« Avec la fermeture de Dadaab, il ne nous reste pas d’autre option que de retourner en Somalie »

« Avec la fermeture de Dadaab, il ne nous reste pas d'autre option que de retourner en Somalie »

Abdirehman Abdi, pictured here at the Kenya Methodist University campus in Nairobi, is one of 260,000 Somali refugees facing voluntarily repatriation from the Dadaab refugee complex by 2018.

(Nathan Mabeya)
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Les étudiants universitaires Abdirehman Abdi et Sahro Mohamed Ibrahim sont arrivés au Kenya en tant que réfugiés depuis la Somalie au début des années 1990. Ils ont passé le plus clair de leur vie à Dadaab, le plus grand centre de réfugiés du monde, situé dans le comté de Garissa, dans la partie orientale du Kenya.

Aujourd’hui, au lieu d’être mus par l’espoir d’un avenir prometteur, ils sont guettés par l’incertitude que suscite l’annonce de la fermeture prochaine du centre de Dadaab.

En novembre 2013, suite à un attentat terroriste meurtrier perpétré dans le centre commercial Westgate, à Nairobi, les ministères des Affaires étrangères somalien et kenyan sont convenus, d’un commun accord avec le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR), de faciliter le rapatriement de tous les ressortissants somaliens vivant dans le camp de Dabaab. La raison invoquée étant l’inquiétude du Kenya concernant la sécurité nationale.

L’attentat contre l’université de Garissa en avril 2015, à l’issue duquel l’organisation terroriste al-Shabaab a revendiqué le meurtre de 148 étudiants, n’a fait qu’affermir la détermination du gouvernement kenyan à passer à l’action. Le vice-président William Ruto a comparé l’attaque à l’attentat du 11 septembre et annoncé que tous les réfugiés encore présents dans le camp de Dadaab devraient être rapatriés pour septembre 2015.

Bien que l’échéance ait été dépassée et que le gouvernement kenyan ait, depuis lors, admis qu’il serait trop difficile de tenir la promesse d’une évacuation des camps pour novembre 2016, le spectre de l’annonce de la fermeture du complexe de Dadaab continue de peser sur les près de 260.000 réfugiés somaliens qui occupent toujours ses cinq camps.

Abdirehman, 28 ans, étudiant en informatique à la Kenya Methodist University, à Nairobi, avait cinq ans quand il est arrivé dans le camp en 1991 – année de l’établissement de Dadaab en tant que solution provisoire pour le logement de 90.000 personnes qui fuyaient la guerre civile en Somalie. Il a fini son enseignement secondaire à Dadaab et passé les examens d’entrée pour l’université.

« J’ai des parents réfugiés établis à l’étranger qui financent mes études universitaires », confie Abdi lors d’un entretien avec Equal Times. « Mon espoir, à présent, est de trouver un emploi dans une ONG en Somalie une fois que j’aurai terminé mes études, pour pouvoir aider mes compatriotes au pays car le camp va être fermé et le gouvernement kenyan ne nous délivre pas de permis pour travailler ici. »

Sahro, 26 ans, est étudiante en commerce à la Kenyatta University, à Nairobi. Elle affirme, elle aussi, vouloir rentrer en Somalie une fois qu’elle aura son diplôme car, comme l’explique le porte-parole du ministère de l’Intérieur Mwenda Njoka : « La politique du Kenya concernant les réfugiés est d’accorder un permis de séjour temporaire aux réfugiés et de leur permettre de rentrer chez eux ».

Concrètement, cela signifie que la plupart des réfugiés sont autorisés à vivre dans les camps pour réfugiés uniquement, à moins qu’ils ne nécessitent un traitement médical ou qu’ils ne fassent des études universitaires. À présent, il est pratiquement impossible pour un réfugié d’obtenir le droit de travailler légalement au Kenya.

« Maintenant que le gouvernement fait pression pour la fermeture de Dadaab, il ne nous reste pas d’autre option que de retourner en Somalie. »

« La vie en Somalie est très dure en raison de la situation d’insécurité. Dadaab est un endroit paisible, un meilleur endroit où vivre pour les réfugiés que la perspective d’un rapatriement en Somalie. » Comme Abdirehman, toutefois, Sahro espère pouvoir faire partie de la génération qui contribuera à amener la paix et la stabilité dans son pays d’origine.

 

Les rapatriements suspendus

D’après Duke Mwancha, un porte-parole de l’HCNUR au Kenya, depuis juin 2016, près de 25.000 réfugiés ont été volontairement réinstallés dans les 12 régions de Somalie où le gouvernement somalien, l’HCNUR et diverses ONG leur ont fourni leur soutien.

Les réfugiés qui se portent volontaires en vue d’un rapatriement en Somalie ont droit au transport en autobus vers une destination préalablement convenue, de même qu’à une indemnité de 400 USD. « L’HCNUR propose également aux rapatriés volontaires trois mois de rations alimentaires, ainsi qu’une aide à la scolarisation des enfants durant au moins six mois », indique Mwancha.

« L’objectif est de rapatrier 150.000 réfugiés d’ici la fin de l’année », explique Mwancha lors d’un entretien avec Equal Times. Le processus de rapatriement volontaire, dit-il, devrait toucher à sa fin en 2018. Celles et ceux qui refusent de retourner seront réinstallés dans un pays tiers, selon l’HCNUR. Les réfugiés non somaliens seront, quant à eux, relogés dans le camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord du pays.

D’autre part, environ 40.000 citoyens kenyans d’origine somalienne seraient également au nombre des habitants du camp de Dadaab (essentiellement parce qu’ils y reçoivent des rations alimentaires gratuites, selon un rapport de la Danish Refugee Council).

Mwancha explique que tous les efforts seront mis en œuvre afin d’intégrer ces personnes au sein des communautés locales. Selon certaines ONG, toutefois, ces rapatriements constitueraient une violation de la Convention sur les réfugiés de 1951.

Des réfugiés du camp de Dadaab interrogés par des enquêteurs de l’ONG Human Rights Watch (HRW) ont indiqué qu’ils n’avaient à aucun moment été informés des recours possibles pour pouvoir rester au Kenya légalement. Certains d’entre eux ont affirmé avoir été intimidés et dissuadés au motif qu’ils perdraient l’indemnité en espèces offerte par l’ONU s’ils étaient déportés au lieu d’être rapatriés volontairement.

« Les autorités kenyanes n’offrent pas aux réfugiés somaliens de choix réel entre rester ou partir, alors que l’agence de l’ONU pour les réfugiés manque de fournir aux gens des informations fiables sur les conditions de sécurité en Somalie », a déclaré dans un communiqué de presse le directeur d’HRW chargé des droits des réfugiés, Bill Frelick. « On peut d’aucune façon considérer que ces retours soient volontaires », ce qui va à l’encontre du droit international. »

Cependant, le porte-parole du gouvernement, Mwenda Njoka, réfute ces accusations en déclarant à Equal Times que le rapport d’HRW manque de fournir des preuves concluantes à l’appui de ses assertions.

« Selon le rapport, seulement 100 réfugiés sur près de 250.000 à Dadaab ont été interviewés. Ce nombre est trop petit pour parvenir à de telles conclusions », dit-il.

« Contrairement à ce qu’affirme le rapport, pas un seul réfugié n’est contraint à rentrer chez lui. »

 

Dadaab Voices

Aux côtés d’autres jeunes réfugiés vivant dans le camp de Dadaab, Abdirehman et Sahro font partie d’un groupe de jeunes qui se fait appeler Dadaab Voices, qui a pour vocation de connecter les résidents de Dadaab au monde extérieur.

« L’initiative a vu le jour au début de cette année. Notre objectif premier est de partager les histoires vécues de Dadaab, principalement via Facebook et Twitter », indique Abdirehman. « En ce moment-même, tout un tas de choses sont en train de se produire à Dadaab mais dont on n’entend pas mot parce que l’HCR et d’autres ONG ne veulent pas que ces histoires soient racontées. »

Des problèmes qui, selon lui, vont des mauvais traitements infligés aux réfugiés par les personnels d’ONG à l’insécurité générale, en passant par la dégradation considérable des services et équipements des camps (comme l’eau courante), à l’heure où le gouvernement se prépare à procéder à leur fermeture définitive.

Cependant, la priorité de Dadaab Voices est, selon lui, de combattre la désinformation qui est répandue parmi les habitants du camp concernant le processus de rapatriement.

« À titre d’exemple, pas tout le monde au camp n’était au courant de la procédure de vérification de la population [ndlr : Un recensement qui a conclu que le camp de Dadaab abritait 278.000 réfugiés dont 95% de ressortissants Somaliens qui seront relocalisés en Somalie] qui était en train d’être entrepris par l’HCR. Ceux et celles qui n’ont pas pris part à la vérification ont vu leur carte de rationnement désactivée et ont depuis lors le plus grand mal à survivre. »

Un autre problème, d’après Sahro, est que quand des résidents de Dadaab décident de rentrer en Somalie, l’HCNUR ne leur demande pas de s’expliquer sur le pourquoi de leur décision.

D’ex-résidents du camp se sont plaints d’avoir été peu informés de la situation en Somalie, ce qui, toujours selon Sahro, tiendrait au fait que le principal objectif consiste à augmenter le nombre de personnes rapatriées, quand bien même il est arrivé qu’ayant trouvé les conditions en Somalie tellement difficiles, des gens aient choisi de revenir à Dadaab.

Mais même si la plupart des réfugiés ont peur de rentrer en Somalie, selon Abdi, ils ont aussi peur d’être arrêtés et déportés s’ils restent au Kenya. Ils acceptent à contrecœur de rentrer au pays parce qu’ils considèrent cela comme leur seule option.