À São Paulo, la corruption retire le pain de la bouche des écoliers

News

Cela pourrait sonner comme une blague de cour d’école et pourtant la « mafia da merenda » (la « mafia du goûter ») n’a rien à voir avec un quelconque jeu d’enfant, mais bien avec une affaire de corruption de grande ampleur au sein, entre autres, du secrétariat à l’Éducation de l’état de São Paulo, au Brésil.

Ce nom, utilisé par les médias, désigne l’affaire de détournement d’argent public qui affecterait les écoles d’au moins 22 communes. Dans l’état le plus riche du pays, des milliers d’écoliers et de lycéens se retrouvent, depuis plusieurs mois, au mieux, privés du traditionnel « quatre heures » (parfois donné aussi le matin), au pire d’un déjeuner sain et complet à la mi-journée.

« Ma fille passe huit heures par jour à étudier le ventre vide ! Ce n’est pas normal ! » s’insurge Maria-Louisa, une mère de trois enfants qui vit dans la banlieue nord de São Paulo. Elle est venue soutenir sa fille Helena, lycéenne dans la filière technique, et ses camarades lors d’une manifestation organisée par les élèves de plusieurs établissements, le 20 avril dernier.

Chico, 17 ans, explique à Equal Times que depuis la rentrée, en février, son établissement, pourtant public, ne sert plus de déjeuner : « L’année dernière, le repas à la cantine coûtait 5 BRL (1,4 USD) et maintenant on mange au bistrot du coin pour 10 BRL (2,8 USD). Et pour ceux qui apportent leur nourriture, nous n’avons qu’un seul micro-onde à disposition pour 6.000 personnes ».

Pour montrer l’ampleur du phénomène, les élèves de la région ont créé une page sur Facebook et Instagram appelé « Diario da Merenda » (« le journal du goûter ») et invitent leurs camarades à partager en photo ce qu’on leur distribue dans les cantines, mettant en lumière des situations très disparates.

« C’est une obligation légale du gouvernement local de garantir aux élèves du public un apport nutritionnel suffisant pendant les heures où ils sont scolarisés », rappelle Maria-Louisa la mère de famille qui tient, un peu à l’écart de la manifestation, une pancarte disant « Le gouverneur qui ne respecte pas l’éducation, n’aura pas mon vote en 2018. »

 

Corruption et mobilisation

Car le nœud du problème se situe bien au niveau politique. La détérioration de la qualité des repas n’est pas due simplement à une mauvaise gestion ou à une baisse des budgets (arguments avancés par certains établissements), mais est due à des détournements d’argent orchestrés par des fonctionnaires publics, dont certains seraient même des proches du gouverneur Geraldo Alckmin (PSDB, centre-droit).

Ainsi, le 29 mars dernier, sept personnes ont été arrêtées dans le cadre d’une opération conjointe de la police et du procureur de l’état, dont l’ancien président de la Chambre des députés de l’Assemblée législative de l’état de São Paulo.

Dans un état de 44 millions d’habitants, soit un peu près l’équivalent de la population de l’Espagne, il s’agit là d’une affaire de corruption qui pourrait faire bien plus souvent les gros titres, si le reste du pays ne vivait pas déjà au rythme des révélations autour de l’affaire Petrobras qui éclabousse les plus hautes instances gouvernementales, dont la présidente Dilma Rousseff.

L’enquête à São Paulo, commencée il y a trois mois et qui est toujours en cours, a déjà démontré qu’une douzaine de fonctionnaires avaient organisé, depuis même leurs bureaux à l’Assemblée, mais aussi des maires et des députés, un système d’entente avec au moins une coopérative chargée d’approvisionner les établissements scolaires, reposant sur un système de surfactures et de pots-de-vin.

Par exemple, la coopérative facturait jusqu’au double du prix les produits destinés aux cantines pour reverser ensuite entre 10% et 30% de la plus-value aux personnes impliqués dans le système.

L’actuel président de l’Assemblée législative de São Paulo, Fernando Capez, et un ancien chef de cabinet du secrétariat à l’éducation, ont été désignés comme les principaux bénéficiaires de l’argent détourné, mais ils nient toujours leur implication.

D’après le Groupe d’action spéciale de répression du crime organisé (Gaeco), les fraudes constatées, sur la période 2013 à 2015, représentent un montant de 7 millions de réaux (1,9 million de USD), dont environ 10% étaient destinés spécialement au versement de propina (dessous-de-table).

Professeurs et parents d’élèves, soutenus par les mouvements sociaux et syndicaux réclament, en plus de l’enquête de la police, la création d’une Commission d’enquête parlementaire (CPI) au sein de l’Assemblée législative.

Pour Izabel Noronha, la présidente du Sindicato dos Professores do Ensino Oficial do Estado de São Paulo (Apeosesp, Syndicat des professeurs de l’enseignement officiel de l’Etat de São Paulo) : « Il n’existe pas de pire crime que de retirer la nourriture de la bouche des enfants. Il est important de créer une CPI, car nous voulons retrouver cet argent détourné et améliorer la qualité de l’alimentation de nos enfants. On ne peut pas continuer à leur donner des biscuits secs, d’autant plus que beaucoup d’enfants [de familles peu aisées] attendent aussi de l’école qu’elle complète leur alimentation quotidienne », a-t-elle déclaré lors d’une manifestation devant l’Assemblée législative le 23 février à l’agence brésilienne d’information EBC.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le scandale actuel n’est pas le premier du genre. Des fonctionnaires, sous d’autres mandatures, avaient déjà vu dans le goûter des enfants une source de profit illégal.

Mais désormais, les élèves descendent dans la rue toutes les semaines pour demander des explications sur ce scandale. Depuis le 28 avril, une partie des lycéens occupent leurs établissements, comme ils l’avaient déjà fait en 2015.

Dans la nuit du 3 au 4 mai, plusieurs dizaines d’entre eux ont même envahi et occupé la salle du conseil de l’Assemblée législative de l’état de São Paulo, avant d’être délogés par la police. L’année dernière, les lycéens avaient déjà gagné une bataille contre le gouvernement local en occupant environ 200 écoles pour s’opposer à la réorganisation de la carte scolaire et à la fermeture de 92 écoles. Le gouvernement avait fait marche arrière.

Maria-Louisa, la mère de famille confie « Ces jeunes, aux prochaines élections, ils auront le droit de vote ! Moi, je les soutiens et je leur dis qu’ils auront aussi cette arme de citoyen ! »

This article has been translated from French.