Répression d’une grève des travailleurs du textile – signe d’un durcissement en Égypte

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Les travailleurs de l’entreprise égyptienne Misr Spinning and Weaving Company (filature et tissage) ont été contraints de mettre fin à une grève de 48 heures, le 8 février, suite à l’arrestation de cinq employées et aux menaces, non seulement de nouvelles arrestations, mais aussi de licenciements de travailleurs en grève.

Près de 3.000 travailleurs du textile dans l’usine d’el-Ghazl, située dans la ville industrielle d’el-Mahalla el-Kubra, se sont mis en grève pour réclamer le paiement de prestations sociales.

« Nous avons droit à 600 livres égyptiennes (approximativement 33 dollars US) à titre de prime de développement [celai fait partie d’une série de primes accordées aux travailleurs du secteur public en compensation de leur salaire de base faible, ndlr] or nous ne recevons que 360 EGP (environ 19 dollars) », a indiqué une travailleuse d’el-Ghazl qui a accepté de parler à Equal Times sous couvert d’anonymat. « Certains de nos collègues ont bénéficié de sentences du tribunal ordonnant à l’entreprise de leur verser la prime de 600 EGP mais ces ordres n’ont pas encore été exécutés », a-t-elle expliqué.

Misr Spinning and Weaving Company est l’une des plus grandes entreprises textiles d’Égypte. Elle emploie plus de 20.000 travailleurs, dans huit usines, et relève de l’autorité de la Cotton and Textiles Holding Company, une société de portefeuille appartenant à l’État égyptien.

Depuis la présidence d’Hosni Moubarak, les travailleurs de l’entreprise Misr ont joué un rôle important au sein du mouvement syndical en Égypte.

En décembre 2006, les travailleurs d’el-Ghazl se sont mis en grève, inspirant par leur action d’autres mobilisations ouvrières aux quatre coins du pays, en réaction aux bas salaires, au coût élevé de la vie et aux réformes du marché du travail. La grève des effectifs de l’entreprise Misr Spinning and Weaving Company, en avril 2008, est largement considérée comme le prélude à la chute d’Hosni Moubarak en février 2011.

En 2013, le gouvernement a introduit de nouvelles lois restreignant les manifestations et les grèves en Égypte, qui ont conduit à l’incarcération de milliers de personnes. Depuis l’accession au pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi, en 2014, la contestation sous toutes ses formes - y compris les grèves – a fait l’objet d’une répression systématique. D’après le Rapport mondial 2017 de Human Rights Watch, « les forces de sécurité ont fréquemment torturé des détenus et ont fait disparaître par la force des centaines de personnes en 2016 ».

 

Toujours pas de « pain, liberté et justice sociale »

Malgré le contexte, les travailleurs du textile ont courageusement poursuivi leurs revendications. Outre la prime de développement, ils ont aussi lancé un appel en faveur d’une augmentation de 10% de leurs salaires de base et d’une révision à la hausse de leur allocation alimentaire de 3 à 10 livres égyptiennes par jour, pour pallier l’inflation galopante et la montée vertigineuse des prix des denrées alimentaires.

Le taux d’inflation annuel, en janvier 2017, s’élevait à 29,6%, selon l’agence officielle de statistique CAPMAS, soit la hausse la plus forte de l’indice des prix à la consommation depuis novembre 1986.

« Pain, liberté et justice sociale », les trois principales revendications qui constituèrent le cri de ralliement de la révolution égyptienne de 2011, n’ont toujours pas été satisfaites. Les prix se sont envolés depuis que le gouvernement a procédé à la dévaluation de la livre égyptienne en novembre dernier.

La valeur de la livre a, grosso modo, diminué de moitié, alors que l’inflation des prix à la consommation dans les villes, qui se situait à 13,6% en octobre 2016, a doublé.

« Il est désormais extrêmement difficile de joindre les deux bouts. Nous ne consommons pratiquement plus de viande, de laitages ou de fruits », confie une travailleuse d’el-Ghazl. « Même celles d’entre nous qui exercent deux emplois peinent à survivre », a-t-elle ajouté.

Réagissant à la dégradation de la situation économique en Égypte, un éventail d’organisations syndicales, d’organisations de la société civile, de partis et de mouvements politiques ont lancé, en décembre 2016, la campagne We Want to Live (Nous voulons vivre).

D’après sa déclaration fondatrice, cette campagne vise à « répondre à l’attaque féroce et sans précédent contre les conditions de travail des masses laborieuses » par une mobilisation autour de l’introduction d’un salaire décent pour tous les travailleurs, des droits des syndicats indépendants, des pensions et de la sécurité sociale et de meilleures prestations en matière de soins de santé.

À l’occasion d’une conférence convoquée au Caire en janvier, la campagne a aussi accusé le gouvernement du président al-Sissi de « prendre le parti des puissants milieux d’affaires et d’user de tactiques de répression à l’encontre de tout mouvement des travailleurs, y compris le recours aux poursuites judiciaires [contre leurs adhérents] et l’interdiction de syndicats indépendants ».

 

La dernière attaque en date

La répression à laquelle font face les travailleurs de l’entreprise Misr Spinning and Weaving Company n’est que la dernière d’une longue litanie d’ attaques contre les droits des travailleurs en Égypte. En janvier, par exemple, 19 travailleurs en grève dans l’usine d’huile et de savon IFFCO, à Suez, ont été arrêtés et traduits pour incitation à la grève et interruption de la production. Les chefs d’accusation ont, par la suite, été retirés.

En septembre 2016, les dirigeants du syndicat des travailleurs des autobus du Caire (Cairo Bus Workers’ Union) ont été arrêtés. Cinq membres font actuellement appel d’une sentence qui prévoit des peines de deux ans de prison et des amendes à hauteur de 100.000 livres (approximativement 6.200 USD) en rapport avec une grève en 2014.

En mai 2016, des travailleurs de la société Alexandria Shipyard Company ont été arrêtés et détenus pour avoir réclamé une meilleure rémunération et de meilleures dispositions en matière de santé et de sécurité. Cette entreprise étant sous administration du ministère de la Défense, les travailleurs sont actuellement traduits devant un tribunal militaire.

Pour en revenir à l’entreprise textile Misr Spinning and Weaving Company, le syndicat d’entreprise n’a pas soutenu la grève, selon l’employée interviewée par Equal Times. « Pas un seul d’entre eux [délégués syndicaux] n’est allé à la rencontre des grévistes pour s’informer de leurs demandes », a-t-elle indiqué.

Cependant, un membre du syndicat d’entreprise qui a également accepté de s’entretenir avec Equal Times sous couvert d’anonymat a attribué cela au fait que « les travailleurs n’ont pas droit aux choses qu’ils réclament. L’augmentation de 10% n’a pas encore été approuvée », a-t-il indiqué.

Toujours d’après lui, les syndicats n’auraient cessé d’œuvrer en coulisse, y compris en envoyant une lettre à la direction de l’entreprise exhortant celle-ci de débloquer les fonds nécessaires en vue du règlement des primes de développement. Il a affirmé que le syndicat privilégiait la recherche d’une solution par la voie de la négociation car, selon ses propos, « les choses sont différentes à présent – quiconque proteste risque d’être arrêté ».

 

Climat de peur

Selon la dirigeante syndicale Fatma Ramadan, les actions syndicales récentes se sont systématiquement déroulées au milieu d’une atmosphère de peur. « Les arrestations et les menaces de procès et de licenciement sont autant d’armes dont l’appareil d’État se sert à présent pour réprimer les manifestations de travailleurs, sans accéder à leurs demandes », a-t-elle déclaré à Equal Times. Le gouvernement se montre particulièrement dur à l’égard des travailleurs et des syndicats en raison de l’impact que peuvent avoir les grèves – a fortiori au milieu de la détérioration de la situation économique.

« La répression est la voie choisie par le gouvernement pour répondre aux demandes politiques, sociales et économiques. Vu le manque d’organisations ouvrières militantes, il est d’autant plus difficile pour les travailleurs de se défendre et c’est ainsi qu’on a vu récemment la plupart des mouvements protestataires mis en échec », a ajouté madame Ramadan.

Le meurtre, en 2016, de Giulio Regeni, un étudiant italien qui menait une enquête sur les vendeurs de rue en Égypte, a suscité des condamnations internationales et est considéré comme une preuve supplémentaire de la répression extrême menée à l’encontre du mouvement syndical en Égypte.

Pour les syndicats indépendants d’Égypte, un changement s’impose. « Les méthodes de résistance conventionnelles ne suffisent plus. Nous avons besoin de tactiques de résistance plus créatives et efficaces pour défendre les travailleurs contre la répression de l’État », a conclu Mme Ramadan.