Aux États-Unis, le personnel des hôtels et des casinos combat la violence et le harcèlement

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Lorsque Kasey Nalls a débuté comme serveuse dans un casino alors qu’elle avait à peine une vingtaine d’années, elle a fait comme ses collègues plus expérimentées lorsque des clients lui faisaient des blagues douteuses et des remarques plus crues, et allaient jusqu’à des attouchements.

Kasey Nalls explique que ses collègues « pensaient évidemment que rien ne serait fait » si elles se plaignaient.

« Tu gères et tu continues de travailler. »

Une dizaine d’années après avoir obtenu son premier emploi de serveuse, Kasey Nalls figurait parmi les 487 femmes interrogées sur le harcèlement et la violence sexistes au travail dans les hôtels et les casinos de Chicago et de ses environs, dans le cadre d’une enquête menée par une section locale d’UNITE HERE, un syndicat qui représente les travailleurs de l’hôtellerie et industries connexes aux États-Unis et au Canada.

D’après les résultats de l’enquête publiée dans « Hands Off, Pants On », un rapport que le syndicat a publié cet été, environ six personnes employées dans des hôtels sur dix et huit sur dix pour les casinos ayant répondu au sondage ont rapporté des cas de harcèlement sexuel de la part de clients. La moitié des femmes de ménage ont déclaré qu’elles avaient déjà eu affaire à des clients qui leur ouvrent la porte nus, qui s’exhibent ou qui leur montrent leur sexe.

Kasey Nalls et ses collègues ont expliqué qu’elles trouvaient qu’être écoutées les confortait. « Personne ne leur a jamais demandé comment elles se sentaient. »

De plus en plus de femmes parlent des dangers auxquelles elles sont confrontées au travail. Il émerge alors de nouvelles stratégies et de nouveaux partenariats pour combattre le problème resté dans l’ombre.

Dans l’un des cas les plus visibles de violence au travail, en 2011, Nafissatou Diallo, une femme de ménage d’un hôtel de New York, a accusé Dominique Strauss-Kahn, un important homme politique français, alors à la tête du Fonds monétaire international, de l’avoir agressée dans sa suite. Les accusations, qui incluaient des tentatives de viol et d’abus sexuel, ont finalement été abandonnées et en 2012, Nafissatou Diallo et Dominique Strauss-Kahn sont convenus d’une résolution extrajudiciaire dont les termes n’ont jamais été rendus publics.

Si l’affaire a eu le mérite que l’on s’intéresse à la question, explique Sarah Lyons, analyste de recherche chez UNITE HERE, elle a aussi permis de se rendre compte que si les anecdotes ne manquaient pas, peu de données avaient en revanche été collectées sur l’ampleur du problème.

 

Pourquoi les victimes se taisent-elles ?

Dans « Hands Off, Pants On », Sarah Lyons écrit que « le statut social et économique des clients masculins qui fréquentent les hôtels, les casinos et les centres de convention contraste souvent radicalement avec celui des femmes qui y travaillent ».

Ce déséquilibre peut empêcher les femmes de se faire connaître, notamment parce qu’elles craignent d’être considérées comme moins crédibles que les hommes qu’elles accusent.

À peine un tiers des femmes interrogées par UNITE HERE à Chicago ont dit qu’elles avaient dénoncé un ou des cas de harcèlement. Nombre de celles qui ne l’ont pas fait ont expliqué s’être tues parce que rien n’avait changé lorsque d’autres avaient parlé ou parce que le harcèlement de la part de clients était devenu tellement courant qu’elles s’y étaient habituées.

Tous les ans de 2010 à 2015, la Commission sur l’égalité des chances en matière d’emploi des États-Unis (EEOC) a reçu entre 6.000 et 8.000 plaintes pour harcèlement sexuel – pour la plupart de femmes. Christine Saah Nazer, une porte-parole de la Commission, reconnaît que « les chiffres ne sont pas très élevés. »
« Nous pensons que cela est lié au fait que de nombreux cas de harcèlement sexuel ne sont pas rapportés », explique-t-elle.

« Ce problème peut toucher des femmes qui travaillent dans des exploitations agricoles comme dans des salles de réunion, mais dans les deux cas, il peut être difficile de se décider à se faire connaître et à témoigner, de crainte de perdre son emploi, de ternir sa réputation ou pire de subir des représailles de la part du harceleur. »

L’EEOC cite des études américaines qui ont démontré qu’en tout, 25 à 85 % des femmes ont subi du harcèlement sexuel au travail. Les chercheurs expliquent que cette large fourchette reflète des différences entre industries, dans la façon dont les questions sont formulées et dans la perception de ce qui constitue ou pas un abus.

À Chicago, Kasey Nalls voudrait que les harceleurs récidivistes soient empêchés de rentrer dans les casinos, connus pour interdire l’accès aux personnes accusées de tricher aux tables de jeu.

« Si un client vole le casino, il ne le laissera plus revenir », explique Kasey. « Donc, s’il me vole ma dignité, pourquoi serait-il autorisé à revenir ? »

 

Agir

Au début de cette année, le Service Employees International Union (SEIU) a présenté une proposition qui est devenue une loi en Californie qui, dès 2019, exigera des entreprises fournissant des services de nettoyage industriel qu’elles veillent à ce que les superviseurs et les concierges soient formés pour combattre le harcèlement et les abus sexuels. Dans le cadre de la campagne du syndicat, « End Rape on the Night Shift », une veillée a été organisée dans l’immeuble du gouvernement de l’État de Californie au cours de laquelle des femmes concierges ont pu échanger leurs expériences de violence sexiste au travail.

À Seattle, UNITE HERE a soutenu une proposition connue comme l’Initiative 124 qui a été approuvée par les électeurs le 8 novembre. Elle exige que les hôteliers de la ville prévoient des boutons d’alarme pour les femmes de ménage et fournissent à leurs clients des informations sur les lois contre le harcèlement sexuel.

Toutefois, la Seattle Hotel Association s’est opposée à cette mesure, s’inquiétant qu’un client accusé de harcèlement puisse être puni sans procédure légale, invoquant des règles difficilement applicables sur les lieux de travail et estimant que certaines mesures étaient destinées à promouvoir l’adhésion syndicale plutôt de la sécurité au travail.

La présidente de l’Association, Jenne Oxford, a expliqué que si la proposition de Seattle avait ouvert une importante discussion, elle et d’autres directeurs auraient préféré pouvoir en discuter avec les syndicats, avec les représentants élus et avec d’autres parties prenantes pour résoudre ces questions de sécurité du personnel.

Elle a encore déclaré que de nombreux hôtels ont déjà équipé leurs femmes de ménage de dispositifs de communication, comme des boutons d’alarme, et pris des mesures pour garantir que le personnel et les clients ne soient pas au même moment dans les chambres. Néanmoins, Jenne Oxford a salué la suggestion que les clients – et pas uniquement les employés – soient informés des lois relatives au harcèlement sexuel et à la violence.

Pour Fran Sepler, spécialisée dans les formations anti-harcèlement, cela fait des années que certaines entreprises se sont sérieusement emparées du problème. Mais, elle ajoute qu’il « reste des sociétés où des mesures ont peut-être été mises en place, mais si je demande à un employé de quoi il s’agit, il ou elle sera incapable de me répondre ».

Certains employeurs peuvent se montrer complaisants, estimant qu’il n’y a pas de problème parce qu’il y a si peu de victimes qui se font connaître, poursuit Fran Sepler.

 

Aux niveaux national et international

En 1986, une décision de la Cour suprême a fait date en établissant que toute forme de harcèlement sexuel grave ou suffisamment répandu pour créer un environnement de travail hostile constituait une violation des droits civils. La Commission sur l’égalité des chances en matière d’emploi (EEOC) a gagné plusieurs millions de dollars pour des travailleurs victimes de harcèlement sexuel et de violence au travail, et a également obligé des employeurs à prévoir des formations anti-harcèlement et à accepter que des surveillants externes viennent vérifier qu’ils respectent les mesures.

En 2015, la Commission a établi un groupe de travail sur le harcèlement alors qu’un rapport publié plus tôt dans l’année réclamait le renforcement des efforts de prévention.

« Nous estimons qu’il est préférable d’éviter que la discrimination ne se produise plutôt que de réparer ses conséquences », a expliqué la porte-parole de l’EEOC, Christine Saah Nazer, aux journalistes d’Equal Times.

Le groupe de travail a soulevé la possibilité de s’inspirer de campagnes menées sur les campus des universités pour encourager toute personne témoin d’un cas de harcèlement, même sans en être la victime, à le dénoncer pour que les auteurs commencent à comprendre que la société ne détournera pas le regard.

Lors de la campagne pour la Maison-Blanche, une vidéo du président élu, Donald Trump, où il parle de harceler sexuellement des femmes, a été publiée et a été commentée partout dans le monde. Alors qu’on lui demande de commenter les propos de Trump, Christine Saah Nazer inspire profondément avant d’expliquer qu’elle a été consternée par le nombre de personnes qui le défendent ou qui trouvent des excuses à ses propos.

« C’est un retour en arrière. Cela fait une génération qu’il est inacceptable de parler des femmes en des termes si obscènes et dégradants », déclare-t-elle. « Il n’y a pas à remettre ça en question. »

En cherchant des solutions, le groupe de travail de l’EEOC a aussi examiné des modèles comme celui mis au point par la Coalition des travailleurs Immokalee qui a commencé à organiser les travailleurs agricoles de Floride dans les années 1990.

La Campagne pour une alimentation équitable a trouvé un écho auprès des consommateurs et les acheteurs se tournent vers des producteurs qui se sont engagés à mettre un terme au travail forcé, au travail des enfants ou à la violence, y compris aux abus sexuels, dans leur exploitation.

Abby Lawlor, une chercheuse pour UNITE HERE à Seattle, reconnaît aux travailleurs agricoles le mérite d’avoir sensibilisé pour la première fois sur ce point. Ils ont été suivis par les concierges et aujourd’hui par le personnel hôtelier dans un sursaut qui traverse tous les secteurs, explique-t-elle.

« C’est génial qu’il y ait maintenant cette nouvelle impulsion », continue-t-elle.

Au niveau international, les pressions exercées par le Groupe des travailleurs de l’Organisation internationale du Travail (OIT) ont abouti, l’année dernière, au lancement d’une discussion en vue de l’élaboration d’une norme sur la violence, surtout la violence sexiste, au travail. Dans les années à venir, l’OIT va recueillir des données de la part des gouvernements, des employeurs et des organisations syndicales à propos de l’ampleur du problème, une étape supplémentaire de son processus d’élaboration d’une convention internationale.

Pour Lisa McGowan, experte sur l’égalité de genre chez Solidarity Center, les syndicats et les juristes peuvent fournir un accompagnement social aux victimes, créer des mécanismes pour répondre aux cas particuliers et rassembler des idées et des données en vue de débats politiques publics plus vastes.

Le harcèlement sexuel et les abus sexuels sont des « questions de sécurité liées au lieu de travail », poursuit Lisa McGowan dont l’organisation défend le droit à la liberté syndicale des travailleurs dans le monde entier. « C’est aussi une question liée aux droits humains fondamentaux. »