Aux origines de la colère des Guyanais

Aux origines de la colère des Guyanais

Over 20,000 people rallied on 28 March in Cayenne and Saint-Laurent du Maroni, in French Guiana, to protest against a whole raft of problems affecting this French territory located in South America. The protestors included the members of a group called the 500 Brothers against Crime who denounce the insecurity and violence blighting French Guiana.

(Rosane Fayet)
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Seul département français situé en Amérique du Sud, la Guyane traverse depuis plusieurs semaines la plus grave crise sociale de son histoire: blocages d’axes routiers, fermetures d’écoles, grèves dans plusieurs secteurs de l’économie, rassemblements historiques dans les principales villes…La colère est profonde et le gouvernement français peine à répondre aux demandes des manifestants, qui promettent de durcir le ton.

Pour de nombreux français, ce territoire gigantesque (deuxième plus grande région de France) mais faiblement peuplé (250.000 habitants) est avant tout connu pour abriter la base de lancement de la fusée Ariane, fleuron de l’industrie spatiale européenne, désormais perturbé par le mouvement social.

Ariane ne décollera plus tant que la Guyane, elle, ne décolle pas, scandent les Guyanais. Pou Lagwiyann dékolé (« Pour que la Guyane décolle », en créole guyanais) est d’ailleurs le nom du collectif derrière qui se sont rangés les mouvements protestataires et qui est chargé de porter le riche cahier de revendications auprès du gouvernement.

L’exaspération des Guyanais est le fruit d’une multitude de problèmes sanitaires, éducatifs, économiques et environnementaux auxquels la France n’a pas accordé l’attention nécessaire, estiment les manifestants.

Ces derniers dénoncent aussi l’insécurité et la violence. Fin 2016, la Guyane a en effet battu un triste record : celui du territoire le plus meurtrier de France, avec 42 homicides à déplorer pour 250.000 habitants, dont plusieurs ont durement marqué l’opinion publique.

« On a marre des meurtres, des agressions, que nos femmes et enfants aient peur ! La peur doit changer de camp ! » martèle Mikaël, l’un des porte-paroles du tout nouveau collectif Les 500 Frères contre la délinquance.

L’émoi et la colère de la population se sont aussi manifestés lorsqu’en août 2016, un résident de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées à l’hôpital de Cayenne est mort dans l’incendie de sa chambre. Dans la foulée, il a été révélé qu’entre juin et août, quatre nouveau-nés prématurés sont décédés dans le même hôpital, victimes d’un staphylocoque. Ce n’étaient pas les premiers. Depuis de longues années, cet hôpital est pointé du doigt par les syndicats et le public pour son manque de sécurité, ses moyens humains et matériels déplorables, ainsi que son déficit conséquent estimé à environ 40 millions d’euros (42 millions USD).

La crise de santé publique et le manque d’établissements hospitaliers qui affectent Cayenne touche aussi le reste de la Guyane et rend l’accès aux soins de santé problématique.

Les habitants de l’intérieur, en particulier, peuvent mettre plusieurs jours pour rejoindre des hôpitaux. « Pour venir accoucher, une femme à Camopi (commune amérindienne au sud-est) est contrainte de prendre la pirogue puis la route jusqu’à Cayenne. Elles viennent au moins un mois avant la naissance de leur bébé et, sur place, elles se retrouvent seules pendant tout ce temps », raconte Jean-Philippe Chambrier, président de la Fédération des organisations autochtones de Guyane (Foag).

L’éducation est un autre domaine sévèrement mis à mal. « La situation est catastrophique, il nous faut un plan d’urgence ! » affirme Vincent Touchaleaume, secrétaire du Syndicat des travailleurs de l’éducation de l’Union des travailleurs guyanais (Steg-UTG).

« Il nous faut impérativement cinq lycées, dix collèges et 500 classes de primaire ! » complète l’enseignant et militant du même syndicat, Bruno Niederkorn. Tous se battent pour une meilleure politique éducative et pour une école plus proche des enfants guyanais, qui ne se reconnaissent pas dans le programme de la République française, qui apprend l’histoire européenne et ne légitime pas ou peu les langues locales. L’école est aussi à l’origine d’une profonde crise identitaire chez les Amérindiens, descendants directs des premiers habitants de Guyane.

Selon Anne-Marie Chambrier, de la Foag : « Il faut nous réapproprier notre histoire et la transmettre aux jeunes générations. Elle ne commence pas à la colonisation. Avant l’arrivée des Européens, nous étions présents sur tout le territoire, organisés, au niveau social, politique et culturel. »

Les peuples autochtones sont, de surcroît, trois fois plus impactés par les retards infrastructurels que le reste de la population, qui vit majoritairement le long de la côte Atlantique, au nord

Le reste du pays n’est quasi que forêt. Dans ces régions reculées du sud et de l’intérieur, les rares écoles sont dans un état de délabrement supérieur à celui des villes côtières, et les enseignants sont souvent dépourvus de moyens essentiels pour assurer l’éducation. Pour poursuivre leur scolarité, les élèves se rendent sur le littoral, où les conditions d’accueil sont souvent lamentables et où ils sont séparés de leur famille et de leur culture. Un climat qui pousse certains à la déscolarisation, à la prostitution, au trafic de drogue ou au suicide.

« La Guyane a trente ans de retard par rapport au reste de la France ! Stop quoi ! L’implosion sociale annoncée depuis des décennies se produit, en ce moment même », s’emporte Lydia, 31 ans, venue marcher avec son bébé le 28 mars dans les rues de Cayenne, au milieu de 15.000 autres manifestants.

« On est au bout du rouleau »

L’économie entière de la Guyane est à bout de souffle et peine à faire coexister des normes européennes avec les réalités d’un territoire situé en Amérique du Sud. À titre d’exemple, il est impossible d’importer directement des matières premières du grand voisin, le Brésil. Idem pour l’essence, alors que le Suriname voisin en dispose à un coût deux fois moins élevé.

Agriculteurs et pêcheurs sont les premiers à en pâtir. « Ils nous ont tués, on est au bout du rouleau ! » déclare à Equal Times Jean-Hubert François, président d’un groupe de jeunes agriculteurs, après avoir aspergé, avec des collègues exaspérés, du lisier sur la façade de la préfecture lors d’une manifestation.

Près de la moitié des produits consommés sont aujourd’hui importés d’Europe et la politique nationale soutient peu le développement de filières locales.

Autant d’éléments qui engendrent un coût de la vie élevé pour les Guyanais. Alors que la moitié de la région vit sous le seuil de pauvreté, le panier alimentaire de base est jusqu’à 45 % fois plus cher qu’en Hexagone.

Parallèlement, le chômage est l’un des plus élevés de France. « Avec 23 % de la population sans emploi, dont 44 % des moins de 24 ans, comment voulez-vous que la crise ne soit pas monumentale ? » s’alarme Jean-Marc Chemin, secrétaire général de l’Union des travailleurs guyanais (UTG).

Dans ce contexte, l’arrivée de nombreux migrants venus des quatre coins du continent est mal perçue, d’autant qu’une bonne partie de cette migration est clandestine et se retrouve exploitée illégalement dans le secteur de la pêche et de l’or. Cet orpaillage illicite est connu depuis longtemps, mais les autorités peinent à y apporter des solutions adéquates. D’après l’ONG WWF, rien que pour l’or, « les estimations d’exfiltration vont de 10 à 12 tonnes d’or par an, tandis que la production annuelle déclarée oscille entre une et deux tonnes ! »

À la fuite des capitaux engendrée par ce fléau s’ajoute une grave crise environnementale, qui renforce un peu plus le sentiment d’abandon des Guyanais et leur volonté de maintenir leur bras-de-fer avec le gouvernement français.

This article has been translated from French.