Tentative de bâillonner le diffuseur public national du Brésil

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Quatre mois seulement après qu’un gouvernement par intérim ait supplanté l’administration de la présidente élue du Brésil, Dilma Rousseff, le cabinet à 100% masculin et blanc a eu vite fait d’affirmer son pouvoir en tirant un trait sur les ministères de l’Égalité raciale, des Droits humains et des Droits des femmes.

À présent c’est l’agence publique de communication qui est en ligne de mire.

Le gouvernement du président Michel Temer, ex-vice-président sous le gouvernement de Dilma Rousseff, a été confronté à des manifestations massives, dont certaines ont été durement réprimées par les forces de l’ordre.

Largement critiqué pour avoir tourné le dos au programme du gouvernement démocratiquement élu, il a invité au sein de son cabinet huit politiciens qui font l’objet d’une enquête dans le cadre d’un vaste scandale de pots-de-vin désormais surnommé l’affaire ‘Car-Wash’.

Élue en 2014 à 54,5 millions de suffrages, Dilma Rousseff a finalement été démise de ses fonctions par un groupe de 61 sénateurs, le 31 août dernier. Les opposants de Dilma Rousseff qui avaient tramé sans relâche la procédure de destitution de la présidente depuis leur défaite électorale se sont appuyés sur les médias commerciaux pour accuser, traduire en justice et juger la première femme élue à la présidence du pays.

Il est d’autant moins surprenant que l’agence de télédiffusion publique se soit convertie en cible.

Le jour même où le gouvernement provisoire est entré en fonction, le 12 mai, il a procédé à un remaniement de fond en comble de la structure du gouvernement fédéral. Outre l’élimination de divers ministères, Temer a limogé Ricardo de Melo, PDG de l’agence publique brésilienne de communication (Empresa Brasil de Comunicação – EBC).

Attendu qu’il avait été élu à son poste par ses pairs, conformément aux statuts de l’entreprise, le juge de la Cour suprême, Dias Toffoli, a accordé une injonction prévoyant le maintien de Melo dans ses fonctions. Nonobstant, le 2 septembre, le gouvernement l’a de nouveau limogé, invoquant cette fois la Disposition provisoire (DP) 744/2016.

Cette même disposition modifiait les statuts de l’EBC en autorisant la présidence à désigner le PDG de l’entreprise, contraignant par-là même Toffoli à révoquer son injonction. D’autre part, le Conseil de surveillance – charger de veiller à la supervision gouvernementale et la participation publique – a été supprimé.

« La DP est terrible », a déclaré Jonas Valente, journaliste de l’EBC et président du Syndicat des journalistes professionnels du district fédéral (Sindicato dos Jornalistas Profissionais do Distrito Federal – SJPDF). « Elle fait table rase des deux principaux mécanismes assurant le caractère public de l’entreprise : Le Conseil et le mandat du PDG. C’est une attaque frontale contre la participation et l’autonomie, qui convertit l’EBC en une entreprise à la solde du gouvernement. »

La constitution fédérale du Brésil approuvée en 1988 au terme de 21 ans de dictature militaire exige l’existence d’un système de communication public. Or ce n’est qu’en 2008, 30 années plus tard, que le Congrès a passé la Loi nº 11.652 prévoyant la création de l’EBC.

« Simultanément, le Conseil de surveillance fut établi pour défendre les principes publics et assurer le maintien par l’entreprise d’une approche fondée sur l’intérêt public plutôt que sur l’intérêt commercial ou gouvernemental. Ces principes incluent la ‘régionalité’, la diversité, le pluralisme et l’accessibilité », explique Rita Freire, présidente du Conseil de surveillance de l’EBC.

Elle signale par ailleurs que dès la nomination par le gouvernement d’un nouveau PDG, ce dernier a suspendu tous les programmes qui incluaient des débats, des analyses et une réflexion critique.

D’après le SJPDF, le budget de l’entreprise a été réduit de 170 millions de reais (52,3 millions USD), en plus d’une coupe de 1 milliard de reais (307,6 millions USD) sur le fonds fédéral qui le soutient.

« Les travailleurs sont persécutés pour leurs convictions personnelles. Nous devons privilégier des processus de sélection transparents et démocratiques qui obéissent à des critères clairs », propose Valente.

Les travailleurs de l’EBC réunis en assemblée nationale le 4 septembre ont émis une motion contre la Disposition provisoire, les coupes budgétaires et les persécutions politiques.

« Nous défendons l’EBC en vertu de la loi, au même titre que l’autonomie du système de diffusion public et la réintégration immédiate du Conseil de surveillance… en accord avec les modèles les plus consacrés de médias publics à l’échelle mondiale », est-il indiqué dans la motion. Ils font aussi pression sur les députés élus pour qu’ils empêchent l’entrée en vigueur de la disposition.

Le Congrès pourrait encore rejeter la DP et réaffirmer la nature publique de l’EBC.

Cependant, Freire craint qu’il ne faille s’attendre à une rude bataille, dès lors que la majorité du pouvoir législatif est actuellement alignée avec le gouvernement.

« Ce Conseil a été nommé par la société brésilienne, et non pas par le gouvernement, pour défendre l’intérêt public. Et c’est ce que nous ferons. »