Des centaines d’assassinats teignent de sang la défense de l’environnement dans le monde

Des mobilisations pacifiques au Honduras, avec un fort encadrement sécuritaire, mais aussi devant les ambassades de ce pays dans diverses régions du monde, de l’Argentine aux États-Unis en passant par l’Espagne et l’Italie, se tiennent aujourd‘hui, 15 juin, afin de protester contre l’assassinat de la militante environnementaliste Berta Cáceres.

Les organisateurs des manifestations réclament que la justice soit rendue et qu’une enquête indépendante soit tenue, ainsi que le retrait de la concession accordée à la société DESA (à Río Blanco) pour son projet hydroélectrique « Agua Zarca », auquel Cáceres s’opposait.

Le 5 avril, en pleine séance de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) à Washington, un groupe de défenseurs des droits humains a quitté les salles de cette institution interaméricaine afin de se réunir, arborant des pancartes, devant le bâtiment de la Banque mondiale. Sur les murs du bâtiment l’on pouvait lire un graffiti rouge : le nom de la victime et un message clair : « Berta vit ».

Berta Cáceres, dirigeante indigène du Honduras, a été assassinée le 3 mars dernier, après avoir reçu des menaces des années durant, et en dépit des mesures de protection prises depuis 2009 par la CIDH, ce que sa propre fille, Berta Zúñiga, a révélé à Equal Times dans un entretien téléphonique depuis le Honduras.

À peine 12 jours après ce premier assassinat, des balles ont réduit au silence Nelson Noé García, un autre membre du groupe que Cáceres dirigeait (le Conseil Civique des organisations populaires et indigènes du Honduras, COPINH).

Ces deux cas s’ajoutent à la funèbre liste des défenseurs de l’environnement assassinés dans le monde entier, liste dont le rapport Combien encore ? (¿Cuántos Más?) de l’organisation Global Witness s’est fait l’écho en avril 2015. Au total, rien qu’au Honduras, 101 défenseurs de la cause environnementale ont été assassinés entre 2010 et 2014, ce qui place le pays centraméricain à la première place au monde quant à ce type d’assassinats par habitant.

Ce taux d’homicides s’inscrit cependant dans une tendance régionale. Global Witness a recensé 116 cas rien qu’en 2014 dans le monde entier, dont 88 en Amérique latine, surtout dans le centre et le sud du continent : 29 au Brésil, 25 en Colombie, 12 au Honduras, 9 au Pérou, 5 au Guatemala, 3 au Paraguay, 3 au Mexique et enfin un cas en Équateur comme au Costa Rica. Il est frappant que dans presque 4 cas sur 10, les victimes sont des indigènes.

Dans ce rapport, l’organisation, dont le siège est à Londres, alerte au fait que « parmi les facteurs sous-jacents de ces assassinats de défenseurs de la cause environnementale et de l’accès à la terre, dans pratiquement tous les cas recensés en 2014, l’on constate des litiges relatifs à la propriété des terres, à leur contrôle ou leur usage. L’on a pu observer une augmentation des assassinats en lien avec les projets hydroélectriques, ce qui est particulièrement alarmant ».

L’assassinat de Cáceres est justement en rapport avec le projet hydroélectrique « Agua Zarca » développé par Desarrollos Energéticos (DESA) et financé par la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) à hauteur de 24,4 millions de dollars, par la banque néerlandaise FMO, à hauteur de 15 millions et par le Finnfund pour 5 millions. Au cours de la campagne menée contre ce projet, Cáceres aurait reçu 33 menaces de mort.

Cependant, les assassinats ne sont que le corollaire de toute une batterie de coactions subies par les militants environnementalistes. Durant une audience thématique devant la CIDH demandée par le Centre pour la justice et le droit international et par le Comité des familles des détenus disparus au Honduras (COFADEH), qui s’est tenue le 5 avril dernier, ces deux organisations ont dénoncé le cas d’au moins 700 défenseurs portés devant la justice entre 2010 et 2016 dans la région du Bajo Aguán au Honduras. C’est-à-dire que non seulement on tente de criminaliser les manifestations et les militants, mais en plus ces derniers sont victimes de nombreuses agressions, y compris de type sexuel.

D’autres projets du secteur minier et des industries extractives, du secteur du bois et de l’abattage et du secteur agroalimentaire rallongent la liste des conflits potentiels, comme en témoignent les multiples plaintes de cas similaires, parmi lesquels la lutte du peuple Ngabe-Buglé au Panama, ou celle des communautés indigènes amazoniennes en Équateur contre l’exploration et l’exploitation pétrolière. Cette dernière affaire, Population indigène Kichwa de Sarayaku contre Équateur, a pourtant donné lieu à un arrêt en 2012, dont les dispositions ne sont toujours pas mises en œuvre.

 
Au harcèlement s’ajoute l’immobilisme des autorités locales

Zúñiga dénonce que dans le cas de Cáceres, les autorités honduriennes n’avaient pas la volonté de s’assurer de l’efficacité de leurs mesures de protection. Et qu’à la suite de l’assassinat, elles n’ont pas non plus effectué les investigations nécessaires pour éclaircir les faits. Selon elle, cela découle des intérêts économiques présents dans le projet, qu’il s’agisse d’entreprises privées ou du propre gouvernement.

« L’État n’a pas la volonté politique de résoudre le crime, à cause des intérêts en jeu. Ma mère s’opposait aux agissements du gouvernement, elle a contrarié tous les intérêts des mégaprojets fortement liés à des représentants de l’État, qui y ont fait des investissements. Nous demandons la mise en place d’une commission d’enquête indépendante, sous l’égide de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, mais l’État ne veut pas en entendre parler. Pourquoi ? Telle est la grande question », s’interroge Zúñiga.

Lors de l’audience du mois d’avril au cours de laquelle le cas de Berta Cáceres fut abordé, Leonidas Rosa Baustista (représentant du Honduras auprès de l’Organisation des États américains, OEA) et sa délégation ont nié toute criminalisation du mouvement indigène dans le pays. Ils ont indiqué au contraire le rôle joué par le trafic de stupéfiants en tant que facteur engendrant la violence dans la région. La délégation a énuméré les diverses actions entreprises dans le but de promouvoir le respect des droits de l’homme : la création d’un observatoire des droits de l’homme, le dialogue et la création d’une commission intégrant des défenseurs des droits de l’homme de la région, chargée de favoriser, entre autres, des mesures de protection.

Au début du mois de mai, les autorités honduriennes ont arrêté quatre des présumés assassins de Berta Cáceres, parmi lesquels figurent Douglas Bustillo, ancien chef de sécurité de la société DESA qui aurait émis de nombreuses menaces de mort à l’encontre de Cáceres, et Sergio Rodríguez Orellana, ingénieur en chef du projet Agua Zarca.

Des représentants du COPINH ont dénoncé à Equal Times les voiles de secret entourant l’enquête, et déploré ne pas y avoir été associés.

Ils vont plus loin encore, n’hésitant pas à pointer du doigt les hautes sphères du pouvoir économique, politique et militaire du pays comme étant « les auteurs intellectuels de l’assassinat de la camarade Berta », propos tenus par José Asunción, coordinateur de l’organisation sociale et politique hondurienne, à Equal Times.

« Les banques hollandaise et finlandaise devraient retirer leur financement à Agua Zarca », demandait Zúñiga à Bruxelles à la mi-avril.

La fille de Cáceres s’était en effet rendue dans la capitale européenne en vue de participer à diverses activités, parmi lesquelles une action de protestation organisée par des organisations de la société civile devant l’ambassade du Honduras. Elle lutte en vue de faire accepter une enquête indépendante de la CIDH dans son pays afin d’apporter toute la lumière sur l’assassinat de sa mère. Elle met en doute la neutralité des autorités locales, lesquelles pourraient vouloir déclarer un non-lieu (d’où son insistance sur la nature internationale de la commission d’enquête).

Le 9 mai, à l’issue de l’arrestation de plusieurs suspects dans cette affaire d’assassinat au Honduras, le Finnfund et le FMO ont chacun émis un communiqué de presse indiquant leur intention de s’écarter du projet Agua Zarca si l’implication de la société DESA venait à être confirmée.

Le « FMO se retirera du projet si l’existence d’un lien entre l’un de nos clients et un acte d’assassinat est prouvée de manière indéniable », signale la banque hollandaise dans son communiqué. Elle ajoute que cela se traduit par « la suspension des décaissements » jusqu’à nouvel ordre,

« Même si une accusation ne signifie pas forcément une culpabilité, FMO doit néanmoins envisager de se retirer du projet de manière responsable et légal », explique-t-elle.

À la fin du mois, le Finnfund, qui a lui aussi suspendu les paiements vers la société hondurienne, a indiqué à Equal Times être encore à la « recherche d’une issue responsable et légale. Une telle situation doit se préparer minutieusement, ce qui bien sûr prend du temps… ».

Quoi qu’il en soit, le graffiti sur les murs de la Banque mondiale demeure le symbole de la dangereuse lutte menée par Berta Cáceres et tous les environnementalistes au Honduras, dans la région et partout dans le monde, s’opposant à des intérêts privés dénués de scrupules et à des autorités étatiques qui ferment les yeux.

« Nous continuons de recevoir des menaces, mais nous restons déterminés… on verra bien ce qui va se passer », commente Asunción.

« Ceux qui ont assassiné ma mère se sont trompés. Ma mère n’est pas morte, elle s’est multipliée », conclut Zúñiga avec espoir.

 

This article has been translated from Spanish.