Brésil : des citoyens-observateurs mobilisés contre la corruption

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Fin juin, José Carlos Ugaz, président de l’organisation non-gouvernementale Transparency International, qui lutte contre la corruption, a effectué un voyage spécial au Brésil, un pays tourmenté depuis un an par les nombreux rebondissements de l’affaire « Lava Jato » (« lavage rapide », du nom de la station de lavage automobile où tout a commencé.)

Après avoir rencontré les juges de la Cour suprême, des magistrats et des députés, le Péruvien a souligné que la corruption au Brésil était systématique, qu’elle affectait tout le pays et que des réformes étaient plus que nécessaires.

« La grande corruption tue » a ainsi déclaré M. Ugaz à la presse, « les enquêtes doivent aller jusqu’au bout, tombera qui doit tomber, personne n’est au-dessus des lois. »

Le Brésil vit en effet un moment inédit. En 2015, pour la première fois de leur histoire, les habitants ont placé la corruption au premier rang des problèmes du pays, devant les failles du système de santé, le chômage ou la violence.

Depuis 2010, le nombre de condamnations pour corruption a augmenté de 116%. Et les Brésiliens ont fait du juge Sérgio Moro, qui mène tous azimuts des investigations contre les dirigeants de l’entreprise Petrobras, des députés et même l’ex-Président Luiz Inácio Lula da Silva, leur nouveau héros anti-corruption.

Mais d’autres citoyens, eux, n’ont pas attendu que les médias se préoccupent du sujet et ne souhaitent pas attendre que les juges interviennent une fois le mal fait.

C’est ainsi que des étudiants, des retraités, des professions libérales participent depuis 2008 de façon volontaire au sein de l’Observatório social do Brasil (OSB, l’Observatoire social du Brésil) au contrôle de l’utilisation de l’argent public, plus spécifiquement celui des municipalités.

Car la corruption n’est pas qu’une histoire de gros sous entre entrepreneurs avides et politiciens véreux. Elle commence bien souvent à petite échelle, comme Equal Times l’a déjà relaté dans l’éducation ou la santé au Brésil.

 

« Initier un changement de culture »

Depuis un an et demi, Luiz Cláudio Carneiro préside l’un des 109 observatoires du Brésil dans la ville de Teresópolis, une cité touristique de 175.000 habitants, dans l’état de Rio de Janeiro.

Cet entrepreneur du secteur informatique raconte s’être intéressé aux actions des élus municipaux, avec l’envie d’améliorer sa ville. À la suite d’une catastrophe naturelle, qui causa plus de 300 morts et des milliers de personnes délogées en 2011, Teresópolis reçoit d’importantes sommes d’argent en aide d’urgence. Le scandale qui entoura par la suite l’utilisation des fonds par les anciens maires, destitués plus tard par la justice, est à l’origine de la création d’une antenne locale.

Ils sont aujourd’hui une douzaine à consacrer une partie de leur temps libre – environ six heures par mois – à la vérification des dépenses et des appels offres de la mairie.

« Au début, cela n’a pas été facile de se faire accepter par les élus, il a fallu faire un travail d’explication de notre démarche citoyenne », se souvient Carneiro.

Les deux employés de l’OS-Teresópolis et les dix volontaires, retraités, avocats ou encore professeurs s’attachent à accompagner chaque démarche faite par l’équipe exécutive et législative locale pour éviter toute tentative de détournement d’argent.

Cela va du vote des budgets, qui sont analysés par les volontaires pour vérifier notamment les prix d’achat par rapport au marché (pour éviter les surfacturations), à la divulgation des appels offres, afin que la concurrence soit respectée et éviter l’entente sur les prix avec une ou deux entreprises privilégiées. Il y a ensuite un travail de suivi, à la livraison des commandes de fournitures, de travaux et de vérification des prestations de services.

« Ces informations ne sont pas toujours publiques, il faut souvent demander, insister. Mais nous avons quelques ‘alliés’ à la mairie » témoignent les volontaires.

Chaque entité, dans chaque ville doit respecter une méthodologie mise en place par le bureau national, dont le siège se trouve à Curitiba.

Son président, Ney da Nóbrega Ribas explique à Equal Times : « L’implication des citoyens ne serait pas nécessaire si le travail de contrôle était fait. Il y a des organes internes qui sont chargés de le faire, mais c’est bien souvent insuffisant ».

En cas d’irrégularités constatées, les volontaires font d’abord remonter leur constatation au maire, puis à l’assemblée municipale et en dernier recours au ministère public. Par ailleurs, les observateurs ont un œil sur les nominations de postes, sur les affaires judiciaires éventuelles et s’inquiètent de savoir si les lois municipales votées sont en conformité avec la loi et l’intérêt général.

« Nous voulons initier un changement de culture. Nos élus n’ont pas l’habitude de rendre des comptes. Pour une société sans corruption, il faut en finir aussi avec les petits délits. Notre méthodologie entraîne des résultats immédiats, » souligne Ribas, un ancien employé de Banco do Brasil (une des banques publiques du Brésil) présent depuis les débuts de l’aventure.

En effet, les résultats de l’Observatório social do Brasil sont plutôt encourageants, puisque celui-ci revendique avoir évité le gaspillage de près de 1,5 milliard de réais (450 millions USD) entre 2013 et 2016 à l’échelle nationale.

Depuis quelques mois, l’organisation est en pleine expansion. « L’intérêt des citoyens ne cesse de grandir. Nous sommes en train d’aider à l’ouverture de 230 nouveaux observatoires. Chaque création, ne peut être qu’à l’initiative des habitants. Il nous faut désormais de nouvelles ressources pour pouvoir suivre le rythme ».

En effet, le financement des activités, même si elles sont en grande partie volontaires, se fait uniquement par des dons de personnes privées ou d’entreprises.

« Nous n’acceptons évidemment ni l’argent des partis, ni d’origine douteuse », nous précise-t-on au siège de l’association.

L’organisation développe des partenariats avec d’autres acteurs publics, comme les universités pour qui elle propose des stages aux étudiants en gestion ou en comptabilité ; avec des fédérations professionnelles ou des syndicats de commerçants, comme par exemple l’Ordem dos Advogados do Brasil (OAB, l’ordre des avocats) ; ainsi que des PME locales.

« Il y a des chefs d’entreprise qui nous soutiennent, car ils sont fatigués de la concurrence déloyale, des accords fermés qui les excluent des marchés publics. Ils souhaitent contribuer à mettre en place un cercle vertueux », explique le président de l’OSB.

A Teresópolis, les citoyens-observateurs sont fiers d’avoir évité le gaspillage de près de 2 millions de réaux (600.000 USD) à leurs co-administrés. Ils ont notamment fait annuler des indemnités forfaitaires versées aux élus qui n’avaient pas de comptes à rendre sur leur utilisation.

« Nous avons plaidé leur inutilité devant la justice » explique Cláudio Carneiro. Une subvention accordée par le maire à la presse locale « afin qu’elle parle en bien de lui » pour pas moins de 160.000 réaux par mois (49.000 USD) a également été suspendue.

« Notre intention est de transformer la société, et pourquoi pas d’être un exemple pour d’autres pays » insiste le président de l’Observatório social do Brasil, qui annonce un partenariat avec Transparency International qui va prochainement ouvrir un bureau au Brésil.

« Le Brésil souffre de la corruption, mais nous avons les moyens de sauver notre pays ».

This article has been translated from French.