La tragique guerre contre la drogue en Indonésie

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Au début de l’année dernière, le nouveau président indonésien Joko « Jokowi » Widodo, un outsider élu grâce au soutien important de la société civile, a eu vite fait de gâcher une bonne partie de son crédit auprès de la communauté internationale quand il a procédé à une série d’exécutions de ressortissants étrangers pour des crimes liés au trafic de drogue. Pendant ce temps, la crainte de nouvelles exécutions est vive.

« Le président Jokowi a fait exécuter 14 personnes dans les quatre mois qui ont suivi son élection. Jamais auparavant l’Indonésie n’avait-elle exécuté un si grand nombre de personnes en si peu de temps », a affirmé Ricky Gunawan, avocat des droits de l’homme auprès du centre d’aide juridique communautaire LBH Masyarakat, à Djakarta.

« Ça a été un moment de surprise. Beaucoup de gens au sein de la communauté des droits humains en Indonésie pensaient qu’il [Jokowi] apporterait des changements positifs dans le pays mais contre toute attente, il a déclaré la guerre aux drogues ».

Un an plus tard, Jokowi, 54 ans – premier président du pays à ne pas être issu des hauts rangs de l’armée ou de l’élite politique – a proclamé son intention d’étendre la guerre contre la drogue, décrivant celle-ci comme le problème numéro un qu’affronte l’Indonésie, une annonce qui ne manque pas d’éveiller la crainte d’une nouvelle vague d’exécutions.

À un moment où les répercussions négatives des dérives autoritaires des politiques antidrogue sont mises en évidence dans des pays comme les États-Unis et le Mexique et où les Nations Unies cherchent activement à revoir leurs propres politiques en la matière, d’aucuns craignent que des politiques antidrogues punitives en Indonésie pourraient conduire au surpeuplement des prisons et avoir un impact adverse sur les droits humains.

« Quand le gouvernement affirme « nous devons sévir contre les drogues », la police et l’armée ont tendance à interpréter cela comme une autorisation à agir à leur guise », indique Diederick Lohman, directeur adjoint de la division santé et droits humains à Human Rights Watch (HRW).

« Cela peut mener à la torture généralisée, à des exécutions, à des personnes arbitrairement mises à mort. Nous sommes très inquiets face au risque de telles dérives en Indonésie. »

Les nouvelles lois envisagées augmenteraient la sévérité des peines pour les crimes liés aux drogues, moyennent l’introduction possible de sanctions draconiennes telles que le gavage forcé des trafiquants avec leurs propres drogues jusqu’à ce que mort s’ensuive ou encore l’encerclement de prisons réservées exclusivement aux narcotrafiquants par des zones infestées de crocodiles, de tigres et de piranhas.

« Une criminalisation générale de l’utilisation de stupéfiants a été démontrée comme inefficace en termes de santé publique et peut s’avérer préjudiciable », a signalé Lohman.

Le rétablissement du recours à la peine de mort, qui selon des organisations comme Amnesty International et HRW, entre autres, est discriminatoire, se prête aux abus de systèmes de justice biaisés et n’a aucun effet dissuasif sur le crime, suscite une profonde inquiétude. Les dernières exécutions ont eu lieu en avril 2015, quand huit hommes, dont plusieurs Nigérians, deux Australiens et un Brésilien ont été mis à mort par un peloton d’exécution.

Actuellement, la majorité des condamnés à mort en Indonésie, dont un très grand pourcentage de ressortissants étrangers, le sont pour des crimes liés aux drogues

Dans la plupart des cas, les condamnés ne sont pas des chefs de gangs, ni même des producteurs mais de simples trafiquants. Beaucoup d’entre eux ont été amenés par la ruse ou la coercition à introduire des drogues dans l’archipel.

« Les femmes sont gravement affectées par la « guerre contre les drogues » signale Gunawan, « car elles sont vulnérables et plus susceptibles d’être manipulées et utilisées en tant que passeuses par les gangs ».

En attendant, les prisons commencent à se remplir de personnes arrêtées pour des crimes en rapport avec la drogue. D’après Al Jazeera, approximativement 60% des 12.000 personnes incarcérées dans la capitale, Djakarta, le sont pour consommation ou trafic de drogue. En revanche, il n’y a que 22,000 lits réservés au traitement des toxicomanes dans tout le pays, alors que les statistiques officielles indiquent que 1,2 million de toxicomanes requièrent une attention médicale urgente. Et même ceux-là ne sont pas utilisés en raison du climat de peur qui règne désormais autour de tout ce qui a rapport avec la drogue.

« Quand les représentants de la loi prennent pour cible les toxicomanes, cela a pour effet d’éloigner des services médicaux précisément ceux dont la santé est la plus menacée, car ils ont peur d’être arrêtés », indique Lohman.

Gunawan rejoint ce point de vue. « Si l’Indonésie décriminalise la consommation de drogue et la possession de drogue [en petite quantité], les toxicomanes auront recours aux traitements. »

 

L’avantage de l’Indonésie

Les États-Unis, le Mexique et l’Europe se sont lancés dans leurs politiques antidrogue punitives il y a environ une décennie mais celles-ci ont eu peu d’effet sur la consommation. En revanche, l’Indonésie a l’avantage de pouvoir puiser dans une somme beaucoup plus vaste de connaissances et de recherches sur la consommation de stupéfiants.

Celles-ci incluent les effets néfastes de l’incarcération massive et de l’attribution de pouvoirs excessifs à la police nationale ou à l’armée dans toute lutte contre le trafic de drogue. Ces expériences montrent, en effet, que souvent ce genre de « guerre contre la drogue » s’avère non seulement inefficace mais peut, en réalité, aggraver la situation.

« Les preuves dont nous disposons dans le cas d’approches hautement punitives sont en grande partie négatives », a dit Lohman. « Malgré tous les efforts entrepris pour saisir les drogues trafiquées, les prix des drogues sur la plupart des marchés sont aujourd’hui moins élevés qu’il y a 10 ou 20 ans. »

Par exemple, aux États-Unis, une politique nationale en matière de lutte contre la drogue axée sur le recours aux tactiques policières musclées et un système judiciaire privilégiant l’incarcération plutôt que la réinsertion a donné au pays l’une des plus importantes populations carcérales du monde, sans que cela ne conduise à une diminution notable de la consommation de drogue, comme le prouve la récente épidémie d’héroïnomanie qui déferle sur le pays.

La triste vérité est qu’aux quatre coins du monde, les luttes antidrogues visent moins à s’attaquer à un problème qu’à recueillir des soutiens politiques, et l’Indonésie n’échappe pas à cette règle. Les toxicomanes sont impopulaires et représentent une cible facile pour des politiciens en quête de suffrages.

« Les drogues ont depuis toujours été un enjeu conservateur, facilement exploitable pour gagner en popularité », dit Gunawan. « [Jokowi] voulait se donner l’image du justicier implacable contre le crime, la drogue. »

Ce que Gunawan et d’autres au sein de la communauté des défenseurs des droits humains en Indonésie veulent voir c’est un changement partant des preuves qui attestent que les politiques actuelles n’ont fait qu’aggraver la situation, un changement qui recentre l’attention sur la santé.

« Une des choses fondamentales c’est de reconnaître que la politique en matière de lutte contre la drogue en Indonésie a échoué, qu’elle ne résout en rien le problème de l’addiction et ne contribue pas à réduire le crime lié aux drogues », insiste Gunawan.

D’après Lohman, cela ramènerait le pays au cœur du problème qu’il tente de résoudre – une crise sanitaire où les toxicomanes ont besoin de traitement et non d’incarcération.

« La raison pour laquelle nous contrôlons certaines substances est que nous voulons protéger la santé », dit Lohman. « Les pays qui privilégient des approches punitives ont perdu de vue cet objectif ultime. »