L’autre crise de l’eau : tous les ans, un million d’emplois ne sont pas pourvus

L'autre crise de l'eau : tous les ans, un million d'emplois ne sont pas pourvus

One million new water professionals, like these engineers working on a broken water main for the Syracuse Water Department in New York state, are needed ever year to plug the jobs gap in the sector.

(AP/Mike Groll)
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Les experts mettent en garde contre une crise de l’emploi grandissante dans le secteur mondial de l’eau.

Alors qu’il y a déjà beaucoup à dire à propos de la raréfaction croissante de l’eau, qui touchera 1,8 milliard de personnes en 2025, et du besoin de soutenir le sixième objectif des Objectifs de développement durable qui prône « la garantie de l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement, et l’assurance d’une gestion durable des ressources en eau » , il existe un autre problème : il n’y a pas assez de travailleurs qualifiés pour faire fonctionner efficacement le secteur de l’eau.

Selon UN Water (ONU-Eau), 1,5 milliard de personnes – plus de 40 % de la population active totale – travaillent dans des secteurs liés à l’eau et presque tous les emplois dépendent de l’eau.

S’adressant aux personnes assistant à la conférence de la Semaine mondiale de l’eau, organisée à Stockholm (Suède) du 28 août au 2 septembre, Ger Bergkemp, le directeur exécutif de l’International Water Association (IWA), a déclaré que les professionnels de l’eau ne sont pas assez nombreux pour répondre aux besoins toujours croissants en eau de la planète.

« La population mondiale, forte de sept milliards d’individus, a besoin d’infrastructures de traitement des eaux usées et à l’heure actuelle, environ 7000 personnes par jour réclament de nouvelles infrastructures de traitement des eaux usées. Il faut donc un million de nouveaux professionnels tous les ans pour répondre à ces besoins », a-t-il déclaré.

Les emplois dans le secteur vont de techniciens à des microbiologistes en passant par des plombiers, des responsables de la gestion des déchets et des concepteurs de logiciels. Mais, outre le déficit d’emploi visible, « il n’est pas aisé de faire une planification efficace », a expliqué Ger Bergkemp, à cause d’un manque de données appropriées et d’efforts coordonnés.

Parmi les raisons de ce déficit figurent des salaires peu concurrentiels et un manque de possibilités. Par exemple, Millie Adams, du Centre for Affordable Water and Sanitation Technology (CAWST) basé au Canada, a expliqué que son organisation avait organisé 125 sessions de formation en Afghanistan, au Cambodge, en Éthiopie, au Honduras et au Laos, pour un coût total de près de 11,7 millions de dollars US.

Malheureusement, nombre des personnes formées ont abandonné le secteur de l’eau pour trouver des emplois mieux rémunérés ailleurs.

En outre, un autre problème est que les nouveaux venus dans le secteur ne disposent pas toujours des bonnes compétences. « Il semble y avoir un décalage entre la formation prodiguée et le type de professionnels dont le secteur a besoin », a fait remarquer Ger Bergkemp.

 

Les effets du déficit

Les effets de ce déficit de capacités sont vastes, mais ils portent avant tout sur la pérennité des services de fourniture et d’assainissement de l’eau au niveau mondial.

Au niveau des solutions, des experts s’accordent pour dire que le point de départ est la création d’emplois et l’augmentation des investissements dans la protection et la réhabilitation des infrastructures d’approvisionnement et d’assainissement.

S’exprimant lors de la Semaine mondiale de l’eau, Christopher Lindsay, le responsable des relations avec le gouvernement de l’International Association of Plumbing and Mechanical Officials (IAPMO) basée aux États-Unis, a également réclamé l’application de normes techniques en tant que vecteur de développement de la main-d’œuvre. « Les normes sont essentielles pour veiller à une meilleure formation », a-t-il expliqué.

Cecilia Sharp, la conseillère principale à l’UNICEF pour l’eau et l’assainissement, a réclamé des formations professionnelles, notant que l’absence de capacités pour développer des ressources en eau affaiblissait le secteur. « On estime que 30 % des pompes à eau en Afrique ne fonctionnent pas », a-t-elle cité comme exemple. « Nous devrions investir massivement dans la formation professionnelle pour garantir la présence constante de personnes qualifiées. »

Les jeunes ont été identifiés comme des acteurs essentiels pour remédier aux pénuries de compétences. Bongani Dladla, un ingénieur civil d’Umgeni Water, le service d’eau public d’Afrique du Sud, a regretté le manque de parrains pour les jeunes qui entrent dans le secteur à cause du départ à la retraite de nombreux agents plus expérimentés.

Néanmoins, il a souhaité saluer Umgeni Water pour l’attention qu’il porte aux parrainages, à la formation technique, à l’enregistrement professionnel et à la formation continue.

« Cela permet d’attirer des étudiants brillants, intéressés par une carrière dans le secteur de l’eau et de leur garantir une grande visibilité. Il faut cultiver aujourd’hui l’excellence de demain », a-t-il déclaré.

Pour Kalanithy Vairavamoorthy, le principal responsable pour les recherches appliquées et le transfert des connaissances de l’International Water Management Institute (IWMI), les formations que prodiguent les universités, surtout dans les pays en développement, doivent être mises à niveau pour suivre l’évolution technologique rapide du secteur de l’eau. « Il faut des systèmes et des processus d’éducation et d’apprentissage novateurs », a-t-il expliqué en demandant instamment aux gouvernements et aux parties prenantes d’élaborer des stratégies nationales de développement des ressources humaines.

 

La privatisation n’est pas la solution

En revanche, les experts sont unanimement convaincus que la privatisation du secteur de l’eau n’est pas la panacée à cette crise de ressources humaines, car elle mène à une détérioration de la fourniture du service, à une hausse des prix de l’eau, à de la corruption et à des problèmes environnementaux.

David Boys, le secrétaire général adjoint de l’Internationale des services publics (ISP), une fédération syndicale mondiale qui fait campagne contre la privatisation de l’eau depuis des années, a confié aux journalistes d’Equal Times que les faibles salaires et les mauvaises conditions de travail sont responsables de l’exode des professionnels du secteur de l’eau.

« Les sociétés privées du secteur de l’eau pourraient offrir de meilleurs salaires, mais, malheureusement, elles préfèrent la maximalisation des profits. Dès qu’elles acquièrent des services publics, elles licencient en général tous les salariés et n’en réengagent que 30 % », fait-il remarquer.

Pour faire face aux problèmes que connaît le secteur de l’eau au niveau mondial, et surtout dans l’hémisphère sud, David Boys invite les gouvernements à combattre la corruption et à renforcer la lutte contre la fraude fiscale pour en finir avec l’imposante perte de revenus qui pourraient servir à entretenir et à étendre les ressources en eau.

« Pour gagner la guerre contre la corruption, il faut protéger les dénonciateurs », a-t-il confié.

David Boys insiste aussi sur le besoin de transparence, de responsabilisation et de participation de la communauté dans la gestion des services de l’eau. « Il ne suffit pas que les citoyens élisent les dirigeants des autorités locales, encore faut-il veiller au fonctionnement transparent des conseils locaux. »