Journée de commémoration des travailleurs : Dakota du Nord, l’État de tous les dangers

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Tyler Erickson a travaillé en tant que manœuvre chez Heller Casing, à Williston, Dakota du Nord, de 2012 à 2014. Il était spécialisé dans la maintenance du tubage qui était introduit dans les puits de forage, à l’époque où les puits de pétrole de cet État étaient en plein boom. Les accidents faisaient partie du quotidien, se rappelle-t-il.

« Des travailleurs se retrouvaient les doigts coincés entre deux conduits », raconte Tyler, désormais reconverti en étudiant de droit, lors d’un entretien avec Equal Times. Il faisait partie des travailleurs à temps partiel qui, à la différence des employés à temps complet, n’étaient pas tenus d’assister de manière régulière aux formations sur la sécurité. « Parfois des gens glissaient et tombaient sur les tuyaux. »

Ça c’était dans les moins graves des cas. L’année dernière, et pour la troisième année consécutive, le Dakota du Nord était l’État le plus dangereux des États-Unis pour les travailleurs, d’après le rapport 2015 de l’AFL-CIO intitulé Death on the Job (mort au travail).

Ce jeudi 28 avril, à l’occasion de la Journée internationale de commémoration des travailleurs morts ou blessés au travail, les syndicats du monde entier réitèrent leur appel annuel « Se souvenir des morts : Lutter pour les vivants. » Cette année, la journée du 28 avril aura pour thème « Des lois fermes, une application stricte et des syndicats forts ». 

Le Dakota du Nord a enregistré 14,9 morts par 100.000 travailleurs rien qu’en 2015, dépassant de loin les 9,5 morts par 100.000 travailleurs du Wyoming. Malgré une baisse du nombre de victimes mortelles dans le Dakota du Nord depuis 2012 (17,7 par 100.000 travailleurs), l’État reste dans une ligue à part.

Le nombre de morts au travail a commencé à croître à mesure que de plus en plus de travailleurs sont partis en quête d’un emploi dans la région de Bakken. Bakken – une vaste formation géologique recelant d’importantes réserves d’hydrocarbures – occupe un quart de la superficie de l’État du Dakota du Nord, s’étendant jusqu’au Canada, au nord, et jusqu’au Montana, à l’ouest.

Une des causes invoquées pour le taux de mortalité élevé est le manque de surveillance. L’instance fédérale chargée de la sécurité et de la santé au travail (OSHA) souffre d’une grave pénurie de ressources humaines. En 2015, l’OSHA employait, en tout et pour tout, 1882 inspecteurs, chargés de contrôler 8 millions de postes de travail sous leur juridiction.

D’après le rapport de l’AFL-CIO, cela reviendrait à ce que les lieux de travail contrôlés par l’OSHA ne puissent être inspectés qu’une fois tous les 140 ans.

Nichée au cœur du Bakken se trouve Williams County, une ville-champignon où sont logés la plupart des travailleurs qui font la navette dans la zone à la recherche d’un boulot. L’afflux soudain de travailleurs a très vite provoqué une pénurie d’hôtels et d’appartements, entraînant la nécessité de logements à mêmes d’accueillir les nouveaux-venus.

Ces zones – parfois surnommées « man camps » ou campements d’hommes - ont beaucoup intéressé un professeur de la University of North Dakota (UND) qui dans le cadre de ses travaux étudiait les campements ouvriers depuis un certain temps déjà.

Professeur agrégé à la faculté d’histoire de l’UND, William Caraher est aussi co-chercheur principal dans le cadre du North Dakota Man Camp Project. Les « crew camps » ou campements pour l’hébergement des équipes de travail sont fournis et entretenus par des grandes sociétés comme Target Logistics, qui se chargent d’acheminer les modules préfabriqués par chemin de fer jusqu’à la zone.

« Je ne pense pas qu’il s’agisse d’endroits où il fasse bon vivre, dans le sens où il s’agit de pièces d’habitation modulaires », confie-t-il à Equal Times. « Ça me rappelle en quelque sorte les dortoirs dans les films de science fiction. … des longs corridors avec des tubes qui sortent des parois et des chambres de part et d’autre. »

Les « camps de squatters » étaient particulièrement répandus au début du boom pétrolier en 2008, quand les travailleurs ont commencé à affluer vers la zone. Certains travailleurs vivaient illégalement sur les chantiers-mêmes, sans être raccordés aux égouts ou à l’eau. Pour l’électricité, ils se servaient de longues rallonges pour se raccorder aux groupes électrogènes les plus proches.

Si les conditions de vie étaient difficiles pour certains, le travail en soi était souvent dangereux. Les tâches que devaient accomplir les travailleurs allaient de l’installation de tubages autour des trépans pour assurer à la foreuse une trajectoire libre d’obstacles, à des opérations plus spécialisées comme le « repêchage » ou des tâches comme celle exécutée par ce travailleur qui devait retirer tout objet qui tombait dans les puits creusés par les foreuses .

L’afflux soudain de travailleurs pour assurer le maintien du débit pétrolier des gisements de Bakken a entraîné une augmentation du nombre de morts accidentelles dans la région. D’après l’OSHA, plus de la moitié des travailleurs morts dans l’exercice de leur emploi dans le Dakota du Nord appartenaient à l’industrie du pétrole et du gaz.

D’après un profil démographique établi sur la base d’un recensement effectué aux États-Unis en 2010, Williams County, Dakota du Nord, comptait 22.398 habitants. Selon les projections basées sur ce même recensement, la population en 2015 était estimée à 35.295 habitants. Des travailleurs migrants faisaient la navette depuis des États aussi éloignés que le Texas ou l’Oklahoma pour y exécuter diverses opérations.

Depuis l’arrêt des forages dans la zone, dû à la plongée des cours pétroliers, les travailleurs directement associés aux compagnies pétrolières ont quitté l’État, laissant derrière eux la ville de Williston surédifiée et endettée.

Alors que le nombre de travailleurs morts au travail devrait diminuer sous l’effet de cet exode, il est probable que la tendance observée dans le Dakota du Nord resurgisse en cas d’un nouveau boom pétrolier.

Le rapport de l’AFL-CIO note le progrès accompli à travers tout le pays – que plus d’un demi-million de vies ont pu être sauvées grâce à la loi de 1970 sur la santé et la sécurité au travail. En attendant, il reste beaucoup d’autres vies à sauver. Comme les 12 travailleuses et travailleurs en moyenne qui meurent chaque jour rien qu’aux États-Unis.