne pourra être complète que si les modalités d’application qui seront adoptées permettent de garantir le pouvoir punitif originel de la loi », a commenté après la décision du Sénat Camila Pitanga, actrice et membre du Movimento Humanos Direitos (MHuD, Mouvement en faveur de l’humanité et des droits), en juin 2014.

Le plan national de lutte contre le travail forcé comprend normalement trois champs d’action : la prévention, l’assistance et la répression. Cependant, par manque de moyens, les autorités publiques se concentrent sur le dernier aspect.

C’est là qu’intervient donc le programme « Escravo, nem pensar! », qui a pour principale mission de sensibiliser les populations vulnérables.

« Le principe est simple : nous formons des éducateurs sociaux qui sont en contact avec elles et les leaders des communautés. L’idée est de faire prendre conscience par dissémination de la réalité du travail forcé et de les aider à le refuser avec les outils que nous leur donnons », explique Natália Suzuki.

L’ONG Reporter Brasil a également développé une application gratuite pour smartphone qui permet de mieux connaître les pratiques des grandes marques vis-à-vis du travail forcé.

« Le consommateur est appelé à faire aussi sa part, mais il n’a pas toujours les informations pour la faire », expliquait Leonardo Sakamoto, président de l’ONG, lors de son lancement en 2013 devant la presse. « Elle rend possible une action directe de lutte contre le travail esclave ».

Pour l’instant, elle n’existe que dans le domaine vestimentaire et s’appelle « Moda Livre » (Mode libre). De grandes enseignes nationales et internationales, comme Zara, ont déjà été pointées du doigt par cet outil d’évaluation qui classe les entreprises en fonction de leur bonne conduite envers leurs travailleurs et sous-traitants, et permet aux consommateurs de faire leurs achats en connaissance de cause.

This article has been translated from French.