États-Unis : Les communautés mexicaines se cramponnent face à l’administration Trump

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De longues années d’efforts d’organisation au sein de la communauté immigrée mexicaine de South Omaha, dans le Nebraska, ont payé en ce mois de novembre 2016 quand l’ensemble des 18 circonscriptions du secteur 4 (Ward 4) ont voté à deux contre un contre Donald Trump. Alors que l’État de Nebraska a viré au rouge (en votant pour Trump et le Parti Républicain), la ville ouvrière d’Omaha, la principale ville du Nebraska, a penché en faveur du bleu (en votant pour Hilary Clinton et le Parti Démocrate).

Toujours est-il que grâce au système du collège électoral, le 20 janvier 2017, Trump sera formellement investi dans ses fonctions de président des États-Unis alors qu’il a remporté 1,7 million de votes de moins que sa rivale, Hilary Clinton.

Les résultats du scrutin d’Omaha mettent en évidence, tour à tour, le fruit de longues années d’efforts d’organisation au sein des communautés immigrées aux États-Unis et la vulnérabilité de ces mêmes communautés sous une administration Trump.

« Nous avons bâti des institutions où les immigrés acquièrent du pouvoir au milieu d’une culture corporatiste », indique Sergio Sosa, directeur du Heartland Workers Center du Nebraska.

Il décrit 20 années d’histoire de l’organisation au sein des communautés et des entreprises. « Dans les usines de conditionnement de viande, nous avons résisté aux descentes des agents de l’immigration sous les administrations Clinton et Bush et avons organisé des marches et des manifestations pour la réforme de l’immigration. Huit années durant, nous nous sommes battus contre les déportations tout en construisant, arrondissement par arrondissement, notre base de pouvoir sous le président Obama. »

Au-delà d’Omaha, le centre a aidé les Latinos à s’organiser à Schuyler, une des nombreuses localités du Midwest où les immigrés constituent désormais la majorité de la main-d’œuvre dans l’industrie de la viande. Dans beaucoup de ces villes, ils représentent désormais la majorité de la population.

« Mais le fait est que les habitants de Schuyler ont très peur de ce que la victoire de Trump peut leur réserver, et il en va de même pour la population de South Omaha », avertit Sosa. « C’est en effet une des grosses contradictions auxquelles nous nous affrontons – alors que nous avons acquis un degré de pouvoir à l’échelon local, c’est du côté des résultats des élections nationales que le danger s’est considérablement accru. »

 

Le danger tient plus aux politiques qu’à la rhétorique

Pendant la campagne électorale américaine, Trump a acquis de la notoriété pour avoir taxé les immigrés mexicains de « criminels » et de « violeurs ». Il s’est aussi couvert d’infamie en promettant d’ériger un « mur impénétrable, costaud, grand, puissant et beau » le long des quelque 3200 km de frontière entre les États-Unis et le Mexique.

Or le fait est que ses propositions politiques sont beaucoup plus dangereuses que ses insultes. Dans le cadre de son « Plan d’action sur 100 jours pour rendre sa grandeur à l’Amérique », Trump promet dès le premier jour de son mandat « le début de l’expulsion du pays de plus de 2 millions d’immigrés clandestins criminels ».

Bien qu’il ait assuré que cette mesure se limiterait aux « criminels », l’annonce fait néanmoins planer le spectre de déportations massives. Dans une société qui affiche l’un des taux d’incarcération les plus élevés du monde, les crimes sont souvent définis de façon très large. Par le passé, des procureurs fédéraux ont poursuivi des travailleurs au pénal pour avoir communiqué un numéro de sécurité sociale fictif à un employeur lors de l’embauche. Des accusations policières d’appartenance à des gangs ont également servi de motif d’arrestation et de déportation.

Certains des politiciens anti-immigration les plus extrêmes qui conseillent à présent le président Trump sont allés jusqu’à affirmer que le simple fait d’être sans papiers constitue, en soi, un crime. De fait, en 2006, le congressiste républicain James Sensenbrenner a même convaincu la Chambre des représentants de passer un projet de loi, HR 4437, en vertu duquel le simple fait de se trouver en territoire américain sans un permis de séjour légal constituerait un délit fédéral. Le projet de loi a provoqué une vague de manifestations dans tout le pays, qui a empêché sa promulgation. À Schuyler, trois mille personnes – soit près de la moitié de la population – sont descendues dans la rue.

D’autre part, la politique anti-immigration de Trump sera mise en œuvre par le Sénateur de l’Alabama, Jeff Sessions, qui a été nommé Procureur général au sein de la nouvelle administration. Ce climatosceptique dont la carrière a été hérissée d’allégations de racisme se montre farouchement intraitable sur la question de l’immigration : L’année dernière déjà, il proposait une peine de prison de cinq ans pour tout immigré sans papiers interpellé dans le pays suite à une première déportation, une mesure qui aurait le soutien de Trump.

Sous le président Obama, les États-Unis ont déporté plus de deux millions de personnes. Des centaines de milliers de ces déportés ont des enfants et de la famille aux États-Unis et ont cherché à les rejoindre. En vertu de cette nouvelle proposition de loi, ces mêmes personnes rempliraient les prisons.

Un autre des engagements du « premier jour » du mandat de Trump est « d’annuler l’ensemble des mesures, protocoles et décrets présidentiels inconstitutionnels émis par le président Obama ». Cette promesse fait référence aux attaques émanant de Trump et, a fortiori, des idéologues des médias de droite qui conseillent actuellement son équipe de transition sur le décret présidentiel d’Obama qui accorde un statut légal limité et provisoire aux jeunes immigrés sans papiers introduits aux États-Unis par leurs parents (Deferred Action for Childhood Arrivals ou DACA).

Les jeunes immigrés qui ont acquis ce statut dans le cadre du DACA – surnommés « Dreamers » (rêveurs) – ont constitué l’un des secteurs les plus actifs du mouvement pour les droits des immigrés aux États-Unis.

Le décret d’Obama était lui-même le produit de leurs manifestations publiques, de leurs actions en défense des jeunes personnes détenues en vue de la déportation et du sit-in qu’ils ont organisé dans les bureaux d’Obama à Chicago au cours de sa campagne de réélection en 2012.

À Omaha, beaucoup des jeunes organisateurs qui ont fait du démarchage au porte à porte pour enrôler les électeurs des circonscriptions du secteur 4 (Ward 4) sont des bénéficiaires du DACA qui étudient dans les universités locales. L’annulation « de toutes les mesures exécutives inconstitutionnelles » non seulement leur ôterait leur statut légal, attendu qu’ils seraient obligés de communiquer leur adresse et leurs données personnelles aux pouvoirs publics pour obtenir l’ajournement de leur déportation, mais ces jeunes pourraient de surcroît se convertir en une cible facile des mesures exécutives de Trump.

 

Le glas des villes sanctuaires

Durant son premier jour à la présidence, Trump a également annoncé qu’il couperait les fonds fédéraux aux villes sanctuaires. Plus de 300 villes aux États-Unis ont adopté des politiques qui stipulent expressément qu’elles n’ordonneront pas d’arrestations ou de poursuites contre des personnes pour le simple fait qu’elles ne soient pas en possession de papiers en règle. Leurs mesures interviennent en réponse à une politique fédérale en vigueur depuis deux décennies à travers laquelle les autorités migratoires ont cherché à rendre la police responsable de l’arrestation et la détention de personnes sur la base de leur statut migratoire.

De nombreuses villes et même certains États se sont retirés de ces programmes fédéraux, notamment le tristement célèbre ‘287.g program’. Le décret proposé par Trump annulerait l’octroi d’importants fonds fédéraux pour le logement, les soins médicaux et d’autres services sociaux aux villes qui refuseraient de coopérer aux opérations de détention et de déportation. En sa qualité de Procureur général, il faut s’attendre à ce que Sessions, qui a critiqué le président Obama pour ne pas avoir procédé à suffisamment de déportations, exige aux polices locales de coopérer avec les autorités fédérales en vue de la mise à exécution des lois migratoires.

Suite à l’élection, beaucoup de villes se sont empressées d’annoncer qu’elles ne se laisseraient pas intimider par les menaces. Ed Lee, le maire de San Francisco, ville qui reçoit annuellement à hauteur de 1,4 milliards de fonds fédéraux, a déclaré : « Nous resterons toujours une ville sanctuaire ».

Le président pro tempore du Sénat de Californie [NDLR : Un sénateur qui est choisi pour présider sur le Sénat en l’absence du vice-président], Kevin de Leon, et le président de l’Assemblée de la Californie, Anthony Rendon, ont émis une déclaration conjointe où ils promettent : « Nous n’allons pas permettre qu’une élection annule les progrès accomplis au fil de plusieurs générations, et ce alors que nous nous trouvons à l’apogée de notre histoire au plan de la diversité, des avancées scientifiques, du rendement économique et du sentiment de responsabilité globale. »

Cependant, la Californie est un État où le Parti républicain n’exerce pas de fonctions au niveau de l’État et a perdu pratiquement tout son pouvoir dans les principales villes. À Omaha, selon Sosa, la victoire de Trump suscite la crainte des politiciens démocrates. « Les mêmes groupes qui se sont rendus aux urnes à South Omaha devront à présent reconstruire la coalition qui s’est battue pour des mesures comme le permis de conduire pour les sans papiers », a-t-il déclaré. Ils devront se réunir avec les législateurs pour leur demander de défendre activement les communautés immigrées contre les attaques fédérales qui semblent imminentes.

« Les gens ici doivent se rappeler du pouvoir qu’ils ont construit au niveau local et mettre celui-ci à contribution », affirme Sosa, « même face à une défaite nationale »

D’autres groupes, en particulier les dreamers, voient l’action directe dans la rue comme une partie essentielle du travail en défense des communautés. Dans le cadre de la campagne pour le DACA, les manifestations de jeunes aux quatre coins du pays ont visé à empêcher les déportations en formant des barrages humains pour bloquer les bus transportant les prisonniers jusqu’aux centres de détention. Dans les centres de détention eux-mêmes, les détenus ont organisé des grèves de la faim avec le soutien de militants qui campaient devant les portails.

Dans l’Arizona, le sheriff Joe Arpaio – qui a défrayé la chronique en ordonnant à ses adjoints de procéder à l’arrestation de personnes sans papiers et de les faire défiler à travers les rues jusqu’au camp de détention - a finalement perdu sa réélection en novembre. Carlos Garcia, directeur exécutif de Puente, une organisation des droits des immigrés à Phoenix, a déclaré : « Les gens qu’Arpaio a ciblés lui ont rendu la monnaie de sa pièce. Il a perdu son pouvoir dès l’instant où les sans-papiers ont cessé d’avoir peur. »

Arpaio, qui avait pris la parole en faveur de Trump lors de la Convention nationale républicaine, a tenté de tirer parti de ce soutien pour briguer un nouveau mandat mais a été battu par un mouvement populaire bâti au fil de longues années de mobilisation à l’échelon local. L’activiste Parris Wallace a déclaré lors d’un entretien avec Alternet : « Nous sommes allés à la rencontre des communautés latinos aux quatre coins du pays. Nous nous sommes adressés aux classes ouvrières blanches, aux étudiants et aux personnes dont il semblait peu probable qu’elles se rendent aux urnes. Nous sommes allés à la rencontre des personnes auxquelles les politiciens ne daignent pas consacrer leur temps. »

Après l’élection, des marches et des manifestations contre la victoire électorale de Trump ont été organisées dans les principales villes aux quatre coins des États-Unis. Des grèves des lycéens et des universitaires ont également eu lieu. Le soutien des communautés en faveur des personnes menacées de déportation a constitué un des facteurs notables de ces actions, au même titre que les mouvements protestataires menés par les immigrés sans papiers eux-mêmes.

D’après Maru Mora Villapando, une des organisatrices des grèves de la faim et des manifestations qui ont eu lieu au cours des quatre dernières années dans le centre de détention de Tacoma, dans l’État de Washington, plutôt qu’attendre que Trump ne déploie son offensive, les organisateurs se doivent d’entreprendre sans plus tarder des actions de résistance. Cela veut dire faire pression sur l’administration Obama pour qu’il démantèle autant que possible le dispositif de détention et de déportation avant son départ de la Maison Blanche. « Ce que nous ne voulons pas c’est qu’il confie simplement les clés de cet édifice dans l’état où il se trouve actuellement », avertit-elle.